Le Conseil d'État boude le projet de loi de réforme constitutionnelle sur l'environnement
Peu de bénéfices et beaucoup de risques… on pourrait résumer ainsi l’analyse du Conseil d’État sur le projet de loi constitutionnelle intégrant la protection de l'environnement dans la Constitution. L’avis, rendu public ce 21 janvier, au lendemain de la présentation du texte en conseil des ministres, pointe en particulier les conséquences lourdes et en partie imprévisibles que la réforme envisagée est susceptible d’avoir sur la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics territoriaux, en leur imposant une obligation d’agir.
Présenté en conseil des ministres ce 20 janvier, le projet de loi constitutionnelle intégrant la protection de l'environnement dans la Constitution a auparavant été examiné à la loupe par le Conseil d’État. Un petit air de déjà-vu pour le conseiller du gouvernement. Il s’agit ni plus ni moins du troisième projet de réforme constitutionnelle portant sur la question environnementale qui lui est soumis en trois ans. En 2018, la réforme visait l’article 34 de la Constitution afin de confier au législateur outre la détermination des principes fondamentaux relatifs "à la préservation de l’environnement" ceux relatifs "à la lutte contre le changement climatique". En 2019, le projet de loi constitutionnelle "pour un renouveau de la vie démocratique" avait prévu entre autres d’inscrire au premier alinéa de l’article premier de la Constitution que "[La France] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques". Une partie des remarques du Conseil d’État reprend donc des considérations émises dans ses précédents avis.
Ce nouveau projet de loi constitutionnelle passé au crible prévoit d'inscrire dans l'article 1er de la Constitution que la France "garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique" . Une disposition mot pour mot inspirée des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC).
Le Conseil d’État en questionne tout d’abord sinon l’utilité du moins la pertinence. Et pour cause le principe de protection de l’environnement "occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes", souligne-t-il d'emblée. Il est en effet déjà inscrit dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution à la faveur de la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. Et le juge, notamment constitutionnel, a d’ailleurs grandement contribué a donner toutes ses lettres de noblesse à "la cause environnementale" en tirant toutes les conséquences de son intégration dans le fameux "bloc de constitutionnalité".
Plein effet de la Charte de l’environnement
Le Conseil d’État relève notamment deux décisions récentes du Conseil constitutionnel "qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement". Par une décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 (Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques), le Conseil constitutionnel a jugé, en des termes inédits, qu’il découlait du préambule de la Charte de l’environnement un objectif de valeur constitutionnelle de "protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains". Jusqu’alors le Conseil n’avait envisagé dans ce cadre la protection de l’environnement que comme un objectif d’intérêt général. Dans une décision plus récente, n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 (loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières), le Conseil constitutionnel a précisé et renforcé le contrôle qu’il opère au regard du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé énoncé à l’article 1er de la Charte de l’environnement. Reprenant une formulation applicable à d’autres droits et libertés, le Conseil indique que les limitations à l’exercice de ce droit "doivent être motivées par la poursuite d’un but d’intérêt général ou la mise en œuvre d’une exigence constitutionnelle" et " proportionnées" à l’objectif poursuivi par le législateur. Voilà pour le contexte.
Explication de texte
Le Conseil d’État expose ensuite dans son avis plusieurs de ses questionnements. Est-ce la bonne place ? Affirmatif. L'inscription de la préoccupation environnementale à l’article 1er de la Constitution aux côtés des principes fondateurs de la République lui apparaît justifiée eu égard à son "caractère prioritaire (…) s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée". Le Conseil d’État tempère immédiatement en conférant au projet de loi une portée avant tout "symbolique", prenant acte de la volonté du gouvernement "de marquer plus encore l’engagement des pouvoirs publics dans la préservation de l’environnement, en ‘introduisant un principe d’action positif pour les pouvoirs publics et une volonté affirmée de mobiliser la Nation’ ainsi qu’il est dit dans l’exposé des motifs". Le message est clair, la réforme projetée "ne lui confère, par elle-même, aucune prééminence d’ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles", insiste le Conseil d’État avant de se lancer dans la bataille sémantique.
Préserver plutôt que garantir
Les termes ont-ils étaient bien choisis ? Absolument pas, estime le Conseil, car la rédaction du projet de loi laisse planer des incertitudes sur les effets juridiques de la réforme, notamment sur la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics. En prévoyant que la France "garantit" la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait, selon lui, aux pouvoirs publics nationaux et locaux "une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l'article 2 de la Charte de l’environnement". En conséquence, le Conseil d’État suggère de substituer le terme "préserve" à celui de "garantit" pour coller au plus près à l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il rappelle au passage que le juge constitutionnel a jusqu’à présent refusé de consacrer un principe constitutionnel de non-régression de la protection de l’environnement. D’aucuns voyaient notamment dans la décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 précitée une occasion pour l'affirmer qu’il n’a cependant pas saisie, force est de le constater.
Le gouvernement ne l’a pas suivi sur ce point, le terme de "garantit" figure toujours dans le texte. Il a aussi choisi de maintenir le vocable "lutter", alors que le verbe "agir" avait là encore la préférence du Conseil. En revanche, l’expression "diversité biologique" a remplacé le terme de "biodiversité", dans le même souci de maintenir la cohérence terminologique avec la Charte de l’environnement.
L’avis soulève un dernier point de difficulté qui demeure non résolu à ce stade. Pour lever les doutes sur la compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d’action contre le dérèglement climatique, le Conseil d’État préconise de modifier l’alinéa 15 de l’article 34 de la Constitution "pour prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux ‘du droit de l’environnement’ une notion qui recouvre les trois objectifs qui seraient désormais inscrits à l’article premier". La rédaction actuelle de l'article 34 confie à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux de "la préservation de l’environnement", laissant planer une certaine ambiguïté.