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Ethique et déontologie des Legaltech : comment faire ?

Selon Philippe Bas, alors Président de la commission des lois du Sénat, « L’essor des nouvelles technologies représente un défi et une opportunité pour les professionnels du droit, mais il n’est pas dépourvu de risques. Ainsi, appartient-il au législateur de comprendre et de favoriser, mais aussi d’encadrer ces initiatives, dans l’intérêt des citoyens ».

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Les professions juridiques connaissent ces dernières années une évolution technologique de grande ampleur qui vient bousculer leurs méthodes et outils de travail. Parallèlement à l’apparition progressive de nouveaux outils technologiques (plateformes, algorithmes) de plus en plus efficaces pour effectuer certaines tâches, les rôles des professionnels juridiques se redessinent. Cette redéfinition nécessite alors d’intégrer bonnes pratiques et règles professionnelles en vigueur ou, à défaut, d’élaborer une nouvelle réglementation pour le respect de l’éthique et des règles déontologiques.

De timides avancées pour encadrer les LegalTech

Partant du constat que peu de dispositifs sérieux étaient mis en place pour encadrer les LegalTech, quelques initiatives ont vu le jour au cours de ces dernières années afin d’élaborer une base normative solide pour le respect de l’éthique et des règles professionnelles.

Au niveau national, on compte comme première initiative la création d’une « Charte Ethique pour un marché du droit en ligne et ses acteurs », de l’ADIJ (Association pour le Développement de l’Informatique Juridique) et l’association Open Law. La Charte est ouverte à tout type de professionnel juridique (institutions, associations, LegalTech) et compte à ce jour près de 100 signataires, dont :

éthique

© Charteethique.legal

Au sein de son préambule, la Charte vise plusieurs objectifs. Parmi eux, le respect des obligations en matière de sécurité et de confidentialité clients ainsi que la responsabilité des acteurs des LegalTechs. On retrouve ces objectifs dans le corps du texte qui prévoit des règles :

  • En matière de confidentialité des échanges et de conflit d’intérêts (articles 3 et 4),
  • En matière d’information loyale, claire et transparente (article 6),
  • Ainsi qu’en matière de responsabilité professionnelle (l’article 7 prévoit l’adhésion par toute LegalTech signataire d’une assurance de responsabilité civile professionnelle).

En dehors du territoire national, il est intéressant de préciser que l’Europe travaille aussi sur ce sujet puisque le Conseil de l’Europe promulguait dès 2018 sa « Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires et leur environnement », et qui concerne directement les LegalTechs utilisatrices de l’intelligence artificielle. La Charte établit cinq principes d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires et leur environnement :

  1. Respect des droits fondamentaux,
  2. Non-discrimination,
  3. Qualité et sécurité, transparence,
  4. Neutralité et intégrité intellectuelle et
  5. La maitrise par l’utilisateur. Autant de principes éthiques à suivre pour ses signataires.

Au niveau international, des démarches ont également été entreprises récemment. En effet, un « Code mondial de l’exécution digitale » a été promulgué en Novembre 2021, sur initiative de l’UIHJ (Union Internationale des Huissiers de Justice). Ce code a pour objet de définir des principes universels que les Etats devraient introduire dans leur législation nationale, pour encadrer l’usage du digital en matière civile et englober les nouvelles obligations éthiques inhérentes à l’utilisation de l’IA. Aucune action n’a été prise pour le moment par les pouvoirs publics français afin d’intégrer les valeurs du Code en droit interne.

Enfin, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a annoncé la publication prochaine de différents codes de déontologie pour les professionnels du droit, officiers publics et ministériels dont les notaires, commissaires de justice et greffiers de tribunal de commerce (article 31). Sans s’intéresser directement à la digitalisation du secteur, ces codes seront toutefois préparés par chaque instance nationale laissant présager que les rédacteurs concernés, professionnels du terrain, auront à cœur de traiter cette question.

En outre, les principes et devoirs professionnels permettant le bon exercice des fonctions seront à cette occasion codifiés. Il est rappelé que tout fait contraire au code de déontologie commis par un professionnel et toutes infractions aux règles professionnelles, constituent un manquement disciplinaire. La codification du régime disciplinaire constitue une avancée pour la relation de ces professionnels avec les justiciables, d’autant plus que des décrets en Conseil d’Etat leur donnera force contraignante.

Ces efforts d’encadrement sont donc multiples mais quid de leur efficacité en pratique ?

Utilité et efficacité des travaux menés

Même si le droit interne permet aujourd’hui d’encadrer de façon générale l’activité des LegalTech à travers différents textes (Code de la consommation, Loi Informatique et Libertés, Règlement Général sur la Protection des Données, recommandations CNIL), il parait toutefois opportun de le compléter avec de nouvelles règles en matière d’éthique et de déontologie, et ce pour plusieurs raisons.

 

L’un des moyens d’encadrer les LegalTech est de s’assurer de la conformité de leurs services repose sur l’idée de leur labélisation.

L’avantage du label est triple :

  • Les usagers et consommateurs y trouvent un gage de crédibilité,
  • Les régulateurs ont ainsi un moyen de contrôler les acteurs concernés et, 
  • Les entrepreneurs gagnent en visibilité sur le marché (en ce sens que le label récompense les start-ups faisant l’effort de se mettre en conformité face aux autres, faisant ainsi jouer la concurrence). Sur ce point, le ministère de la Justice s’est orienté vers une démarche de certification-labélisation des plateformes de règlement des litiges en ligne en lançant en janvier 2021 la certification « Certilis », toujours dans cette optique d’offrir des garanties aux utilisateurs.

L’enjeu de se conformer à une certaine éthique ou à des règles professionnelles proposées sur le marché comprend bien un avantage concurrentiel ainsi qu’un impact sur l’image de marque. La labélisation des LegalTechs répond à ces besoins et est donc à ce titre un enjeu majeur dans la responsabilisation des plateformes juridiques digitales.

Quant à l’efficacité des chartes présentées, celles-ci ne sont pas contraignantes. Il s’agit bien de démarches normatives souples. A ce jour, la signature de la Charte Ethique pour un marché du droit en ligne et ses acteurs reste par exemple volontaire et pour les adhérents, ces derniers ne sont même pas dans l’obligation d’être immédiatement conformes à toutes les exigences de la Charte.

Pour autant, même si la majorité des démarches réalisées pour responsabiliser les acteurs ne sont pas contraignantes, les initiatives sur ce terrain sont opportunes. En effet, l’un des objectifs poursuivis par les travaux menés pour l’élaboration de la Charte était avant tout de penser une première ébauche sur le sujet, laquelle servirait ensuite de modèle au législateur français. Par conséquent, si les premières ébauches ne sont pas contraignantes en soi, elles serviront de modèle à de futurs projets contraignants.

Rajoutons que, s’il s’agit à l’heure actuelle de droit souple, il n’en reste pas moins que le juge peut toujours y fonder sa décision et ainsi faire jurisprudence pour les prochaines années.

Enfin, comme mentionné plus haut, les codes déontologiques seront actés par décret en Conseil d’Etat et seront donc contraignants.

Le marché actuel étant majoritairement dominé par des acteurs privés, il appartient aux professionnels du droit d’appréhender cette révolution digitale et de maintenir un cadre déontologique et une réflexion éthique autour de l'utilisation des solutions digitales. La digitalisation du monde du droit a vocation à perdurer, il est donc essentiel que les acteurs concernés s’en saisissent au plus tôt. La prochaine étape sera donc que les instances étatiques, construisent sur les bases préétablies, un dispositif réglementaire spécifiquement axé sur la question de l’éthique et des règles professionnelles en matière de LegalTech.