Nuisances - Le Conseil d'Etat précise le régime des sonneries civiles des cloches
L'affaire jugée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 14 octobre 2015 est caractéristique d'un contentieux récurrent dans les communes rurales gagnées par l'urbanisation ou les résidences secondaires. Elle concerne en effet... les sonneries de cloches et, plus particulièrement, les "sonneries civiles" (notamment celles qui marquent les heures). En l'espèce, Mme A.D et M. B.C, après avoir acquis un bien immobilier dans la commune, avaient demandé en 2006 au maire de Boissettes (Seine-et-Marne, 460 habitants) de mettre un terme à ces sonneries.
Néo-ruraux contre usages locaux
Devant le refus du maire, les intéressés avaient saisi le tribunal administratif de Melun. Celui-ci avait fait droit à leur demande dans un jugement du 1er juillet 2010, qui enjoignait au maire de faire cesser les sonneries et d'abroger la réglementation autorisant les sonneries civiles autres que les sonneries d'alarme ou celles prescrites par les lois et règlements (en l'occurrence une délibération du conseil municipal de 2009 décidant de restreindre ces sonneries en les cantonnant entre 6 heures et 23 heures).
Saisie par la commune, la cour administrative d'appel de Paris avait confirmé cette décision dans un arrêt du 5 novembre 2013 et enjoint au maire de prendre, dans un délai de quinze jours, un arrêté interdisant toute sonnerie civile autres que les sonneries d'alarme et les sonneries prescrites par les lois et règlements, sans toutefois assortir cette obligation d'une astreinte.
Qu'entend-t-on par usage local ?
Dans son arrêt du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat annule l'essentiel de la décision de la cour administrative d'appel. Il rappelle notamment l'article 51 du décret du 16 mars 1906, pris en application de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Celui-ci prévoit que "les cloches des édifices servant à l'exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours. Si elles sont placées dans un édifice appartenant à l'Etat, au département ou à la commune ou attribué à l'association cultuelle en vertu des articles 4, 8 et 9 de la loi du 9 décembre 1905, elles peuvent, en outre, être utilisées dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois ou règlements, ou autorisé par les usages locaux". Tout dépend donc de la définition de l'usage local.
Le Conseil d'Etat s'y attelle, en rappelant "que l'usage local s'entend de la pratique régulière et suffisamment durable de telles sonneries civiles dans la commune, à la condition que cette pratique n'ait pas été interrompue dans des conditions telles qu'il y ait lieu de la regarder comme abandonnée". Or, "en jugeant qu'un usage local des sonneries civiles de cloches, au sens des dispositions réglementaires précitées, ne pouvait procéder que d'une pratique qui existait lors de l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 et n'avait pas été interrompue depuis lors, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit". Dès lors, son arrêt devait être annulé.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : Conseil d'Etat, arrêt n°374601 du 14 octobre 2015, commune de Boissettes.