Le réseau transeuropéen de transport face au risque de panne sèche ?

La semaine prochaine seront publiés les résultats de l'appel à projets 2023 du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe finançant les projets du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Le prochain sera lancé en septembre, sur la base du nouveau règlement tout récemment publié au JOUE. Seulement les crédits pourraient bien manquer.

C'était l'un des tout derniers textes adoptés par le Parlement avant les élections : le nouveau règlement sur le réseau transeuropéen de transport, définitivement adopté par le Conseil le 13 juin, a été publié au JOUE le 28 juin. Ces lignes directrices révisées, présentées par la Commission en 2021, s'inscrivent dans le "Pacte vert" (et plus précisément le paquet "mobilité verte") et dans la stratégie de mobilité durable et intelligente du 9 décembre 2020. L'objectif est donc de parachever ce grand réseau de transports à travers l'Europe en vue d'une intégration toujours plus grande du marché intérieur, en tenant compte des enjeux de décarbonation et de l'augmentation du trafic à venir. Les transports sont responsables de 25% des émissions de gaz à effet de serre en Europe, rappelle le règlement, alors que le Pacte vert table sur une diminution de 90% d'ici 2050. La stratégie européenne "prévoit que la part du marché du trafic ferroviaire de marchandises devrait augmenter de 50% d’ici à 2030 et doubler d’ici à 2050, tandis que le transport par voies navigables intérieures et le transport maritime à courte distance devraient augmenter de 25% d’ici à 2030 et de 50% d’ici à 2050, et que le trafic ferroviaire à grande vitesse devrait doubler d’ici à 2030 et tripler d’ici à 2050".

Le règlement de 230 pages vise donc à "provoquer un choc de report modal en faveur du ferroviaire, de connecter les grands ports et aéroports, de doter l'Union d'une vraie stratégie pour le déploiement des terminaux multimodaux et d'intégrer les grandes métropoles au dispositif", avait résumé le Français Dominique Riquet (Renew Europe), rapporteur du texte, lors de son ultime session parlementaire (il a décidé de ne pas se représenter). Le texte entend ainsi éliminer les "goulets d'étranglement" et mettre en place "les chaînons manquants en matière d’infrastructures" entre les Etats membres et leurs voisins, dans la perspective des futurs élargissements.

A cet égard, la proposition de la Commission a été rattrapée par le contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine. Le règlement a été amendé pour suspendre les projets d’infrastructures de transport avec la Russie et le Bélarus. Au contraire, ceux avec la Moldavie et l'Ukraine ont été renforcés. Il tient aussi compte du contexte militaire et prévoit un renforcement des infrastructures pour le déploiement des troupes et des chars.

Neuf corridors

La réalisation du réseau doit poursuivre trois étapes : l’achèvement d’un réseau central d’ici à 2030, d’un réseau central étendu d’ici à 2040 (c'est une nouveauté du règlement révisé) et d’un réseau global d’ici à 2050. 

Le règlement repose sur neuf corridors européens : Atlantique, Mer Baltique-mer Noire-mer Egée, Baltique-Adriatique, Méditerranée, Mer du Nord-Rhin-Méditerranée, Mer du Nord-Baltique, Rhin-Danube, Scandinavie-Méditerranée, Balkans occidentaux-Méditerranée orientale. Ces corridors "sont constitués des parties du réseau central ou du réseau central étendu qui revêtent la plus haute importance stratégique". Le règlement fournit en annexe toute une série de cartes sur ces corridors. Il fait par ailleurs passer de 88 à 424 le nombre de grandes villes considérées comme des "nœuds urbains" et amenées à élaborer des plans de mobilité urbaine durable (PMUD) d'ici au 31 décembre 2025. Et ce afin d'encourager les véhicules électriques et d'aller vers des émissions nulles de gaz à effet de serre. "Les agglomérations françaises sont dans l'ensemble plus avancées que d'autres, l'idée étant de mettre tout le monde à niveau. S'il n'y a pas de PMUD en tant que tels, il existe des schémas équivalents qui, au moment de leur révision, devront tenir compte des critères définis pour leurs contenus", explique Marion Chauveau, chargée de mission au bureau de la région Nouvelle-Aquitaine à Bruxelles. Région où Bordeaux a été rejointe par Poitiers et Limoges dans cette liste de grandes villes.

Enfin, le règlement dresse toute une série d'exigences techniques pour favoriser la mutlimodalité et d'interopérabilité entre les différents modes de transport. Toutes ces règles servent de base à l'octroi de financements pour les projets d'infrastructures de transport, à travers le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) qui bénéficie d'une enveloppe d'environ 34 milliards d'euros pour la programmation actuelle (2021-2027), dont 25 pour les seuls transports (le reste allant à l'énergie et au numérique). Cette enveloppe est versée sous appels à projets. Or c'est là que le bât blesse. Ces appels à projets sont lancés au mois de septembre par l'agence Cinea (European Climate, Infrastructure and Environment Executive Agency) de la DG Mouv. 

845 milliards d'investissements nécessaires

Les résultats du dernier appel à projets de septembre 2023 devraient être dévoilés cette semaine. Mais pour le suivant, tout le monde s'accorde à dire que les enveloppes sont à sec. Et l'avenir des projets est aussi tributaire de la situation politique (et géopolitique) et de la reconduction ou non d'Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission. Pas moins de 845 milliards d'euros devront être investis dans les quinze prochaines années pour rester en ligne avec les objectifs, peut-on lire dans le rapport des coordonnateurs du RTE-T, publié en avril. Ce qui, dans la bataille budgétaire à venir, relève de la gageure. Pour relever le défi, les coordonnateurs préconisent de concentrer le MIE là où l'UE apporte une véritable "plus-value" : les infrastructures transfrontalières, les projets visant à améliorer la mobilité militaire (ces derniers pourraient même constituer un pilier à part) et l'interopérabilité (comme le système de signalisation de référence ERTMS). Pour les investissements relevant davantage des Etats (comme les tronçons nationaux), ils suggèrent de s'inspirer du modèle de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) afin de "subordonner les décaissements à la mise en œuvre de réformes de la politique des transports au niveau national". Un moyen de pression qui permettrait d'accélérer les projets (une petite musique que l'on entend aussi sur l'avenir de la politique de cohésion – voir notre article du 24 juin).

 

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