Très haut débit - Les acteurs de l'aménagement numérique en quête d'un nouvel équilibre
Alors que l'exécutif avait ouvert un cycle de discussion avec l'ensemble des acteurs de l'aménagement numérique en vue de réhausser les objectifs de déploiement, ces derniers mois ont constitué une séquence confuse, où les collectivités engagées pour le numérique n'ont pas vraiment eu voix au chapitre. Deux enjeux se sont dégagés : le mix technologique de l'internet fixe, avec une perspective du 100% FttH qui s'éloigne, et l'équilibre institutionnel entre les acteurs, opérateurs nationaux, réseaux d'initiative publique, Arcep et État. Les nouvelles ambitions d'Altice-SFR dans le déploiement de la fibre sont symptomatiques d'un changement d'attitude des grands opérateurs, plus conquérants. Le gouvernement devrait, à la rentrée, rendre ses arbitrages et adopter une méthodologie plus claire sur les moyens d'atteindre l'ambition d'un "bon haut débit" pour tous en 2020, et du très haut débit pour 2022.
Quelle technologie pour quel débit dans les territoires ?
Depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron, les ambitions en matière de très haut débit n'ont pas toujours été simples à déchiffrer. Début juin en Haute-Vienne, le président de la République a affiché l'objectif d'une couverture 3G/4G du territoire d'ici 2020, ambition peu à peu clarifiée vers celle d'une couverture 4G totale. La 4G tient en effet une large place dans le discours d'Emmanuel Macron, qui la perçoit comme un complément à la fibre optique. Sur la fibre, le discours du président a évolué en plaçant le FttH comme une perspective sans cesse moins atteignable pour les zones les plus isolées. Un point qui inquiète l'Avicca, représentative des collectivités engagées dans les réseaux d'initiative publique, et qui perçoit le 100% FttH comme un gage d'avenir pour les territoires ruraux, bientôt aussi nécessaire que l'électricité. Autre inquiétude sur l'ambition du plan France très haut débit, celle des échéances : dans le sillage de la Conférence nationale des territoires, on a cru que l'objectif du très haut débit pour tous était avancé à 2020, en lieu de 2022. Que nenni : l'objectif du gouvernement est d'ajouter un objectif intermédiaire à 2020, pour garantir du "bon haut débit", à au moins 8Mb/s, pour tous les foyers. Un objectif qui devrait être servi par la 4G, le satellite, mais aussi la montée en débit du réseau cuivre et bien sûr, les déploiements en cours dans la fibre optique.
L'exécutif a-t-il ouvert la boîte de Pandore ?
Dans sa volonté d'accélérer le déploiement du THD, le gouvernement a voulu rencontrer les opérateurs et les acteurs de la filière des RIP, et leur demander de formuler des propositions avant le 31 juillet. En donnant ainsi l'impression de remettre en discussion les règles du jeu de l'aménagement numérique, cette séquence a accouché de postures parfois iconoclastes. Altice-SFR bien sûr, annonçant son ambition de fibrer tout le territoire sur fonds propres, en critiquant vivement le modèle des RIP, accusé de gaspiller l'argent public. Le groupe aux ambitions renouvelées espère, en public, dissuader certaines collectivités de poursuivre ou d'étendre leurs projets. Si le réalisme de l'ambition d'Altice peine toujours à convaincre, chacun a au moins compris qu'il ne s'agissait pas de la posture d'un jour.
Le bruit suscité par l'intention d'Altice cache cependant d'autres annonces, tout aussi symptomatiques. Deux départements ont finalement renoncé à des projets de RIP. Les Yvelines ont annoncé, fin juin, laisser TDF déployer le FttH sur fonds propres dans ses zones rurales. Plus récemment, les Hautes-Pyrénées ont annoncé discuter avec Orange pour un montage similaire, et ce depuis la mi-mai. Le conseil départemental se targue d'avoir négocié durant deux mois avec l'opérateur, pour que ce dernier s'engage à fibrer 90% de la population de ce territoire montagneux, et ce sans subvention. Au début de l'année, la chambre régionale des comptes avait épinglé le département pour une gestion douteuse de son RIP de première génération. Des critiques qui auront peut-être eu raison des ambitions des Hautes-Pyrénées. On sait que Orange a approché au moins un autre département du Sud-Ouest qui, pour sa part, a préféré maintenir son projet de RIP, s'inquiétant du peu d'engagements contractuels qu'implique un déploiement sur fonds propres de la part de l'opérateur. Enfin, Bouygues Télécom a dégainé le dernier, en déclarant son intérêt pour déployer en zone moyennement dense (Amii) si l'exécutif et Orange cédaient et acceptaient un nouveau partage de ces communes urbaines. Du côté des collectivités, le dilemme est clair : si le déploiement sur fonds propres permet d'économiser beaucoup d'argent public, le très haut débit est si stratégique pour l'attractivité du territoire que les incertitudes sur la fiabilité des engagements des opérateurs sont parfois insupportables. Les défaillances de SFR, par le passé, ont suscité la méfiance.
Les acteurs publics sur la réserve
Face aux revendications des opérateurs, les déclarations des acteurs publics se sont pourtant raréfiées. L'Arcep refuse de commenter les événements récents, alors que Altice affirme contre le régulateur, que la concurrence par les infrastructures est viable en zone rurale. Tout juste Jacques Mézard et Julien Denormandie expriment-ils leur attachement à l'engagement des collectivités, et leur prudence quant aux ambitions d'Altice. L'Avicca quant à elle, furieuse de voir le travail des RIP de nouveau menacé, n'a pu faire entendre publiquement sa voix. Du côté des opérateurs des RIP, on insiste sur l'ancrage local, et le sens de ces projets pour l'emploi. C'est finalement Orange, par la voix de son PDG Stéphane Richard, qui remplit le rôle de gardien du temple. En moquant les ambitions nouvelles de son rival Altice, et en exprimant son attachement pour le plan dans sa forme actuelle qui, selon lui, est capable d'honorer les nouvelles ambitions de l'exécutif. En définitive, il est peu probable qu'un grand nombre de projet de RIP soient déstabilisés. Mais il est clair que les négociations visant à accélérer les déploiements se joueront, à la rentrée, entre l'État et les opérateurs. Pour Julien Denormandie, il s'agit avec ces derniers de "discuter" ; quand auprès des collectivités, on "concerte".