Le trottoir, plateforme de services de la smart city
Lieu de déploiement des infrastructures et réseaux, le trottoir catalyse les grands enjeux de la smart city. Symbole de "la ville en tant que plateforme", terrain de jeu des start-up, c'est aujourd'hui un espace en tension pour lequel les villes doivent concevoir de nouvelles formes de régulation.
"Si vous voulez regarder l'avenir des villes, regardez le trottoir" titrait récemment un éditorialiste du New York Times. Google en est le premier convaincu : sa filiale dédiée à la smart city a pris le nom de "Sidewalk Labs", autrement dit le "laboratoire du trottoir". De fait, le trottoir est un lieu privilégié des innovations liées à la smart city en matière de mobilité, de commerce, de services comme de déploiement des capteurs. Les usages du trottoir d'aujourd'hui s'inscrivent dans une longue histoire comme l'a rappelé Isabelle Baraud-Serfaty, présidente du cabinet Ibicity qui intervenait le 25 novembre dans le cadre d'une conférence autour du "trottoir, espace de plug & play de la smart city" organisée par la Fabrique de la Cité : "Le trottoir est né à Londres au début du XIXe siècle pour fluidifier la circulation des piétons et améliorer l'hygiène à une époque où le cheval était omniprésent. Il s'est rapidement imposé dans les métropoles comme le lieu d'implantation des réseaux urbains : égouts, gaz puis électricité…. C'est le symbole même de la ville des infrastructures. Désormais c'est celui de la ville des plateformes."
Le trottoir plateforme d'innovation
Les gestionnaires de réseaux ont été les premiers à s'emparer des trottoirs. Armoires et chambres techniques, fibre optique… les grandes artères de la ville connectée passent par les trottoirs. Un phénomène qui ne va pas s'arrêter, les lampadaires, mobiliers urbains et poteaux d'éclairage public étant mobilisés pour accueillir les émetteurs Wifi comme les réseaux bas débit de l'internet des objets (LoRa, Sigfox). "Demain il sera le lieu privilégié pour implanter les "small cells" de la 5G nécessaires à l'avènement du véhicule autonome" pronostique Alain Guillaume, en charge de la smart city chez Omexom. Les gestionnaires de réseaux ne sont cependant plus les seuls à convoiter ces quelques mètres carrés de bitume. Horodateurs connectés, abribus communicants, lampadaires intelligents… les fournisseurs de mobilier urbain ont été parmi les premiers à se lancer sur le marché de cette smart city en "dur". Les start-up et la multitude se sont ensuite précipitées pour exploiter cet "actif" de la smart city. Trottoirs producteurs d'énergie grâce aux passants (testé à Toulouse), arbres solaires (déployé à Nevers), dispositifs visant à couper l'accès réseau des piétons avant de s'engager sur un passage clouté (en Corée)... le trottoir est un lieu intense d'innovation.
Revisiter la valeur du trottoir
"Ces services génèrent de la valeur mais aussi toujours plus de de flux. Pour faire face aux conflits d'usage, les villes doivent le réguler ou le repenser", explique Emmanuel Mussault, en charge de la smart city chez Michelin. Le cas des trottinettes électriques ne serait ainsi qu'une illustration d'un problème qui va s'aggraver dans les années à venir avec les drones et autres robots livreurs. Face à cette invasion, la première réponse des villes relève de l'urbanisme avec une reconfiguration des espaces de circulation. Dans la plupart des grandes villes on observe ainsi une augmentation de la taille du trottoir, pour réduire la place de la voiture et l'ouvrir à de nouveaux usages : mobilités douces, divertissement, végétalisation…. Une solution encore plus radicale, explorée par Sidewalks Labs dans un quartier de Toronto, consiste à faire disparaître le trottoir en transformant l'espace public en une vaste plateforme où des signaux lumineux ajustent en permanence les espaces réservés aux piétons et aux voitures selon les moments de la journée. Bourré de capteurs, ce "trottoir interface" suscite aujourd'hui surtout des interrogations, les riverains s'étant inquiétés des données que ce système pourrait collecter et du respect de leur vie privée.
Trottinettes et régulation par la data
À court terme, les villes sont surtout invitées à remettre à plat les règles d'occupation du trottoir. "Les approches diffèrent très fortement d'un pays à l'autre. À Paris, les trottinettes sont par exemple interdites de trottoirs et doivent circuler sur la route. À Singapour c'est le contraire", souligne Emmanuel Mussault. Concevoir les règles est une chose, les faire appliquer en est une autre, surtout quand il s'agit de contrôler des flux. Or force est de constater que les données sont rares sur cette portion d'espace public. "Aux États-Unis de nombreuses start-up se sont positionnées sur ce créneau du "curb", terme qui désigne le bord du trottoir et n'a pas vraiment d'équivalent en Français" explique Isabelle Baraud-Serfaty. Ces sociétés proposent, via des techniques d'imagerie telles que le Lidar (image Laser) une maquette virtuelle du trottoir à laquelle sont associées des catégories d'usages et une réglementation. Parmi les premiers usages de ces outils : la régulation des trottinettes en free-floating. Une maquette numérique du trottoir est en effet un préalable indispensable à la définition des espaces de stationnement des trottinettes électriques. Ce zonage peut ensuite être fourni aux plateformes pour aiguiller leurs utilisateurs vers les espaces de stationnement autorisés. Et inversement, via les coordonnées GPS des trottinettes fournies par les opérateurs, la collectivité pourra contrôler le respect des règles qu'elle a édictées.