Le gouvernement lance les Assises de la forêt et du bois
Le gouvernement a lancé ce 19 octobre au soir les Assises de la forêt et du bois promises par Jean Castex le 24 juillet dernier. En associant toutes les parties prenantes au sein de quatre groupes de travail thématiques, ces Assises entendent apporter d'ici fin janvier 2022 des "propositions opérationnelles" pour répondre aux difficultés de la filière, confrontée aux effets du changement climatique et au problème de la valorisation de la ressource, une grande partie des grumes partant à l'exportation tandis que la France importe du bois transformé.
Pas moins de quatre membres du gouvernement - Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture, Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'industrie, et Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité – ont donné ce 19 octobre au soir le coup d'envoi des Assises nationales de la forêt et du bois. Promises par Jean Castex le 24 juillet dernier (lire notre article), ces assises, qui associeront "l'ensemble des parties prenantes reconnues au niveau national", y compris des associations de défense de l'environnement, vont devoir apporter des "propositions opérationnelles" aux multiples défis environnementaux et économiques de la filière, qui représente 400.000 emplois en France.
Besoins dans le secteur du bâtiment
Alors qu'elle est très attendue pour verdir le secteur de la construction, elle doit faire face à des difficultés d'approvisionnement. Les scieries peinent à se fournir en grumes (les troncs débarrassés des branches), notamment de chêne, face à la fièvre acheteuse chinoise. Aujourd'hui les grumes françaises partent ainsi massivement à l'exportation, tandis que la France importe du bois transformé, mieux valorisé. À la clé, un "déficit commercial chronique de six milliards d'euros", a souligné Agnès Pannier-Runacher, lors de l'ouverture des assises. "Nous avons besoin de mettre du bois français dans nos constructions de bâtiment", a plaidé à ses côtés Emmanuelle Wargon.
Repeuplement des forêts
Julien Denormandie attend de ces assises des "réponses concrètes" aux "immenses défis" du secteur. Depuis un an, l'exécutif a annoncé successivement plusieurs enveloppes dédiées à la filière dans le cadre du plan de relance (300 millions d'euros au total) et récemment du plan d'investissement "France 2030" (500 millions d'euros). Il s'agit de subventionner le repeuplement des forêts fragilisées par le changement climatique, mais aussi de moderniser des scieries pour qu'elles soient capables de répondre aux besoins grandissants du secteur de la construction, à la recherche de bois plus industrialisé, sur la base de préfabriqué notamment.
La nouvelle réglementation, qui entre en application dans le secteur du bâtiment au 1er janvier 2022 (RE2020), impose en effet aux constructeurs de nouvelles normes pour décarboner leur production, encourageant notamment la construction en bois. Grâce aux fonds débloqués, "on est en train de changer d'échelle en matière d'investissement", a salué auprès de l'AFP Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois (FNB) qui représente scieurs et transformateurs. "Le produit de tous les efforts va se ressentir dans la durée. Quand vous investissez dans une usine, cela prend trois ans, laissons-la pousse grandir", avance-t-il. Reste à s'assurer des approvisionnements réguliers en matières premières. Or "la situation vue du côté des scieries continue de s'aggraver", selon Nicolas Douzain-Didier. "Pour travailler sereinement, les scieries ont besoin de disposer de six mois de stock de grumes. Il y a deux mois, le stock était à 3,5 mois. À date, il est à 2,9 mois", s'inquiète-t-il.
Neutralité carbone
Les travaux des assises vont s'organiser au sein de quatre groupes de travail correspondant aux thématiques prioritaires qui ont été identifiées. Le premier, présidé par Anne-Laure Cattelot, députée LREM du Nord et auteur d’un rapport en 2020 sur la forêt et la filière bois, et Michel Eddi, président de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), va s'intéresser au rôle de la forêt et du bois dans l'atteinte des objectifs de neutralité carbone. Alors que la stratégie nationale bas carbone fixe une trajectoire de contribution de la filière forêt-bois à la neutralité carbone, qui se fonde notamment sur une augmentation de la récolte de bois de plus de 12 millions de m3 d'ici 2026, ce groupe devra répondre aux questions suivantes : "Comment améliorer et partager le suivi de cette trajectoire ?" ; "Comment améliorer le rôle de puits de carbone de la forêt et du bois, en particulier comment améliorer le rôle de stockage des surfaces délaissées ou en friche ?" ; "Comment amplifier et pérenniser l’accès aux financements carbone ?" ; "Comment mieux prévenir et renforcer la protection de ce stock de carbone forestier contre les impacts des catastrophes (incendies, tempêtes, évènements climatiques…) dans un scénario de réchauffement climatique (par ex. +2 °C) ?".
Écosystèmes forestiers
Le deuxième groupe de travail aura pour thématique "Renforcer la résilience des forêts et des écosystèmes forestiers, préserver la biodiversité et valoriser les services rendus par les forêts". Il sera présidé par Rémy Rebeyrotte, député LREM de Saône-et-Loire, et Meriem Fournier, professeure à AgroParisTech et directrice du centre Grand-Est Nancy de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Ses axes de travail seront les suivants : "Un an après la feuille de route de l’adaptation au changement climatique : état d’avancement ? Quels leviers à améliorer ou accélérer ?" ; "Quels peuplements en danger ? Quelles essences demain pour quels usages ?" ; "Comment prendre en compte les impacts du changement climatique sur la résilience des forêts dans les aires protégées ? "; "Comment dépasser le 'plafond de verre' des 30% des forêts privées sous document de gestion durable (DGD) ? Quelles complémentarités entre la certification et les DGD ? Quelles évolutions pour les documents de gestion afin de concilier simplicité/gestion adaptative/ multifonctionnalité ? Comment renforcer leur opposabilité ?" ; "Quel rôle doit jouer la forêt dans la stratégie des aires protégées ?" Cette dernière question est essentielle pour la mise en œuvre du premier plan d'actions de cette stratégie qui prévoit de mettre sous protection forte 250.000 hectares de forêts dont 180.000 hectares en Guyane (par la création de deux réserves biologiques) et 70.000 hectares en métropole.
Valorisation de la ressource
Le troisième groupe de travail portera sur le renforcement des capacités de valorisation de la ressource nationale "par un tissu industriel français diversifié et compétitif". Il sera présidé par Anne-Catherine Loisier, sénatrice Union centriste de la Côte-d’Or, et Pierre Piveteau, président du conseil de surveillance de Piveteaubois. Il devra répondre aux questions suivantes : "Quelle stratégie pour réconcilier les besoins de l’aval et la ressource forestière ? Quels sont les axes prioritaires pour l’investissement dans la filière au service d’une meilleure connexion des besoins du marché à la ressource ? Quelle place des importations et exportations ?" ; "Comment renforcer durablement les liens entre les maillons de la filière pour s’affranchir durablement des difficultés d’approvisionnement ?" ; "Comment développer une contractualisation au sein de la filière susceptible de garantir une juste rémunération de chaque maillon ? " ; "Quelles mesures/leviers pour augmenter la compétitivité des entreprises de la filière (dont première et deuxième transformation) ?" ; "Comment développer une solidarité de filière permettant une pleine valorisation de la ressource disponible, la pérennité des approvisionnements et le renforcement de notre souveraineté en produits bois et en énergie ?" ; "Comment augmenter la valorisation matière des arbres récoltés et comment mieux valoriser les coproduits de la sylviculture et du sciage ?".
Concertation territoriale
Le quatrième groupe de travail devra pour sa part réfléchir à la rénovation du cadre de concertation territoriale entre propriétaires forestiers et parties prenantes sur la gestion des forêts. Ses présidents seront Patricia Schillinger, sénatrice RDPI du Haut-Rhin, et Pierre-Olivier Drège, président de Nord Seine Forêt (NSF).
Ses axes de travail tourneront autour des questions suivantes : "Comment mieux communiquer sur la forêt et les enjeux de gestion auprès du grand public ? Comment améliorer l’attractivité des métiers ?" ; "Comment renouer le dialogue et la confiance dans les territoires sous tension ? Quelles sont les espaces de concertation/dialogue à créer ? À quelle échelle ? Pour quel rôle ? Quels sujets de controverses appellent un effort de dialogue particulier et comment dépasser ces controverses pour garantir une gestion durable des forêts ?" ; "Comment renouer le dialogue entre forestiers ?".
Pour alimenter les assises et les "territorialiser", des contributions seront aussi demandées aux commissions régionales de la forêt et du bois, coprésidées par les présidents de régions et les préfets. Une adresse mail dédiée (assises-foret-bois@agriculture.gouv.fr) a été créée pour prendre part aux travaux des assises. La composition des différents groupes sera établie sur la base du volontariat des participants et les présidents devront "veiller à garantir la diversité des points de vue", a souligné le gouvernement.
Les assises seront clôturées fin janvier 2022 par les ministres, avec la publication d'une synthèse des travaux et d'une série de propositions opérationnelles.
Si les assises aborderont "naturellement" la place des collectivités dans la politique forestière, le projet de contrat d'objectif et de performance (COP) État-ONF fera l'objet d'un "dialogue spécifique", en parallèle, avec les communes forestières, a affirmé le cabinet de Julien Denormandie ce 19 octobre. Validé au conseil d'administration de l'ONF le 2 juillet dernier, contre l'avis des Communes forestières, de la filière et de l'ensemble des représentants de la société civile et du personnel, le projet de COP doit faire l'objet d'"une réécriture complète", estimait la Fédération nationale des communes forestières (FNCofor) le 1er octobre. En cause : une contribution supplémentaire de 30 millions d'euros demandée aux communes forestières alors que l'État envisage la suppression de 500 postes à l'ONF. "Cette décision est d'autant plus inadmissible que cette nouvelle taxation de presque 30 millions d'euros ne garantit en aucun cas le redressement de la situation financière de l'ONF, déjà fortement endetté depuis de nombreuses années. Elle ne tient pas compte du travail acharné des Communes forestières pour préserver les forêts et les métiers de la filière", estime la FNCofor qui a envoyé ses analyses et propositions pour le COP État-ONF au Premier ministre le 23 septembre. |