Le gouvernement prépare des assises des dérives sectaires et du complotisme
À la faveur de la crise sanitaire, les "dérives sectaires" ont fortement progressé en 2021, selon le rapport annuel de la Miviludes qui recense plus de 4.000 saisines, soit un bond de 33% en un an. La secrétaire d'État chargée de la citoyenneté a annoncé l'organisation d'"assises des dérives sectaires et du complotisme" au premier trimestre 2023. Deux phénomènes qui, selon elle, présentent une "porosité" de plus en plus grande.
En s’appuyant sur le rapport annuel de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès, a annoncé, le 3 novembre, la tenue d’assises des dérives sectaires et du complotisme, afin de trouver de nouveaux outils pour "combattre efficacement ce fléau". "La porosité entre les deux phénomènes et leur interdépendance tend à s’accroître", affirme le secrétariat d’État. Même si le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), Christian Gravel, président de la Miviludes, souligne, en introduction de ce même rapport, qu’il faudra veiller "scrupuleusement à distinguer ce qui relève de la liberté de conscience des dérives porteuses de préjudices pour les victimes". Une tâche qui s’avère délicate, tant les contours du "complotisme" semblent flous. La grande différence avec les dérives sectaires tient au fait, explique le rapport, que les théories complotistes ne reposent pas sur un "contrôle et un système d’exploitation des adeptes". Elles constituent en revanche "un discours de revanche contre les élites et contre le système socio-économique dans lequel l’individu vit".
Marquée à sa création en 2002 par une série d’affaires retentissantes (scientologie, Mandarom, Temple solaire…), la Miviludes a connu un passage à vide dans les années Hollande-Valls pendant lesquelles priorité était donnée à la lutte contre la radicalisation. Depuis son rattachement au ministère de l’Intérieur en 2019, elle retrouve ainsi l’avant-scène et prend une tournure plus politique. La crise sanitaire a engendré la "prolifération de nouveaux acteurs, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères", s’alarme Christian Gravel. "Un nouveau cap a été franchi." En 2021, la Miviludes a ainsi reçu 4.020 saisines, soit une augmentation du nombre de saisines de 33,6% par rapport à 2020. C’est presque un doublement par rapport à 2015. Et encore ne s’agit-il là que de la "partie émergée de l’iceberg", prévient Sonia Backès, qui explique que ce phénomène la "touche personnellement" (sa mère ayant appartenu à la Scientologie).
Des "multinationales de la spiritualité" aux "gourous 2.0"
Les "multinationales de la spiritualité" sont toujours bien implantées et actives : 99 saisines concernent les Témoins de Jéhovah, 33 l’église de Scientologie et 31 l’anthroposophie (doctrine spirituelle développée par l’Autrichien Rudolf Steiner). Les religions classiques ne sont pas en reste : la mouvance chrétienne est visée par 293 saisines. Mais avec 744 saisines traitées, la santé est le sujet de "préoccupation majeure". 70% d’entre elles concernent les pratiques de soins non conventionnelles telles que la naturopathie, le reiki, la "nouvelle médecine germanique", etc. Et le mode opératoire a bien changé. Avec le recours à internet et aux réseaux sociaux, un phénomène sectaire "à l’état gazeux" se met en place. "Le groupe est bien là, mais il est mobile, changeant et impalpable", observe la Miviludes. 4% des saisines concernent le complotisme et "le mouvement antivax" (avec 148 dossiers)…
La crise sanitaire couplée à la crise sociale a facilité l’émergence de "gourous 2.0", des "manipulateurs isolés et parfaitement autonomes" qui ont pu "aisément exploiter ce contexte". "Le porte-à-porte et les grandes réunions n’étant plus une option durant les périodes de confinement, le recrutement s’est davantage fait par téléphone, mail ou courrier", explique le rapport, notant que la désertification médicale des campagnes a pu constituer un terreau favorable aux médecines alternatives. Le travail de la Miviludes a récemment motivé le déréférencement de 6.000 "patriciens du bien-être" de la plateforme Doctolib qui cherche à se recentrer sur les soignants autorisés. Parmi les praticiens éconduits : des naturopathes, des sophrologues, des hypnothérapeutes, tous non-inscrits dans les répertoires officiels.
Éco-villages
La mission s’inquiète aussi des sites de ventes multi-niveaux qui proposent à des jeunes de devenir trader, de s’enrichir rapidement grâce aux cryptomonnaies, à qui on demande souvent de suivre une formation en ligne… Parmi les autres phénomènes qui gagnent du terrain : la méditation de pleine conscience, le "féminin sacré", le virilisme, le néo-chamanisme, le survivalisme… La Miviludes consacre tout un chapitre au développement des "éco-villages", ces "lieux de vie communautaires et autarciques où les habitants entretiennent un fort rapport à la nature, à l’agriculture et à l’autosuffisance". Rien de répréhensible là-dedans, sauf quand ils conduisent à des situations "de déscolarisation pour les enfants, d’épuisement, de dénutrition, d’abus de faiblesse, d’escroquerie, d’abus de confiance, de violences psychologiques voire physiques ou sexuelles, etc." Le rapport cite l’exemple du mouvement "One Nation" qui souhaite créer un réseau de villages peuplés "d’êtres souverains", dont l’objectif serait de s’émanciper totalement de l’État. En septembre 2021, le mouvement avait cherché à acheter 200 hectares dans le Lot via une cagnotte qui avait récolté 265.000 euros en quelques jours (sur un objectif de 750.500 euros). La personne à l’origine de ce projet "n’aurait pas caché sa volonté d’attirer plus de 200 personnes sur place et, à terme, ravir la mairie" de Sénaillac-Lauzès (128 habitants). Mais la cagnotte a finalement été suspendue et le terrain préempté par la Safer régionale.
La Miviludes intervient aussi dans la prévention et la sensibilisation : mallettes pédagogiques à l’attention des forces de l’ordre, actions auprès des sapeurs-pompiers dans les Sdis ou auprès des élus locaux, dans le cadre d’une convention passée avec l’Association des maires de France (AMF)… Les assises, qui seront organisées au premier trimestre 2023, devront continuer ce travail de sensibilisation. Elles poursuivront deux autres objectifs, précise le secrétariat d’État : "créer des modalités de coopération renouvelées favorisant l’identification et le signalement des dérives sectaires" ; "élaborer un plan d’action pluriannuel permettant d’adapter notre organisation ainsi que notre arsenal juridique à l’évolution du phénomène". Sur ces quelque 4.000 saisines - qui émanent pour l'essentiel de particuliers - une vingtaine seulement ont débouché sur un signalement au procureur de la République.