Le Sénat se paye le haut-commissariat au plan
Un débat organisé au Sénat à l'initiative du groupe écologiste, le 10 avril, a mis en doute la plus-value du haut-commissariat au plan incarné par François Bayrou depuis trois ans et demi. Sa production, intéressante mais maigre, ne se traduit pas en planification.
"Eclairer les choix collectifs que la Nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté." Lors de sa nomination en 2020, avec la grandiloquence des Trente Glorieuses, le haut-commissaire au plan, François Bayrou, se voyait assigné des objectifs ambitieux. Trois ans et demi plus tard, il n'a pas vraiment répondu aux attentes. "C’est peu dire que nous restons sur notre faim", a taclé Daniel Salmon, en ouvrant le 10 avril un débat sur le thème "haut-commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ?", organisé à l'initiative du groupe écologiste. Christian Bilhac (Hérault, RDSE) ne s'est pas montré plus clément, ironisant sur un "comité Théodule plan-plan" qui n'a pas su se démarquer de la pléthore d'organismes existants.
Dans l'ensemble, les sénateurs conviennent que le haut-commissariat a pu produire des notes intéressantes (dix-huit rapports sur la démographie, les retraites, l'aquaculture, l'agriculture, les médicaments, les finances publiques, le travail, l'électricité…) mais elles ont eu bien du mal à se traduire en action politique. Pire, "la crise budgétaire est prétexte à ponctionner massivement dans les crédits de la transition écologique, lesquels sont réduits de 2,2 milliards d’euros", a relevé Nicole Bonnefoy (SER, Charente).
Absence de planification
La création du haut-commissariat était censée ressusciter le Commissariat général au plan, transformé en centre d'analyse stratégique en 2006 devenu France stratégie en 2013. Ce dernier, rattaché à Matignon, est considéré aujourd'hui comme un organe d'évaluation, quand le haut-commissariat - avec ses 350.000 euros de budget annuels auxquels s'ajoutent 150.000 euros au titre du Conseil national de la refondation -, fait de la prospective. Mais sa vocation planificatrice laisse dubitatif.
"Le problème du haut-commissariat au plan et à la prospective, ce n’est pas la qualité de ses travaux, c’est que personne ne les applique", a assené Vanina Paoli-Gagin (Aube, LI). Ces rapports "ne servent qu’à garnir des bibliothèques". La sénatrice estime qu'au contraire, "les Chinois sont devenus les champions de la planification". "Ils ont fait ce qu’ils savent faire : ils ont copié une idée produite chez nous, la planification, pour l’industrialiser chez eux. Dans ce pays, lorsque l’objectif est fixé, tout l’appareil d’État se mobilise d’un coup", a-t-elle développé.
Pour Daniel Salmon, la note sur l'agriculture ne comportait par exemple aucune "planification écologique digne de ce nom". Et de regretter aussi l'absence d'une "véritable planification" sur les questions d’aménagement du territoire. "Je pense aux mobilités, notamment au réseau ferré, pour mieux desservir et structurer les territoires. Laisser faire le marché amène à toujours plus de concentration, et ce à tous les niveaux. Rééquilibrer notre pays demande une action publique au travers de politiques qui n’abandonnent pas des territoires et restaurent les services publics", a-t-il développé.
Une réflexion à venir sur l'aménagement du territoire
Christian Bilhac a interrogé les liens entre le haut-commissariat au plan et à la prospective et la gouvernance des contrats de plan État-région ou interrégionaux. " "Aucune lettre de mission ne semble avoir été donnée à cet égard au HCP", a-t-il fait remarquer. "L’aménagement du territoire reste un axe essentiel pour nos territoires. Après des années de ringardisation sémantique, le mot 'planification' est redevenu porteur dans le débat public. Le retour au 'planisme' a de quoi étonner de la part d’un exécutif qui, depuis 2017, se réclame de la start-up nation", s'est-il interrogé.
S'agissant de l'aménagement du territoire, Prisca Thévenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement, a annoncé que le haut-commissaire allait se saisir de ce dossier "au cours des prochaines semaines", de même que de la question de la santé mentale.
Rare voix à prendre la défense du HCP, Denise Saint-Pé (Union centriste, Pyrénées-Atlantiques) a invoqué la note intitulée "Electricité, un devoir de lucidité", parue en 2021. Cette note "était d’autant plus pertinente qu’elle alertait sur le risque de black-out, menace devenue particulièrement concrète un an plus tard, quand la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine s’est ajoutée aux problèmes de corrosion sous contrainte d’une partie de nos réacteurs nucléaires".