Incendie et secours - Les dépenses des Sdis dans le collimateur
Depuis 2001, les dépenses des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), ont augmenté de 45,8%, alors que le nombre de leurs interventions a crû de 8,4%. Des dépenses certes en cours de stabilisation avec l'amortissement des grands projets d'investissements et le ralentissement des recrutements, comme le montrait la dernière journée nationale des Sdis, le 4 février dernier. Mais à l'heure de la rationalisation des dépenses publiques, les finances des Sdis sont dans le collimateur des députés qui cherchent des moyens de faire des économies dans un budget de 5,5 milliards d'euros, essentiellement à la charge des départements et, dans une moindre mesure, des communes (4,6 milliards d'euros). C'est le sens de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des finances qui mène actuellement une série d'auditions en vue d'un rapport annoncé pour juin, suivi d'une proposition de loi à l'automne. Pour le député Georges Ginesta, l'un des rapporteurs de la mission, il faut avant tout stopper les recrutements : "Les effectifs sont passés de 28.000 à 38.000 en dix ans, les dépenses de personnel représentent 80% des budgets des Sdis", a-t-il rappelé. Or, à en croire les députés, les élus seraient sous la pression des sapeurs-pompiers. "Il faut défendre le contribuable contre un certain nombre de corporatismes", a jugé Georges Ginesta. Corporatismes que la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août aurait même encouragés, selon David Habib (PS), coprésident de la MEC, pour qui "on a isolé les élus". Sur le terrain, la question donne parfois lieu à un véritable bras-de-fer. "Les pompiers surfent sur la vague de leur popularité. Est-ce qu'un élu est capable de dire non à des pompiers en grève depuis six mois ?", a demandé le colonel Eric Martin, directeur du Sdis du Var, qui vient d'essuyer un important conflit social.
Nationaliser ou départementaliser ?
La départementalisation à bout de souffle ? Cette question, Georges Ginesta se la posait déjà dans son rapport spécial sur la sécurité civile pour la loi de finances 2009. Mais elle taraude de plus en plus de présidents de départements qui souhaiteraient voir appliqué le principe du "qui commande paye". En réaction à un certain nombre de décisions prises dans leur dos, ils avait carrément émis le souhait en décembre dernier, réunis au sein de l'Assemblée des départements de France, d'un retour des Sdis dans le giron de l'Etat. "Pourquoi l'Etat ne reprend pas les Sdis ?", s'est ainsi interrogé Joseph Kergueris, président du conseil général du Morbihan devant la MEC, exprimant un mécontentement très partagé sur l'instabilité réglementaire qui règne en matière de secours, entraînant à chaque fois de nouveaux frais (mise aux normes d'équipements, changements de véhicules, etc.).
Mais pour Robert Cabé, vice-président du conseil général des Landes, cette position risque d'aboutir au statu quo. A l'heure de la réforme des collectivités, lui milite au contraire pour un renforcement du département. "Le département est un bon réceptacle. Il faut aller au bout de la départementalisation", a-t-il plaidé, stigmatisant "la grave erreur de la double tutelle" des Sdis (président du Sdis et préfet) . "Aujourd'hui, la direction de la sécurité civile décide, le Sdis paye, il faut couper le cordon ombilical." "Comme si le président du conseil général n'avait pas la capacité d'assumer seul cette responsabilité, a-t-il ajouté. En six ans, nous avons baissé les effectifs de sapeurs-pompiers professionnels de 10%, ce qui implique des décisions courageuses", s'est-il félicité, avant de porter l'estocade : "Au fond on n'a plus besoin de direction de la sécurité civile dans notre pays." Mais rendre le président du Sdis responsable des petites opérations de sécurité civile sur son territoire conduirait à étendre au départements les pouvoirs de police aujourd'hui entre les mains de l'Etat et du maire, exclusivement. Et puis l'Etat, par la voix du préfet de la Moselle et préfet de la zone de défense Est, Bernard Niquet a aussi un argument à faire valoir : "Le président d'un Sdis peut toujours être en capacité de coordonner, mais toute opération entraîne aussi la coordination d'autres intervenants : services de police et de gendarmerie, etc. Il faut plutôt une coproduction."
Fiscaliser la dépense
Au-delà de la question de la gouvernance, la MEC se montre favorable à la fiscalisation de la dépense. L'idée : créer une ligne distincte sur la feuille d'impôts locaux. "Les dépenses augmentent sans aucune transparence, faire apparaître cette ligne budgétaire responsabiliserait les élus", a suggéré Georges Ginesta. Ce qui aurait l'avantage de tenir compte des spécificités de terrain (démographie, risques, etc.). Mais Robert Cabé s'est montré sceptique. Selon lui, "la taxe des ordures ménagères est bien identifiée sur la feuille d'impôt, pour autant, elle n'a cessé d'augmenter". En réalité, l'idée n'est pas franchement neuve : elle figurait déjà dans le rapport sénatorial de 2001, date de la départementalisation.
Taxé de saupoudrage au détriment de grands projets d'équipements, le Fonds d'aide à l'investissement (FAI) est aussi dans le viseur des députés. Ses crédits ont fondu comme neige au soleil - ils sont passés de 65 millions en 2007 à 24,4 millions d'euros cette année - mais c'est surtout le mode d'attribution des aides qui est en cause. Pour Bernard Niquet, c'est un échec. "Le FAI n'a pas donné ce que l'Etat et la représentation nationale souhaitaient. Il n'a pas évité le saupoudrage alors que l'objectif était de mettre à disposition des zones et des Sdis des matériels susceptibles de servir à tout le monde, d'être mutualisés et projetés." En clair : regrouper les achats des Sdis pour ensuite déployer les moyens sur les zones touchées par un sinistre. "Il faut mutualiser plusieurs départements, à condition de mettre en place une convention entre l'Etat et le Sdis qui utilise le matériel, une convention qui fixe la part d'engagements de chacun pour dépasser le simple engagement moral", a-t-il proposé.
Enfin, un autre sujet préoccupe les députés : le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, les casernes étant organisées en gardes de 24 heures alors que l'essentiel des interventions ont lieu la journée. "Est-ce que le régime de garde est un bon système ? Un pompier réalise 95 jours de garde et 140 interventions dans l'année, c'est une intervention et demi par jour de travail", a fait savoir Georges Ginesta qui, dans son rapport d'octobre 2008, préconise des gardes de 12 ou 8 heures. "Il vaut mieux pérenniser les 24 heures, car les gardes de 24 heures ne sont décomptées que 16 heures, instaurer le 3-8 serait donc plus coûteux", a rétorqué Robert Cabé. De leur côté, les syndicats revendiquent le principe d'une heure de garde payée une heure, ce qui conduirait à un "séisme financier" a expliqué Elisabeth Maraval, responsable de la sécurité civile au sein de l'ADF.
Enfin, dernier point soulevé par les députés : les sapeurs-pompiers professionnels qui exercent, pendant leurs jours de repos, des vacations (exonérées d'impôts) en tant que sapeurs-pompiers volontaires. Un double statut qui peut aussi être vu comme une source d'économies a justifié Robert Cabé : "Hypocritement, je m'en sers pour régler les dépassements d'horaires, c'est bien commode", a-t-il reconnu. Un des rares points ou syndicats et élus semblent trouver leur compte.
Michel Tendil