Les attributions de logements sociaux en débat
Les acteurs du logement social se sont réunis lundi 25 mars à la Maison de la Chimie pour débattre des réformes intervenues depuis dix ans en matière d'attribution de logements sociaux. Même améliorés, les dispositifs sont impuissants à régler l’insuffisance du parc disponible.
"Nous fêtons les dix ans du début de la réforme des attributions, mais je ne crois pas du tout que nous soyons à la fin de cette réforme". La présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), l’ancienne ministre Emmanuelle Cosse, a donné le ton du colloque organisé par le Réseau des acteurs de l’habitat le 25 mars à la Maison de la Chimie, à Paris. Intitulé "logement social et attributions, une équation impossible", celui-ci s’est révélé particulièrement fidèle à son titre.
Depuis 2014, cinq lois ont contribué à réformer en profondeur la gestion de la demande et des attributions des logements sociaux : la loi Alur en 2014 tout d’abord, puis les lois Ville (2014), Egalité et Citoyenneté (2017), Elan (2018) et enfin 3DS (2022). Leur objectif ? Rendre plus transparente et plus partenariale la gestion des attributions, et, surtout, favoriser l’accès au logement des demandeurs prioritaires et des plus modestes.
Mais pour quels effets ? Créé en 2017, l’Observatoire des initiatives locales a fait ses comptes : alors que 416 EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) étaient concernés par les réformes, 76% – soit 317 – ont créé des conférences intercommunales du logement (CIL) présidées par l’EPCI et le préfet ; 38% – soit 158 – ont élaboré des conventions intercommunales d’attribution ; et 33% seulement – soit 139 – des plans partenariaux de gestion (PPGID). Enfin, seule une centaine a mis sur pied un système de cotation, actif ou en déploiement.
Des réformes partiellement appliquées
Et c’est sans parler de la toute dernière réforme en cours, qui vise à transformer la gestion des droits des réservataires pour la faire passer d’un système de stocks – les réservataires ont des droits sur des logements identifiés physiquement – à un système de flux – ils bénéficient d’un pourcentage sur un volume de logements à attribuer. Celle-ci est encore largement émergente.
Même partiellement appliquées, les réformes ont permis des avancées, ont estimé les intervenants du colloque. Elles ont marqué la montée incontestée du rôle des intercommunalités comme "cheffes de file" du sujet. Par ailleurs, elles ont permis de renforcer le dialogue entre les différents partenaires du logement social et, partant, d’améliorer le pilotage du sujet. De nombreuses initiatives locales ont vu le jour pour accompagner la montée en compétence des acteurs. Malgré tout, la situation reste très hétérogène, la caractérisation sociale de l’occupation du parc est encore extrêmement imparfaite et, souvent, les réformes ont été abordées sous un angle technique et non politique, a constaté, par exemple, Aude Goblet, vice-présidente à la politique du logement et de l'habitat à Tours Métropole Val de Loire. "Ces réformes ont un caractère ultra-technique et c’est complexe pour des élus locaux qui n’ont pas toujours des services pour les accompagner."
De plus, les autorités réservataires – qui ont des droits sur des logements sociaux – ont souvent cristallisé leur position, et cela a aussi été le cas de l’Etat. "Il s’est cristallisé avec les autres, il n’a pas été aidant", a constaté Anne Voituriez, vice-présidente à l’habitat et au logement à la Métropole Européenne de Lille.
Une pénurie à gérer
"Mais nous nous trouvons aujourd’hui dans un contexte très différent de 2013, lorsque les critères d’attribution ont changé", a rappelé Emmanuelle Cosse. "A l’époque, il s’agissait d’améliorer la transparence, nous ne nous trouvions pas dans une situation de restriction. Aujourd’hui, nous comptons 50% de demandeurs en plus et nous avons attribué moins de 400.000 logements par an, c’est une baisse considérable. En 2013, nous recensions 3,8 demandes pour une attribution, en 2023, c’était 6,7 ! On ne résout pas la crise du logement à travers les politiques d’attribution." Johanna Rolland, maire de Nantes, présidente de Nantes Métropole et présidente de France urbaine, s’est montrée encore plus directe : "Le vrai sujet est celui de la production de logements, sans laquelle toute la chaîne du logement est grippée, de l’hébergement d’urgence au logement privé. Avec, pour résultat, qu’on assigne à résidence des Françaises et des Français. Mais il ne suffit pas de sauter comme un cabri pour dire : 'Il faut des logements !'"
Les projets gouvernementaux visant à réformer la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) pour inclure dans les objectifs de logements sociaux les logements intermédiaires (LLI) ont été critiqués par plusieurs intervenants. "C’est un modèle néo-libéral qui est en train d’être mis en place", a ainsi jugé la maire de Nantes. "Ce serait une erreur colossale de faire entrer le logement intermédiaire dans les objectifs SRU alors même que les ménages très défavorisés ont déjà moins de chance de se voir attribuer un logement social que les autres, et que la part du parc proposant des loyers inférieurs à 5 euros du m2 par mois a déjà diminué de 31 à 25%", a estimé Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Les pistes d’action
Fluidifier encore le processus d’attribution suppose donc plusieurs types d’actions et l’Etat a été convié à participer à chacune d'elles. Tout d’abord, en incitant les collectivités récalcitrantes à appliquer les réformes engagées en matière d’attribution de logements sociaux, "sinon, c’est une prime à la non-action", a jugé Christophe Robert. Ensuite, en contribuant à fluidifier les nouveaux dispositifs mis en place. Mais attention, ont précisé plusieurs intervenants : il ne s’agit pas de voter une énième loi au titre de la simplification. Mais plutôt, comme l’a résumé David Marti, maire du Creusot, président de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau, vice-président de Villes de France, "de faire preuve d’un peu de bon sens". "Il y a peu d’incitations pour les villes qui accueillent plus de publics fragiles que les autres", a ainsi déploré Guillaume Boudy, maire de Suresnes, membre du bureau de l’Association des maires de France (AMF).
Produire du logement a, bien évidemment, été le deuxième type d’action dont les intervenants ont convenu de l’urgence et pour lequel ils attendent les initiatives gouvernementales. Mais l’accroissement du rôle des intercommunalités et des villes a également été au centre des discussions. Le maire de Suresnes a rappelé que l’AMF avait pris position pour redonner du pouvoir au maire. Johanna Rolland a jugé quant à elle que le rôle des intercommunalités était crucial. "Nous voulons que les territoires soient organisateurs de l’habitat" a, enfin, estimé le maire du Creusot. La décentralisation annoncée promet une poursuite des débats !