Croissance - Le catalogue Attali fait-il confiance aux collectivités ?
"L'ensemble de ces actions devra permettre de réduire la part des dépenses publiques dans le PIB d'environ un point par an (...). L'effort doit être identique pour les différentes natures de dépenses publiques, à savoir les dépenses de l'Etat, des collectivités territoriales et de sécurité sociale. Chaque acteur public doit être responsabilisé et trouver à son niveau les leviers pour stabiliser ses dépenses." Cette phrase de conclusion du rapport de la Commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali - rapport officiellement présenté ce 23 janvier après des semaines de "fuites" dans la presse - traduit bien l'esprit d'une bonne partie des "300 décisions pour changer la France" qui structurent ce volumineux document. Elle oriente notamment l'ensemble des propositions institutionnelles et financières qui concernent les collectivités. "Pour les collectivités territoriales, à long terme, les décisions proposées, en particulier la rationalisation des échelons administratifs et électoraux, et la désindexation du montant des transferts de l'État vers les collectivités locales permettront une réduction sensible des coûts", est-il ainsi résumé.
Le constat a un air de déjà vu : "Les redondances et chevauchements de compétences entre les divers échelons territoriaux créent à la fois un éclatement de la responsabilité, la paralysie de la décision, et la déroute de l'administré." Le sénateur Alain Lambert, par exemple, ne l'a-t-il pas lui aussi récemment formulé en des termes très proches ? L'objectif n'a lui non plus rien d'impertinent : il faut passer à une "troisième étape" de la décentralisation permettant de "répartir clairement les compétences entre les collectivités" et d'"accorder à chaque niveau de collectivité des ressources précises". C'est au niveau de la méthode que les choses se corsent.
En finir avec l'autonomie fiscale ?
On a déjà beaucoup entendu parler de la "décision" 260, celle qui prévoit de "faire disparaître en dix ans l'échelon départemental". En sachant que cette disparition est envisagée au profit de l'intercommunalité : les "intercommunalités renforcées doivent pouvoir attirer vers elles certaines des compétences actuellement exercées par les départements (...). L'objectif est de constater à dix ans l'inutilité du département". Nicolas Sarkozy s'est dit dès mercredi en désaccord avec cette idée de suppression des départements qui, a-t-il déclaré, "ont la légitimité historique".
Dans ce scénario, les EPCI deviendraient par la même occasion (décision 259) des "agglomérations" ayant le statut constitutionnel de collectivité, verraient leurs représentants se faire élire au suffrage universel et seraient chargés de répartir les dotations actuellement versées par l'Etat directement aux communes (l'idée de DGF territorialisée, en somme).
D'autres propositions risquent de faire frémir plus d'un élu - et, cette fois, quel que soit son niveau de collectivité. Notamment celle consistant à "désindexer l'ensemble des dotations de l'Etat aux collectivités" (décisions 262 et 267). Et, peut-être plus encore, celle prévoyant une modification de l'article 72-2 de la Constitution pour "supprimer la référence aux ratios d'autonomie financière", autrement dit à la part des ressources propres des collectivités. On ne parlerait plus d'autonomie fiscale... mais d'"autonomie financière". Et l'on ne parlerait plus d'impôts locaux... mais, sur le modèle allemand, de "partage d'impôts prélevés à l'échelle nationale" (décisions 263 et 308). "A défaut, une spécialisation des impôts locaux par catégorie de collectivités pourra être envisagée", concède toutefois la commission Attali.
PME : délais de paiement et accès aux marchés
Au-delà des questions institutionnelles, le rapport reste naturellement centré sur des propositions purement économiques. Et fait alors la part belle aux TPE et PME, considérées comme le fer de lance de la croissance à retrouver. Il faudra pour cela les consolider dans un contexte de concurrence mondiale rude. Cette politique devra être conduite parallèlement au chantier de Bruxelles pour 2008-2013 qui envisage "une directive sur les petites entreprises, sur le modèle du Small Business Act américain". Le rapport reprend ainsi deux chantiers déjà engagés par les services de Christine Lagarde et de Hervé Novelli : l'accès aux marchés publics (décision 36) et les retards de paiements considérés comme la "principale cause de défaillance" des entreprises (décision 38). Avec une moyenne de 66 jours, la France fait figure de mauvais élève dans ce domaine. Il est donc proposé de ramener ces délais à un mois et de réduire le remboursement de TVA à dix jours (décision 39). Ce qui permettrait aux PME de recouvrer, entre autres, "1 milliard d'euros de trésorerie pour tous les marchés passés avec les collectivités publiques".
La commission propose, par ailleurs, un grand toilettage de l'environnement des entreprises en créant une agence de service aux petites entreprises de moins de 20 salariés, à l'image du Small Business Service créé il y a dix ans outre-Manche (décision 33). Il s'agira de simplifier leurs démarches administratives en leur présentant un interlocuteur unique. Ses réponses engageront "l'ensemble de l'administration, y compris devant les tribunaux". Autre souhait de la commission : faciliter l'accès au financement. Oséo et France Investissement seraient amenées à se fondre dans une structure unique nommée "PME Investissement" (décision 42).
L'ensemble de ces pistes a été accueilli plutôt favorablement par la Confédération générale des PME (CGPME), mercredi, même si elle s'est montrée très réservée, voire inquiète, sur les autres mesures économiques du rapport : déréglementation de certaines professions (taxis, pharmaciens), liberté de prix et d'installation, etc. Autant de réformes qui, selon la CGPME, "remettraient en cause l'existence même du commerce de proximité" et feraient le jeu de la grande distribution.
Dessine-moi la ville du futur
En termes d'aménagement du territoire, l'une des propositions phares du rapport est la mise en chantier d'ici à 2012 de dix "Ecopolis" (décision 91), des villes et des quartiers d'au moins 50.000 habitants mêlant technologies vertes et technologies de communication. Parmi les 10 Ecopolis, 3 pourront être créés dans des quartiers prioritaires. "Ces sites seront sélectionnés à partir des candidatures des villes, des pôles de compétitivité et des sites universitaires d'excellence", précise le rapport.
Ces "espaces urbains durables" intégrant emploi, logement, cadre de vie et mixité sociale devront s'appuyer sur des ressources énergétiques renouvelables (éoliennes, panneaux solaires) et jouer un rôle de laboratoire de la consommation d'eau, du tri des déchets, du développement de la biodiversité, de la réduction de la consommation d'air conditionné, de l'aménagement de plans d'eau, de la création d'espaces verts (20% de la surface urbaine), de l'accès très large et gratuit aux technologies de l'information. Ce sera à l'Etat de lancer ces Ecopolis. Il faudra pour cela définir "un financement équilibré" associant Etat, collectivités territoriales, Caisse des Dépôts et secteur privé. Qualifiées d' "opérations d'intérêt national, elles devront être menées par des établissements d'aménagement public qui porteront le foncier et définiront un cahier des charges pour les implantations de logements et d'activités économiques, "en préconisant la mixité sociale". Le rapport précise que trois engagements préalables devront être pris par l'Etat à l'égard des collectivités territoriales et de leurs habitants : absence d'impact sur la fiscalité locale, qualité et densité adaptées aux exigences environnementales et création d'emplois.
Pour la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), le projet des Ecopolis marque la reconnaissance de "l'intérêt que représente la strate des villes moyennes" et "des atouts de leur dimension humaine". Mais elle met en garde sur le fait que la création ex-nihilo de villes nouvelles dans le passé "n'a pas donné de résultats convaincants". "Il nous semble beaucoup plus intéressant d'engager une politique vigoureuse de soutien et de développement des villes moyennes existantes et de leurs agglomérations", estime la FMVM.
Une "banalisation" des acteurs du logement social ?
Le rapport s'est évidemment penché sur la question du logement, insistant notamment sur la nécessité d'accroître l'offre et la qualité de logement social.
Pour améliorer l'équité du système du logement social il préconise de distinguer complètement le financement de l'aide à la construction de celui des aides aux locataires et pour faciliter la mobilité, il avance l'idée de la création d'une Bourse du logement social sur internet. Afin de développer l'accès à la propriété des personnes les plus modestes, le rapport propose de vendre une partie du parc HLM à ses occupants, de permettre aux locataires de capitaliser 25% des loyers versés pendant 10 ans au moment de l'achat de leur logement HLM et, pour tous les retraités proches du minimum vieillesse, de jouir de l'usufruit d'un logement social adapté à leur besoin. Dans une optique d'"efficacité" du secteur parapublic, le rapport propose de fixer pour les organismes HLM des contrats d'objectifs et d'évaluation, en incitant notamment à la fusion d'organismes et en soumettant les bailleurs sociaux à des objectifs de construction et de gestion clairement définis "assortis de sanctions effectives". Il plaide pour des organismes " au moins de niveau intercommunal ", propose de dissoudre ceux qui gèrent moins de 1.500 logements et ont construit moins de 500 logement au cours des dix dernières années et de "déconventionner et supprimer le financement spécifique à tous les organismes d'HLM qui n'auront pas rénové, construit ou vendu au moins 5% de leur parc chaque année".
L'Union sociale pour l'habitat (USH, fédération des organismes HLM) s'est dite "inquiète" face à ces propositions qu'elle a qualifiées "d'agrégats d'idées disparates", le 22 janvier lors d'une conférence de presse. Certaines mesures sur le logement social sont jugées "curieuses" voire "dangereuses" par l'USH, qui a épinglé un "manque de cohérence" et une "méconnaissance" du sujet.
"Certaines propositions vont vers la banalisation complète des acteurs du logement social, donc de sa disparition", ont noté les responsables de l'Union, mais "d'autres vont dans le sens d'un renforcement des obligations de service public du secteur HLM".
Le rapport préconise par exemple "la possibilité de libérer les loyers HLM d'une part, les alignant sur le parc privé, alors que, d'autre part, il fait obligation aux organismes de signer des contrats avec des objectifs très ambitieux de construction de logement social", ont-ils critiqué. Autre contradiction : le rôle des aides au logement. Dans un premier temps, le rapport propose de "supprimer les aides à la pierre indispensables pour la construction de logements" et de "les remplacer par l'APL". Mais plus loin, il suggère de "réserver l'APL à l'accession à la propriété". On n'est plus à une contradiction près.
C. Mallet / M. Tendil / L. Lenormand (avec AFP)