Entreprises - Le tandem région-métropole roule pour la réindustrialisation
Le "made in France" se vend bien... au moins électoralement. Après le lancement d'un label Origine France garantie, les collectivités converties au marketing territorial ont suivi : il ne se passe pas un mois sans qu'une région communique sur le lancement de sa propre marque. Même à Bruxelles, l'idée d'une politique industrielle européenne, voire de "Buy European Act", n'est plus une hérésie.
La crise a fait tomber les dogmes de la société post-industrielle mais dès qu'il s'agit de savoir comment s'y prendre pour rapatrier ou attirer la production en France, cela se complique. Car comme l'a montré l'économiste américaine Suzanne Berger il y a quelques années, on vit à l'heure du "made in Monde". Un même produit contient des composants en provenance des quatre coins de la planète avant d'être assemblés. Pour Pierre Veltz, économiste et PDG de l'établissement public de Paris-Saclay, intervenant devant le Cner [Fédération des comités d'expansion et des agences de développement économique], mardi 20 mars, sur le thème "produire en France, quel rôle pour les collectivités", "les chaînes de production sont extrêmement internationalisées, ce qui importe, c'est de garder un bon positionnement au niveau des chaînes de valeurs".
Choix stratégique
Dès lors, la réindustrialisation repose moins sur les relocalisations qui restent marginales que sur un véritable choix stratégique : qu'est-ce qui a vocation à se délocaliser et qu'est-ce qui doit être soutenu ? "Certaines activités sont amenées à être externalisées, il ne faut pas avoir peur de délocaliser une partie de la production : le Pays basque souvent cité en exemple encourage un certain nombre d'industries à s'implanter en Pologne", souligne Pierre Veltz. L'Allemagne, autre exemple toujours cité, tire notamment sa force de la qualité de ses produits. Mais le "high tech" n'est plus l'alpha et l'oméga de l'innovation. "Le 'low tech' et le 'middle tech' créent aussi de l'emploi, à condition de cibler la très haute qualité. La notion de gamme n'est pas la bonne", poursuit-il.
Après le modèle des trente glorieuses et ses fleurons - Airbus, TGV, nucléaire -, les pouvoirs publics s'attachent de plus en plus à développer les PME créatrices de valeur ajoutée et d'emplois. "On est dans un contexte de restructuration et de transition permanentes, le niveau local est infiniment mieux armé pour gérer à chaud ces restructurations, continue l'économiste. On assiste à une transition du national-colbertiste au territorial-darwinien, dont les écosystèmes sont la métaphore à la mode."
Les collectivités, puisque c'était le thème de cette journée, ont plusieurs cartes en main. D'abord la qualité de l'accueil (infrastructures, cadre de vie) et de la main-d'oeuvre (formation). La France est de ce point de vue toujours très bien notée, le dernier bilan de l'Agence française pour les investissement internationaux en atteste. "Les entreprises vont aller là où les gens ont envie de vivre : la question de l'économie résidentielle et du développement productif sont couplées", assure Pierre Veltz. D'ailleurs, selon lui, la réindustrialisation ne signifie pas un retour aux cheminées fumantes. Les activités montantes seront anthropocentrées : mobilité, santé, éducation, habitat... Services et industries seront de plus en plus mêlés, notamment avec l'essor du numérique.
Guerres picrocholines
Pour s'épanouir dans leur "écosystème", les entreprises demandent en retour une simplification des procédures, une clarification des compétences... Alors que le financement est le nerf de la guerre, tous les candidats à l'élection présidentielle s'entendent sur la création d'une banque d'investissement des PME. Une idée s'affirme de plus en plus clairement : à l'Etat le financement des grandes entreprises, aux collectivités celui des PME et des ETI à fortes retombées territoriales. Ce que les régions ont déjà entrepris en se dotant de fonds d'investissements régionaux. "Produire en France c'est possible, encore faut-il avoir une politique industrielle", soutient le président de l'Association des régions de France (ARF) Alain Rousset, prenant l'exemple des 35 milliards d'euros du programme des investissements d'avenir : "En France, on est allé à la pêche aux carrelets, on a regardé les pousses qui remontaient, avec de très belles prises, sauf que ça ne fait pas une politique industrielle."
Sans dénier le rôle de "l'Etat stratège", pour les chantres de la décentralisation économique, la solution passe par le couple régions-métropoles. Robert Lion, président de l'Agence régionale de développement Paris-Ile-de-France, est très clair : il appelle à faire une "croix sur le département". "Il y a des points de vue locaux, mais le désordre et l'image du désordre, vu de l'extérieur, cela ne colle pas", dit-il, citant l'exemple d'une délégation pléthorique de treize personnes d'un comité d'expansion lors de l'exposition universelle de Shanghaï. Pour autant, les départements estiment encore avoir une carte à jouer. Certains, comme la Vendée, affichent leur réussite économique, d'autres, les plus ruraux, font valoir qu'ils risquent de faire les frais d'une entente région-métropole. Ils revendiquent un deuxième niveau : département-intercommunalités. "Il faut cesser avec ces guerres picrocholines françaises, le problème est européen, tranche Nicolas Ravailhe, directeur du cabinet Eureagis. C'est la capacité du droit d'intervention publique, qu'il s'agisse de la région ou de l'Etat, on sous-estime ce frein européen et il n'y a pas de consensus à Bruxelles pour le lever."