Finances publiques - Les bons et les mauvais points de la Cour des comptes
Le cru 2011 de la Cour des comptes est une nouvelle fois riche en gaspillages et dérives en tous genres. Mais son volumineux rapport, présenté jeudi, comprend un tome entier consacré aux suites données aux observations des années précédentes, afin de voir si oui ou non, elles ont été suivies d'effets. Et il y a quelques bonnes surprises, à commencer par la gestion des services publics d'eau et d'assainissement qui marquent quelques "évolutions encourageantes". Selon la Cour, les recommandations formulées en 2003 ont été largement suivies à travers plusieurs mesures législatives et réglementaires, notamment la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques visant à améliorer la transparence, à renforcer le suivi de la performance et à développer l'intercommunalité. Le rapport de la Cour salue les efforts des collectivités territoriales qui ont développé leurs capacités d'expertise permettant "une plus grande transparence dans le choix du mode de gestion, la réduction de la durée des contrats de délégation, une remise en compétition plus rapide ainsi que l'insertion de clauses contractuelles permettant un contrôle réel des conditions d'exécution". Mais il reste encore des "insuffisances", notamment "en termes de coûts du fait du nombre trop élevé de services d'eau et d'assainissement". La France en compterait 35.000, "un nombre sans équivalent en Europe", selon les magistrats financiers. "Seule la réduction drastique du nombre de structures et la mutualisation des moyens et compétences permettront d'améliorer la gestion, et de rééquilibrer les rapports entre les collectivités et les délégataires de service public", conclut la Cour.
Le CNFPT n'est pas sorti de l'œil du cyclone
En dehors de ces bons points, les Sages de la rue Cambon lancent de sérieuses "alertes". Après un premier rapport en 2002 et un second en 2007, qui avaient mis au jour de "nombreuses défaillances", ils se penchent de nouveau sur la gestion du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Leur verdict, qui porte principalement sur les exercices 2004 à 2009, est sans appel : l'organisme connaît "encore de graves anomalies de gestion". Principale critique adressée par les magistrats financiers, le retard pris par l'établissement public pour mettre en œuvre les réformes exigées par la loi du 19 février 2007 sur la formation des agents territoriaux. "Ce n'est qu'en 2010 que le CNFPT a adopté, après une concertation approfondie, un ‘projet national de développement' qui vise à satisfaire les demandes nouvelles et remédier aux insuffisances de la gestion." Et cela alors que le CNFPT dispose d'une "aisance financière" certaine. Ce confort a favorisé des formes de "laxisme" dans la gestion, en particulier celle du personnel, des achats de formation et de logistique. La Cour des comptes relève en particulier l'existence à une époque récente dans une délégation du sud de la France, "de graves malversations, favorisées par des défaillances administratives, longtemps dissimulées". Elle déplore encore les abus de certains intervenants du CNFPT concernant le remboursement de leurs frais de déplacement.
Dans un communiqué, François Deluga, président du CNFPT depuis avril 2009, juge que "le carton rouge" vise uniquement la gestion de son prédécesseur, André Rossinot, et affirme que la Cour "donne un satisfecit à partir de 2009 aux réformes" qu'il a engagées. Il dit faire siennes cinq des six recommandations de la Cour, portant sur la gestion de l'établissement et les formations. La sixième, qui pour François Deluga "relève d'une volonté d'imposer la RGPP à la formation", conduirait à une baisse du taux de cotisation du CNFPT, de 1% aujourd'hui, à 0,9% de la masse salariale des agents territoriaux, demain. "Dans cette hypothèse, le résultat du CNFPT eût été, en 2009, encore légèrement excédentaire", souligne-t-on rue Cambon.
Le port de Marseille en train de couler
Les magistrats reviennent également sur la gestion calamiteuse du port de Marseille. Dès 2006, ils avaient insisté sur l'urgence de la réforme des ports français. Mais Marseille n'a cessé de se faire tailler des croupières malgré "ses nombreux avantages comparatifs" : une bonne situation sur la route Asie-Europe, un coût de passage raisonnable... Il n'y a guère que le secteur des croisières qui ait tiré son épingle du jeu. Le port pointe à la 27e place mondiale pour le trafic de conteneurs. Les raisons de cet échec sont à chercher dans les "conflits sociaux incessants" qui donnent "une image négative", a insisté le premier président de la Cour, Didier Migaud, lors de la présentation du rapport. Cette désorganisation s'est traduite par une augmentation des effectifs alors que le trafic, lui, ne cessait de reculer. Symboles de cette situation : les grutiers, avec 12 heures de travail hebdomadaire effectif pour une rémunération oscillant de 3.500 à 4.500 euros nets, gonflée par des "gratifications illégales". "L'autorité de l'Etat doit s'exercer pleinement et à tous les niveaux", a réclamé Didier Migaud.
Le financement des énergies renouvelables sur la sellette
Parmi les nouveautés de cette année 2011, la Cour des comptes dénonce une "dérive structurelle" du système actuel de compensation des charges du service public de l'électricité, supportées par les différents opérateurs du marché. Il s'agit essentiellement du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, de la péréquation tarifaire dans les départements d'outre-mer et en Corse, et des tarifs sociaux de l'électricité. La contribution aux charges de ce service (CSPE), acquittée directement par les consommateurs en réglant leur facture d'électricité a représenté 1,7 milliard d'euros en 2009. Or, depuis sa création en 2003, note la Cour, "les charges que la CSPE est censée compenser ont augmenté rapidement et de façon incontrôlée, tandis que le taux de la contribution est, lui, resté inchangé à 4,5 euros/MWh jusqu'à fin 2010, le ministre chargé de l'énergie s'abstenant de le modifier". Les Sages de la rue Cambon ont observé qu'entre 2004 et 2009, le total des charges de service public est passé de 1,53 milliard d'euros à 2,66 milliards d'euros. Au sein de ces charges, ce sont les achats d'énergie résultant du soutien aux énergies renouvelables (ENR) et à la cogénération qui se taillent la part du lion (près des deux tiers du montant). Parmi les ENR, les filières éolienne et photovoltaïque ont vu entre 2008 et 2010 leur poids relatif dans les charges compensées par la CSPE passer de 0,9% à 10,3%. La péréquation tarifaire dans les départements d'outre-mer et en Corse est passée pour sa part de 23% en 2004 à 45% en 2009. Quant aux tarifs sociaux, "bien qu'en forte croissance", ils "n'occupent encore qu'une place marginale (3,2% en 2008)", souligne la Cour. L'assiette de la CSPE a progressé moins vite que les charges et il en résulte un déséquilibre croissant du mécanisme de compensation, essentiellement supporté par EDF qui assume plus de 95% des charges du service public de l'électricité. Pour la Cour, les "mesures correctrices" apportées récemment (montant de la CSPE porté à 7,5 euros /MWh, moratoire sur le photovoltaïque) n'apportent pas de "véritable remède".
La Cour plaide donc pour une maîtrise des charges, critiquant notamment des tarifs d'achat de l'énergie solaire "trop attractifs" et fonctionnant "à guichet ouvert" pour des "filières peu matures où l'évolution des technologies conduira à une évolution rapide des coûts de production". Les Sages se demandent aussi s'il est "justifié" de faire reposer le financement des énergies renouvelables "sur le seul consommateur d'électricité".
Dans leur réponse à la Cour, les ministres de l'Economie et de l'Energie, Christine Lagarde et Eric Besson, défendent le système actuel en affirmant qu'il est "vertueux et équitable" que le coût complet de la production d'électricité "soit internalisé dans les prix de vente". Le ministre du Budget, François Baroin, partage lui l'analyse de la Cour et estime que "le Parlement devrait être en mesure de contrôler le dispositif et son équilibre" au vu "des enjeux budgétaires et financiers".
Ouvriers des parcs et ateliers : de nombreuses irrégularités
La Cour pointe également la "gestion administrative défaillante et laxiste" des ouvriers d'Etat du ministère chargé de l'équipement. Un sujet qui intéresse directement les collectivités : la Cour dénonce l'attribution de primes irrégulières ou abusives à ces ouvriers et notamment à ceux des parcs et ateliers. Cette bienveillance salariale a renchéri le coût des interventions des parcs de l'Equipement facturé aux collectivités ces dernières années. Ainsi, avant même le transfert aux collectivités des parcs, celles-ci ont payé les erreurs de gestion du ministère de l'Ecologie : "Le ministère s'est contenté d'accorder des avantages aux personnels, sans leur demander de contrepartie, et à faire évoluer en conséquence la facturation des prestations." Quant au transfert, qui concerne 5.000 agents, il a été effectué "sans préparation". L'absence de nouveau statut pour le personnel (voir notre article du 9 décembre 2010) "laisse les services sans base juridique" pour gérer certains agents. De plus, "la perspective du transfert des parcs aux départements, non seulement n'a pas empêché une très substantielle revalorisation des agents, mais elle semble au contraire l'avoir favorisée.(...) L'évaluation spectaculaire des niveaux de qualification depuis 2002, n'est pas sans lien, juge la Cour, avec les difficultés rencontrées aujourd'hui pour les éventuels reclassements de ces agents dans un cadre d'emploi équivalent de la fonction publique territoriale". La rémunération moyenne de ces ouvriers d'Etat s'élève actuellement à 2.500 euros bruts par mois.
Le chômage partiel pas assez utilisé
En période de crise, la France a "moins tiré parti du chômage partiel que d'autres comme l'Allemagne et l'Italie", estime par ailleurs la Cour. Même si cet outil a été rénové dans l'urgence en 2008 et 2009 avec la loi sur la formation professionnelle, trop tard pour faire face aux baisses de cadences. Au plus fort de la crise, 1,5 million de salariés étaient en chômage partiel outre-Rhin, contre 275.000 en France. Il faut dire que le rapport des dépenses qui lui sont consacrées est de un à dix entre les deux pays : 610 millions d'euros pour la France, 6 milliards en Allemagne. La Cour explique ce retard par le poids important en France des CDD et contrats d'intérim qui ont servi de variables d'ajustement, et la moindre importance de l'industrie dans l'économie. Le rapport regrette également que les heures de chômage partiel n'aient pas été suffisamment mises à profit pour former les salariés (malgré la mobilisation de quelques régions).
Niches fiscales
De manière générale, la Cour se montre inquiète sur l'état des finances publiques et veut étendre le "coup de rabot" sur les niches fiscales, notamment les exonérations aux entreprises. Toutes ces dépenses cumulent "coût et incertitude", a tancé Didier Migaud. L'une des cibles du rapport : la prime pour l'emploi dont le coût a doublé entre 2001 et 2009, ce qui en fait la quatrième dépense fiscale la plus importante. Censée inciter au retour à une activité professionnelle, elle est jugée trop "complexe", "faiblement incitative", mal pilotée et elle doublonne avec le RSA.
Alors que le déficit est estimé à 7,7% en 2010, l'objectif des 6% en 2011 peut être "atteint", essentiellement du fait de mesures ponctuelles ou temporaires comme la fin du plan de relance ou la réforme de la taxe professionnelle. "Nous sommes plus interrogatifs au-delà de 2011", a déclaré Didier Migaud. Le gouvernement est prié de respecter la loi de programmation qui pour l'heure, n'a pas de portée juridique supérieure aux lois de finances.