Réforme territoriale - Les communautés urbaines font bloc contre "l'acte I de la recentralisation"
Elles aussi craignent de faire les frais de la réforme territoriale. Et l'ont, elles aussi, amplement fait savoir lors de leur rencontre annuelle. Cette fois, il s'agissait des seize communautés urbaines. Après les départements avec le congrès de l'ADF, après les autres communautés avec la convention nationale de l'ADCF, c'était en effet à leur tour de se réunir, sous la bannière de l'Association des communautés urbaines de France (Acuf). Rendez-vous était donné ces 8 et 9 octobre à Bordeaux, à l'invitation de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) et de son président Vincent Feltesse. Et comme les autres élus, les présidents des communautés urbaines ont sans doute autant parlé de suppression de la taxe professionnelle que réforme territoriale, estimant que les deux projets vont au fond de pair : tous deux reposeraient sur une erreur de diagnostic et témoigneraient d'une tentation recentralisatrice. "Nous attendions une troisième étape de la décentralisation, or on aperçoit aujourd'hui une volonté de recentralisation", a notamment scandé Gérard Collomb, président du Grand Lyon et actuel président de l'Acuf. Dans leur résolution finale, les présidents signataires évoquent de même un "acte I de la recentralisation".
S'agissant de la suppression de la TP, cette même résolution affirme que cette réforme, "en déconnectant ressources fiscales des communautés urbaines et dynamique des territoires, va remettre en cause leur action économique qui est pourtant essentielle pour l’avenir de notre pays." Les présidents de CU ont fait leurs calculs. Martine Aubry, par exemple, pour Lille Métropole, prévoit de "perdre 150 millions d'euros, certes compensés la première année, mais après ?". "Nous avons tous fait des simulations. Les pertes seront terribles. Il est urgent de revoir la copie, y compris dans l'intérêt des industries elles-mêmes", a résumé Gérard Collomb. Et Alain Juppé, venu s'exprimer en tant que maire de Bordeaux, s'il a adouci sur la forme les propos qu'il avait tenus quelques jours plus tôt dans la presse, n'a guère dit autre chose : le scénario proposé est "difficilement acceptable dans la mesure où il ampute nos ressources fiscales propres et où l'on n'a aucune garantie quant à l'évolution des dotations".
Pour les élus réunis à Bordeaux, le pire est évidemment que le projet, dans sa version actuelle, ait exclu les EPCI de la future cotisation complémentaire, dévolue aux départements et aux régions. Si la communautés – ainsi que les communes - devaient effectivement être privées de cette cotisation, tout lien dynamique entre entreprise et territoire intercommunal serait rompu. "Si on ne touche pas de cotisation complémentaire, on aura tout intérêt à développer des zones résidentielles plutôt que des zones d'activité…", a par exemple résumé François Cuillandre, président de Brest Métropole Océane. "Au Port de Lyon, au lieu de miser sur une zone économique, je ferais mieux de construire une marina !", a surenchéri Gérard Collomb. D'où son hypothèse selon laquelle le secteur industriel sera sur le long terme, le grand perdant de la réforme. Avec, aussi, un autre perdant : les ménages, dans le sens où, face à un pouvoir de taux pratiquement réduit à néant côté entreprise, "la seule variable d'ajustement, ce sera la fiscalité ménages".
"Une véritable aberration"
Interpelant de la même façon le gouvernement sur la réforme territoriale, ces communautés urbaines qui, au départ, ne voyaient pas forcément d'un mauvais œil ce projet censé être favorables aux métropoles qu'elles constituent de fait, ne se retrouvent plus vraiment dans la dernière mouture du projet, qui leur a été adressée le 18 septembre dernier. "La reconnaissance du fait urbain a disparu au fil de petits arrangements", estime Vincent Feltesse. Et Gérard Collomb de regretter, d'ailleurs, que le contenu de la réforme "change tous les jours…". Pour lui comme pour beaucoup d'autres, même s'il n'est pas directement concerné, "le conseiller territorial est une véritable aberration" : parce que les conseillers territoriaux risquent de privilégier des "politiques localo-localistes" et le "saupoudrage en faveur de tel ou tel super-canton", "la région ne pensera plus à l'échelle globale, alors que c'est ce dont nous avons besoin aujourd'hui". Alain Rousset, invité de ces 37es Rencontres nationales de l'Acuf, lui a naturellement donné raison, convaincu que "le couple région-intercommunalité" est bien "le couple dynamique" porteur d'"avenir".
S'agissant des métropoles telles que les envisage aujourd'hui l'avant-projet de loi, Gérard Collomb estime qu'il s'agit d'une version "intermédiaire" moins audacieuse que celle du rapport Balladur. Mais reconnaît que certaines de leurs demandes ont été prises en compte, notamment celle de permettre la création d'"établissements publics de coopération métropolitaine", sur le modèle du projet commun de "métropole multipolaire" porté par Metz, Nancy, Thionville et Epinal. Le gouvernement les a baptisé " pôles métropolitains". Le ministre Michel Mercier, venu clore les rencontres de Bordeaux, l'a confirmé, parlant de l'"alliance de plusieurs EPCI" comparable à "un syndicat d'EPCI" principalement centré sur le développement économique. Le ministre a également souligné qu'en fait, quatre possibilités seront offertes à chacune des CU : rester dans sa configuration actuelle ; décider de devenir une "commune nouvelle" ; opter pour le statut de métropole ; s'orienter vers le dispositif du pôle métropolitain. En rappelant que la métropole sera bien un EPCI et bénéficiera de compétences renforcées en matière d'urbanisme, de transport et d'économie. Elle se verra confier "de plein droit" quelques attributions départementales et régionales et pourra demander à exercer d'autres compétences actuellement exercées par le département ou la région.
A l'approche de la réforme, l'Acuf demande pour sa part que toutes les communautés urbaines soient dotées du statut de "collectivité de plein exercice", sans pour autant "priver les communes de leurs compétences générales ni de leurs ressources fiscales". Sans doute souhaite-t-elle ainsi notamment assurer l'avenir des "petites" CU (Arras, Alençon…) qui resteront à l'écart du futur club des métropoles… Elle met aussi très largement l'accent sur la question du mode de représentation des communautés : "Le mode d'élection est un problème urgent. On ne peut se contenter du système de fléchage qui nous est proposé. On le fait déjà !", a par exemple réagi Gilles Retières, vice-président de Nantes Métropoles. Et Martine Aubry d'expliquer que "l'Acuf veut une élection directe à la proportionnelle des conseillers communautaires, sur un projet, dans une proportion de 70 à 75%, le reste permettant de faire en sorte que tous les territoires soient représentés au sein du conseil". "Chez moi, dans le système actuel, une commune de 900 habitants a un délégué, une commune de 20.000 habitants a deux délégués. Si l'on continue comme ça, les élus de la périphérie finiront pas avoir plus de poids que ceux de cœur de l'agglomération…", insiste pour sa part Gérard Collomb.
Les seize présidents de CU se sont donné rendez-vous dans un an, cette fois à Nice, l'une des deux nouvelles venues à l'Acuf avec Toulouse. Et semblent décidés, d'ici là, à ne pas baisser la garde un seul instant.
Claire Mallet, à Bordeaux