Les collectivités au soutien de la réduction des pesticides dans les champs
Alors qu’en dépit des politiques conduites depuis plusieurs années, l’usage des pesticides en agriculture n’évolue guère, une étude commandée par la Banque des Territoires plaide pour la mise en place de mécanismes assurantiels au soutien des changements de pratiques agricoles. À court terme, l’étude recommande notamment de multiplier les expérimentations, qui pourraient être soutenues par les collectivités. Certaines s’y emploient déjà.
Les collectivités sans pesticide, on connaît. 728 ont même reçu depuis 2014 le label "Terre Saine", qui implique de renoncer à tout produit phytosanitaire, y compris les produits de biocontrôle. Ce dispositif a toutefois "marqué une pause en 2022", laquelle semble définitive. Il faut dire que le renforcement des exigences réglementaires s’appliquant aux collectivités l’ont sans doute rendu quelque peu caduc. Pour autant, l’implication de certaines collectivités dans la lutte contre les "phytos" est loin d’être passée de mode. On songe à la vague des arrêtés antipesticides qui a naguère défrayé la chronique, y compris judiciaire (voir notre article du 18 mai 2020). À cette interdiction, illégale qui plus est, d’autres préfèrent l’incitation et l’accompagnement. Une voie qu’elles peuvent notamment suivre en participant au déploiement de mécanismes assurantiels pour favoriser le changement des pratiques agricoles, comme le suggère une étude commandée sur ce sujet par la Banque des Territoires (groupe Caisse des Dépôts).
Un champ déjà hersé
Ce champ de la réduction des pesticides n’est nullement étranger à cette entité, puisque la Banque des Territoires, mobilisée sur les transitions agricoles et alimentaires, conduit plusieurs programmes en la matière, comme le dispositif "Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires" (voir notre article du 9 avril). Également impliquée dans la lutte pour la préservation de l’eau aux côtés des collectivités, la Banque des Territoires n’est évidemment pas indifférente à la question de la pollution des captages par les produits phytosanitaires, jugée d’ailleurs préoccupante (voir notre article du 20 juillet 2023).
Un champ qu’exploitent en outre déjà certaines collectivités, comme le montre l’étude. Que ce soit avec les paiements pour services environnementaux, souvent via des aides de minimis à l’enveloppe toutefois limitée, ou via la politique agricole commune (PAC), avec les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) forfaitaires, sur lesquelles les régions ont la main. Mais l’étude souligne que l’ensemble des aides apportées, que ce soit par les collectivités ou d’autres, bien que représentant "des coûts conséquents pour la puissance publique, ne permettent pas une massification de la réduction de l’usage des PPS". Ce que soulignait aussi un récent rapport de l’Assemblée (voir notre article du 15 décembre dernier).
Une transition risquée et sans filet
Il faut reconnaître que les agriculteurs ont du mal à se passer des phytos, constate l’étude, alors que ces derniers "garantissent un haut niveau de protection des cultures et de forts taux de productivité et de rentabilité des exploitations agricoles". En changeant les pratiques, l’étude évoque une perte de rendements comprise entre 20% à 50% par rapport au conventionnel, sans compter les charges supplémentaires induites (notamment par le désherbage mécanique) et les difficultés à rentabiliser les investissements. Or la plupart des aides ne permettent pas de compenser les pertes que peuvent induire ces changements de pratique. "Aujourd’hui, le montant des différentes aides correspond en général à 5 à 10% du produit brut mais pas à une perte exceptionnelle pouvant parfois atteindre 100% du produit brut de l’exploitation", relève l’auteur. Pas plus que les différents instruments de gestion des risques existants, comme l’assurance multirisque climatique des récoltes réformée en 2022 ou le fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE), "pensés et déployés pour accompagner le maintien des exploitations face à des facteurs externes", mais "pas construits pour inciter ou faciliter la transition".
La piste, pour l’heure escarpée, d’une assurance dédiée…
D’où la recherche de mécanismes assurantiels spécifiques qui pourraient y remédier. L’étude souligne que des expérimentations ont déjà été lancées, comme Vitirev dans le domaine viticole, coordonné par la région Nouvelle-Aquitaine. Mais "concernant peu d’acteurs et peu de filières", elles ne se révèlent pour l’heure guère concluantes. Il faut dire que les obstacles sont nombreux.
Le premier frein est d’ordre économique, tant pour les compagnies d’assurance – que les catastrophes naturelles mettent déjà fortement à l’épreuve (voir notre article du 2 avril) –, que pour les agriculteurs, dont la majorité n’est déjà pas couverte par l’assurance récolte, et pour lesquels "le fait de payer des primes pour suivre des pratiques contraintes par des cahiers de charges sans valorisation assurée sur le marché est un frein à l’adhésion".
Le deuxième frein est d’ordre technique : difficulté de définir le risque au regard de l’actuel droit des assurances, difficulté de sérier les risques sanitaires et climatiques, difficulté d’établir un lien de causalité, absence de référentiels pour construire des modèles actuariels, d’autant plus ardus à bâtir compte tenu de l’hétérogénéité des situations et du phénomène d’antisélection (seuls les plus exposés s’assurent), coût de mise en œuvre élevé en cas d’expertise sur le terrain, mais difficulté de construire une assurance "paramétrique", biais comportementaux (tendance qu’a une personne assurée à prendre davantage de risques), etc.
S’y ajoutent encore la récente réforme de l’assurance multirisque climatique des récoltes, qui "laisse peu de marges de manœuvre" pour un nouveau changement, la récente publication du plan Ecophyto 2030 (voir notre article du 6 mai), "qui limite la capacité à mobiliser à nouveau les acteurs" ou encore un marché de l’assurance agricole ne reposant que sur deux acteurs principaux. Une liste non exhaustive.
… qui ne doit pour autant pas être négligée
Pour autant, l’intérêt demeure, tant du côté des agences de l’eau et syndicats de gestion des ressources en eau, des collectivités, que des agriculteurs eux-mêmes. Aussi l’étude dégage quelques facteurs qui permettraient d’envisager le succès d’un tel dispositif :
- une intervention publique pour financer les expérimentations, les réassurer en cas d’échec et financer une partie des cotisations, puis pour mettre en place des dispositifs pérennes. Les collectivités sont singulièrement conviées, d’une part, à "déployer un outil d’assurance au changement de pratiques en complément de paiements pour services environnementaux", et d’autre part à "mobiliser le levier de la commande publique pour encourager le développement de filières locales à bas niveaux d’intrants" – ce qu'elles réclament (voir notre article du 28 février) ;
- la mise en place de partenariats pour partager le risque, "qui repose aujourd’hui principalement sur les agriculteurs et la puissance publique" : en constituant notamment un pool d’assurance pour impulser une action collective de recherche et développement, en impliquant les instituts techniques, chambres d’agriculture et organismes certificateurs, en associant l’aval des filières ou encore en faisant participer les distributeurs de biocontrôle et fournisseurs d’outils d’aide à la décision au développement des contrats assurantiels ;
- l’établissement d’un contrat simple d’accès pour l’agriculteur, indispensable "face à la complexité administrative des démarches d’obtention d’aides en agriculture et au verrou préexistant à l’assurance qu’est le paiement d’une cotisation".
Pour un foisonnement d'expérimentations
À court terme, l’étude prône la multiplication des expérimentations – que les collectivités sont particulièrement invitées à soutenir – qui permettraient, entre autres avantages, de "diffuser la culture du risque" et d’améliorer la quantité et la qualité des données. Elle suggère également d’élargir l’assurance multirisque climatique des récoltes aux risques sanitaires ou à l’adaptation des pratiques, d’élargir le FMSE aux pertes économiques liées aux mesures de lutte contre les maladies et ravageurs ou encore de mettre en place un fonds d’innovation pour la sécurisation des transitions.