Réformes contre subsides : l'avenir de la politique de cohésion ?
Alors que la compétitivité du continent marque le pas, la commissaire Elisa Ferreira a proposé, lors du neuvième Forum pour la cohésion, de s'inspirer du plan de relance européen pour accorder une plus grande place aux réformes structurelles dans la future politique de cohésion.
Les discussions sur la future politique de cohésion après 2027 sont à présent bien entamées. Une vingtaine de pays ont organisé une rencontre nationale sur le sujet. C'était le cas en France le 19 décembre avec le séminaire organisé à Paris par l'Agence nationale de la cohésion du territoire (ANCT) et Régions de France. Il y a eu aussi la publication le 20 février du rapport d'experts (voir notre article du 24 février) commandé par la Commission. Enfin, moins de deux semaines après la publication du neuvième rapport sur la politique de cohésion (voir notre article du 29 mars), des responsables politiques européens (ministres, élus, commissaires…) étaient réunis à Bruxelles, les 11 et 12 avril, pour le neuvième Forum pour la cohésion. L'enjeu : débattre de l'avenir de cette politique née en 1986, au moment de l'Acte unique, pour corriger les écarts de développement entre les différentes régions européennes. Il était alors aussi question de réussir l'intégration de l'Espagne et du Portugal. La "raison d'être" de cette politique n'a pas changé et elle "fonctionne", s'est félicitée la commissaire à la Cohésion, Elisa Ferreira, lors de cet événement, mais la question se pose de savoir "comment l'aider à affronter les défis du futur" et comment "l'améliorer".
Réformes contre subsides
Alors que la compétitivité du continent marque le pas, on sent de plus en plus la volonté de faire de la politique de cohésion un programme d'ajustements structurels, à l'image du plan de relance. Reprenant l'une des préconisations du neuvième rapport, Elisa Ferreira a ainsi proposé d'accorder une plus grande place aux réformes demandées en contrepartie des subsides, comme c'est le cas avec la facilité pour la reprise et la résilience (le cœur du plan de relance européen). Pour rappel, celle-ci est conditionnée à toute une série de "jalons et cibles" que les États membres doivent atteindre. Notamment une trajectoire de réduction des déficits publics (voir notre article du 16 janvier). La commissaire a aussi appelé à "intégrer davantage de politique de cohésion dans des instruments tels que le Semestre européen et d'autres recommandations qui touchent à la capacité de mettre en œuvre les bonnes politiques au niveau territorial".
Le sujet de la conditionnalité n'est pas nouveau. De vifs échanges avaient eu lieu il y a une dizaine d'années, lorsque, à l'initiative d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, la Commission avait introduit, pour la programmation 2014-2020, une conditionnalité macro-économique. En clair, la possibilité de suspendre le versement des fonds européens lorsqu'un pays commet un dérapage budgétaire ou s'écarte des recommandations de réformes formulées dans le cadre du Semestre européen. De nombreuses voix s'étaient alors élevées pour dénoncer une dénaturation de la politique de cohésion, - outil de relance par l'investissement dans les territoires et non d'austérité -, et une injustice, puisque, désormais, les régions peuvent se voir pénalisées pour une mauvaise gestion dont elles ne sont pas responsables. À cet égard, en 2016, le Parlement européen avait fait obstruction au gel des fonds européens visant l'Espagne et le Portugal, jugeant cette mesure "immorale". En 2020, une autre conditionnalité a été introduite, pour non-respect de l'état de droit cette fois. La Hongrie et la Pologne en ont fait les frais…
"Poison du mécontentement politique"
Dans son discours, Elisa Ferreira a loué les effets bénéfiques de la politique de cohésion. Selon elle, l'élargissement de 2004 a été un "succès". Les pays entrants avaient alors un PIB par habitant correspondant à 52% de la moyenne européenne, ils en sont aujourd'hui à 80%, a-t-elle détaillé. La politique de cohésion est aussi une arme anticrise, a-t-elle assuré, comparant celle de 2008 suite à laquelle les régions européennes ont mis 11 ans à retrouver leur niveau de développement, à la crise sanitaire pour laquelle il leur a fallu deux ans seulement. "C'est la preuve que lorsque nous avons utilisé les fonds de cohésion - plus de 23 milliards d'euros ont été reprogrammés par les États membres pour faire face à l'impact Covid -, cela a fonctionné !" Toutefois, a-t-elle indiqué, un tiers des régions représentant 150 millions d'euros d'habitants n'ont pas retrouvé le niveau de 2008. Et de nombreuses régions affichent encore un PIB inférieur à 75% de la moyenne européenne. Pour la commissaire, certaines régions, notamment les régions ultrapériphériques, connaissant encore "de graves problèmes de développement", quand d'autres concentrent, par "effet d'aspiration", "les entreprises les plus performantes, les technologies les plus sophistiquées, les meilleures possibilités d'emploi et d'éducation". Parmi les grands défis auxquels les régions européennes vont devoir faire faire, Elisa Ferreira a insisté sur le vieillissement de la population et la fuite des cerveaux, créant un cercle vicieux et un terreau favorable au "poison du mécontentement politique".
Un constat partagé par Andrés Rodríguez-Pose, professeur à la London School of Economics (LSE) qui a présidé le groupe d'experts. "Nous risquons une sorte de contreréaction politique et économique", a-t-il mis en garde à l'approche des élections européennes. Selon lui, la politique de cohésion a connu de bons résultats au point d'être imitée par les États-Unis et la Chine, mais "les défis ne sont plus les mêmes", a-t-il alerté. "60 millions de citoyens européens vivent dans des endroits où les revenus sont inférieurs à ce qu'ils étaient il y a trente ans" et "un tiers de la population européenne vit dans des régions qui reculent tout doucement", notamment dans les zones rurales ou désindustrialisées. C'est ce que les instances européennes désignent sous le nom de "piège du développement" ou "du revenu moyen". Le déclassement guette les régions intermédiaires qui, après une phase de développement, se retrouvent en stagnation. La France n'est pas épargnée. Le rapport du groupe d'expert plaide pour que la politique de cohésion soit "davantage axée sur la performance, en alliant sa dimension territoriale à une plus grande attention portée aux résultats".
Vers un élargissement à 36
Nouveau mandat, apparition de nouveaux enjeux, notamment en matière de défense, élargissement… l'avenir de la politique de cohésion s'écrit en pointillés. Intervenant lors de ce forum, le président du comité européen des régions Vasco Alves Cordeiro s'est toutefois voulu rassurant. "Pourquoi partir du principe que nous aurons moins de ressources ? (…) L'augmentation prévisible des fonds européens de défense ne devrait pas se faire au détriment des autres politiques existantes", a-t-il déclaré.
Aujourd'hui, la politique de cohésion représente le deuxième budget européen et une coquette somme de 17,4 milliards d'euros pour la France sur la programmation 2021-2027. Mais, même si elle n'est pas pour demain, la perspective d'une Europe élargie à 36 (comme l'a prévu le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023) engendrerait une pompe aspirante des fonds vers les neuf pays entrants (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Albanie, Monténégro et Kosovo). Une étude informelle européenne révélée par le Financial Times en 2023 avait en effet montré qu'en cas d'intégration, l'Ukraine recevrait 186 milliards d'euros de subsides dont 96,5 milliards d'euros de la politique agricole commune et 61 au titre de la politique de cohésion. Déjà, les précédents élargissements avaient conduit à un basculement des fonds vers les pays de l'Est. Cette étude n'est qu'une simulation et n'a pas été cautionnée par la Commission. Mais elle donne une idée des enjeux.
Lors du dixième sommet européen des régions et des villes les 18 et 19 mars, à Mons (Belgique), les représentants des collectivités et membres de "l'Alliance pour la cohésion" avaient lancé un appel pour que la politique de cohésion reste "une pierre angulaire du projet européen et le principal instrument d’investissement de l’UE" (voir notre article du 26 mars). Dans une résolution d'urgence adoptée le 18 avril, le comité des régions souligne le besoin de réformer la politique de cohésion mais se dit préoccupé "par la tendance à concevoir les futures politiques de l'Union européenne avec une approche centralisée au nom de l'efficacité, ne parvenant pas à répondre aux besoins spécifiques des territoires".