Les CCAS en 2050 : "Sortir du cadre pour favoriser la confiance"
A quoi ressemblera l'action sociale de demain ? C'est la question sur laquelle ont planché 265 élus et professionnels à l'invitation de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale. Nouveaux lieux, nouveaux métiers, nouvelles fonctions pour le CCAS, celle d'"avocat social du territoire" par exemple… Autant d'hypothèses explorées à partir de méthodes de design et de prospective. A quelques jours du premier tour des municipales et alors que l'Unccas invite les futurs élus à placer le social au centre du projet de territoire, Valérie Guillaumin Pautre, responsable de la Fabrique des CCAS-CIAS, nous en a dit plus sur la démarche "Le CCAS en 2050".
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Localtis - D'où est venue à l'Unccas l'idée de cette prospective sur les CCAS en 2050 ?
Valérie Guillaumin Pautre - Je suis responsable de la Fabrique des CCAS-CIAS, qui est un service de l'Unccas créé en septembre 2018. Nous avons deux missions principales : la capitalisation et la valorisation des expériences, et l'appui aux projets avec en filigrane l'innovation. Auprès des élus ou des professionnels de l'action sociale, nous favorisons le partage, les échanges, la transmission de bonnes pratiques. Dans ce cadre, nous observons que les CCAS et CIAS cherchent à réinventer leurs pratiques, à s'adapter pour répondre aux besoins de leur population, mais également pour faire face aux différentes mutations de la société. S'est manifestée par ailleurs une volonté d'inscrire les projets qui sont fabriqués aujourd'hui dans une perspective plus lointaine. Et cette vision de ce que pourraient être les politiques sociales de demain, les CCAS ne l'avaient pas forcément partagée.
La Fabrique des CCAS-CIAS a proposé de mener un programme sur le CCAS en 2050, avec initialement pour premier objectif de faire découvrir à notre réseau de nouveaux outils que sont le design de service et la prospective. Et en fait, dès les premiers ateliers, ce sujet du CCAS en 2050 est devenu la finalité du programme, les outils du design et de la prospective étant un moyen d'y parvenir.
Comment les CCAS et CIAS ont-ils été impliqués dans cette démarche ?
Nous avons imaginé ce programme avec l'appui de l'agence de design Vraiment Vraiment et le studio de réalisation Les beaux yeux. Travailler sur "le CCAS en 2050" ne devait pas être une vision descendante qui vient de l'Unccas, mais plutôt venir des territoires. Six ateliers ont eu lieu dans six villes différentes (Bordeaux, Nancy, Lyon, Le Mans, Paris et Amiens lors de notre congrès annuel). Ils ont réuni au total 265 élus et professionnels de l'action sociale, aussi bien directeurs que travailleurs sociaux, issus de plus de 200 CCAS et CIAS de France. Pendant deux jours, ils ont travaillé à partir des outils du design et de la prospective : la première journée était consacrée à l'exploration d'une thématique et à la définition d'un scénario. Les thématiques proposées visaient à casser les codes, faire évoluer les représentations : les vieillesses heureuses, les bonnes santés, les justices sociales, les raisons du bonheur et les activités enrichissantes. Lors de la deuxième journée, les participants ont retranscrit leur scénario, leur vision de ce que pourrait être l'action sociale de demain, sous forme d'un journal télévisé. Ils ont endossé leurs habits d'acteurs et ont incarné le scénario qu'ils avaient imaginé.
Quelles grandes tendances sont ressorties de ce travail de prospective ? En 2050, quels sont les défis sociaux et comment les CCAS et CIAS y répondent-ils ?
A l'issue de ce travail, cinq journaux télévisés de 2050, 18 visions de l'action sociale de demain et sept figures de ce que pourrait être le CCAS de demain ont été produits. Tout cela est disponible sur notre site Internet. Il s'agit d'hypothèses, de pistes d'exploration qui doivent permettre de mener une réflexion sur les territoires, d'ouvrir le débat au sein des CCAS sur ce que pourrait être l'action sociale de demain.
La notion de proximité est beaucoup apparue. On ne sait pas exactement de quoi sera fait 2050, mais ce besoin de proximité devrait être de plus en plus prégnant. Si la question de la forme du CCAS lui-même ou de ses modalités d’intervention se sont aussi posées, on ne s’exonérera de toute façon pas d’une action publique au plus près des habitants et des besoins du territoire. Aujourd'hui, l'outil CCAS reste souple, il a su déjà se réinventer puisque nous sommes passés des bureaux de bienfaisance aux centres d'action sociale. Cette souplesse peut faciliter le travail hors les murs, le fait de sortir du cadre.
Cette nécessité est également beaucoup ressortie : sortir du cadre, aller vers de nouveaux lieux peut-être plus informels pour favoriser la confiance, sachant qu’il faudra animer et investir différemment ces lieux pour créer du lien social, lutter contre l'isolement. Sortir du cadre, c'est aussi aller vers les besoins là où ils s'expriment. Dans certains scénarios, le CCAS n'était même plus dans un lieu physique, il était complètement diffus sur le territoire. L’idée est de passer d'un lieu institutionnel à un lieu plus ouvert, ou peut-être aller dans des lieux déjà existants…
Il faut également s'appuyer davantage sur l'expertise du CCAS, lequel a aujourd'hui l’obligation de réaliser une analyse des besoins sociaux. Le CCAS a cette connaissance des besoins du territoire et de la population. Il s'agit de partager cette connaissance avec l'ensemble des acteurs du territoire et, pour répondre aux besoins, d'activer aussi tous les leviers possibles, toutes les ressources, c'est-à-dire tous les acteurs et citoyens du territoire. Derrière, il y a la question de la coordination des acteurs.
Autre enjeu : les dispositifs qui imposent souvent aujourd'hui de mettre des personnes dans des cases, alors qu'il faudrait que les dispositifs s'adaptent aux personnes. Pour y parvenir, il faut justement s'appuyer sur cette connaissance des besoins du territoire, ces complémentarités entre les acteurs.
Parmi les différentes figures qui ont émergé, nous avons eu enfin celle d'"avocat social du territoire" (1). Avec l'idée que le social est au cœur des logiques de développement territorial et qu'aujourd'hui le social contribue à l'attractivité d'un territoire, puisqu'il va permettre d'agir sur la qualité des services ou encore l'accessibilité.
Est-ce que les participants ont l'impression que leur réalité actuelle est encore loin de cette action sociale de demain et qu'ils sont confrontés à certains obstacles pour s'en approcher ?
On parlait de 2050, dans 30 ans, mais en fait les outils qu'ils ont imaginés pourraient être mis en place à très court terme, et on en voit déjà les prémisses dans les territoires. Mais ce n'est pas facile, il faut arriver à bouger les choses, il faut aussi autoriser les territoires à agir, leur permettre de porter des solutions qui soient vraiment spécifiques et adaptées aux besoins de leur population. Ce qu'on a entendu lors des ateliers, c'est qu'il y a aujourd'hui souvent un cadre, des choses qui viennent d'au-dessus et ne permettent pas toujours cette souplesse, cette adaptation aux besoins des habitants. C'est ce vers quoi les CCAS voudraient aller : qu'on les autorise à, mais que eux aussi s'autorisent à, en s'outillant différemment, en élargissant le champ des possibles avec d'autres types d'acteurs.
Aujourd'hui, est-ce que vous avez des exemples de démarches qui existent déjà qui vont dans le sens de ce qui a pu être mis en avant dans cet exercice de prospective ?
Certaines actions récentes ont fait un peu écho à ce que les participants imaginaient. Il y a le comptoir citoyen du CCAS d'Angers qui vise à favoriser la participation et les projets citoyens. Le CCAS de Riom, dans le Puy-de-Dôme, a voulu travailler davantage avec les habitants du territoire sur les aspects de repérage et de médiation avec les publics. Je pense aussi au tiers lieu mis en place par le CCAS de Montpellier, réunissant sur un même espace des outils et accompagnements pour favoriser l'inclusion numérique, l'accès à l'emploi, la santé, la gestion budgétaire. Ce lieu s'appuie sur des acteurs, des associations du territoire, et cherche à casser le côté institutionnel en offrant des espaces beaucoup plus ouverts. Ils ont travaillé sur ce lieu avec l’idée selon laquelle on n'y vient pas pour accéder au droit, on y vient pour chercher un service et c'est justement par ce service qu'on va arriver à l'accès au droit, avec cette transversalité entre différents domaines.
Effectivement, dans la publication issue des ateliers, la dimension "accès au droit" est assez peu abordée. Est-ce parce qu'il y a tout cet enjeu, en amont, de prévention, de repérage qui aujourd'hui ferait un peu défaut ?
Aujourd'hui, le CCAS peut apparaître comme un lieu stigmatisant : vous êtes un public en difficulté, un public précaire, venez chez nous, vous aurez accès à vos droits. On a un public invisible, certaines personnes ne voudront pas venir, et l'enjeu est de savoir comment les toucher sans les stigmatiser. Et peut-être que l'accroche initiale n'est pas l'accès au droit, mais que l'accès au droit va venir par d'autres types d'actions. Ce qui ressort aussi beaucoup, c'est que le CCAS aujourd'hui est vu pour les plus fragiles, alors que finalement il s'adresse à toute la population. A tout moment de sa vie, un citoyen peut avoir un besoin : parce qu'un de ses parents est en perte d'autonomie, parce qu'il a eu un accident de la vie, parce qu'il a besoin de trouver une place en crèche pour son enfant… A tout moment de la vie, un citoyen peut être concerné par l'action du CCAS.
A quelques jours du premier tour des municipales, est-ce que l'Unccas adresse un message, à travers cette démarche de prospective, aux futurs élus ? Dans la mesure où ces évolutions prennent du temps, quels seraient pour eux les priorités ou les points d'accroche pour renouveler l'action sociale sur leur territoire ?
Le CCAS et l'action sociale, ce sont des outils assez formidables de services à la population, des outils qui peuvent renforcer le vivre-ensemble, le lien social et l'attractivité du territoire. Donc il est important de ne pas négliger cette dimension, de vraiment la porter et de la remettre au cœur du projet du territoire.
Les élus peuvent ainsi profiter de leur début de mandat pour s'emparer des différents outils que l'Unccas propose, que ce soit ce travail sur le CCAS en 2050 ou nos ressources sur l'analyse des besoins sociaux, pour réfléchir sur ce projet social de territoire sur les années à venir. Qu'est-ce qu'on souhaite, comment y arriver… faire vivre dès le début une ambition sociale pour le territoire.
(1) Selon la publication, un CCAS "avocat social du territoire" est "défenseur de l'intérêt général", il "plaide les intérêts des usagers et du territoire face aux nouveaux acteurs qui s’y implantent. Il soutient les initiatives solidaires et peut aller jusqu’à se porter garant de leur haute qualité sociale. En tant qu’avocat du territoire, il cherche à créer une cohérence locale et à maintenir une?qualité sociale globale. On peut l'imaginer réfléchir et soumettre des propositions aux diverses instances représentatives, se mobiliser quand des décisions locales semblent contraire à l’intérêt du territoire."