La territorialisation de France 2030 reste poussive
Sur les 54 milliards d'euros prévus dans le cadre de France 2030, près de 30 milliards sont engagés deux ans après son lancement. Si le secrétaire général pour l'investissement assure que le plan essaime "sur tout le territoire", Intercommunalités de France déplore toujours une trop grande concentration en région parisienne. L'évaluation du plan - qui repose à ce jour exclusivement sur les montants des aides allouées - pose aussi question.
La promesse de territorialisation de France 2030 est-elle tenue deux ans après le lancement du plan ? C'est ce que Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, qui pilote le plan, a tenté de démontrer lors de son audition du 28 février 2024 devant la commission des finances du Sénat. Au total, sur les 54 milliards d'euros du fonds, près de 30 milliards ont été engagés dont 11 milliards la première année. "Ce plan a mobilisé tout le territoire, a assuré Bruno Bonnell, 60% a été engagé hors Île-de-France, sur des PME, TPE, ETI, c'est-à-dire hors des grandes entreprises qui étaient plutôt mobilisées dans le cadre des premiers programmes d'investissement d'avenir (PIA). C'était un des objectifs, trouver des pépites sur tout le territoire et de toutes les tailles."
Selon le secrétaire général pour l'investissement, "on commence à voir des résultats concrets, des usines sont en train de se monter, des dépôts de brevets…". "Ce plan est sous contrôle et porte ses fruits et tous les territoires sont irrigués", a-t-il insisté, prenant en exemple les investissements réalisés dans le Cantal, à Aurillac, pour la fabrication de biomédicaments. "Les Hauts-de-France et le Grand Est accueillent les gigafactories car ces territoires ont de l'espace, mais dans la réalité il ne faut pas que ces gros arbres masquent la forêt des 3.500 lauréats à date du plan France 2030 qui sont répartis sur tout le territoire y compris sur les territoires d'outre-mer". Cette insistance tient aux critiques qui avaient été formulées l'an dernier, conduisant l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne à exiger un meilleur ancrage territorial (voir notre article du 18 novembre 2022) avec la nomination de "sous-préfets" dans chaque département (voir notre article du 23 mars 2022).
"40% des fonds en Île-de-France, c'est énorme !"
Pour Intercommunalités de France, la répartition sur le territoire de ces fonds n'est toutefois pas si idéale. ""40% en Ile-de-France, cela reste beaucoup, surtout au regard des besoins en matière de modernisation de l'activité industrielle qui ne se concentrent pas tous en région parisienne", souligne l'association. Sachant que 70% de l'emploi industriel se situe en dehors des métropoles dans les territoires périurbains, ruraux et les villes moyennes.
Pour Bruno Bonnell, le plan a toutefois permis de repérer des entreprises qui ne l'avaient pas été auparavant dans de très nombreux territoires inattendus. "Il y a une véritable dynamique qui s'installe", a-t-il assuré, mettant aussi en avant le volet France 2030 régionalisé, doté de 500 millions d'euros abondé à la même hauteur par chaque région. Un volume d'argent "très significatif pour l'innovation", selon le secrétaire général pour l'investissement, avec un fonds coprésidé par le préfet et le président de région.
L'importance de l'investissement privé
Côté impact du plan, le conseil de surveillance des investissements d'avenir table sur un PIB augmenté de 40 à 80 milliards d'euros par an et la création de 300.000 à 600.000 emplois. Les fourchettes d'estimation de cet impact sont très larges, le tout reposant, selon Bruno Bonnell, sur un pari concernant le soutien à l'investissement privé au plan. "Aujourd'hui, pour un euro public, on a 1,5 à 1,7 euros d'investissement privé, nous visons 2, a-t-il déclaré, c'est très important de mobiliser l'investissement privé". Des sénateurs ont toutefois remis en question l'évaluation de l'impact du plan, le tout ne reposant pour le moment que sur des indicateurs quantitatifs. "Sur les 24 indicateurs qui avaient été identifiés pour le plan, le seul qui est communiqué concerne le montant des aides attribuées, a insisté Jean-François Husson, sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle, on est en droit de savoir combien nous avons dépensé mais aussi quels sont les impacts de ces dépenses ?" Même question pour Claude Raynal, sénateur socialiste de la Haute-Garonne. "Mettre de l'argent, le dépenser est une chose, autre chose est de savoir si à la sortie des secteurs ont connu des évolutions favorables, a-t-il fait valoir, je manque de lecture sur cet élément-là". Intercommunalités de France est elle aussi demandeuse d'indicateurs plus précis. "On n'a pas d'évaluation concrète des résultats engendrés par les fonds France 2030", déplore l'association.
Comment contrer le risque de substitution des crédits ?
Quant au risque de voir les crédits du plan se substituer aux crédits ministériels ou à d'autres fins que l'industrie, Bruno Bonnell se veut rassurant. "La substitution budgétaire c'est mon cauchemar le plus grand, on est vigilant quotidiennement sur ce souci", a affirmé Bruno Bonnell, indiquant avoir lancé depuis début janvier une procédure de suivi très rigoureuse, y compris sur les engagements des entreprises.
Pour Intercommunalités de France, le risque identifié concerne surtout la réduction des budgets, avec la volonté du gouvernement de se lancer dans des économies importantes (30 milliards d'euros d'ici 2025), et déjà un impact sur le fonds vert qui devrait être réduit de 400 millions d'euros passant de 2,5 milliards d'euros à 2,1 milliards en 2024 (voir notre article du 19 février 2024). "Dans ce fonds, il y a plein de politiques, dont Territoires d'industrie, détaille l'association, on craint que ça y passe, alors qu'on vient juste d'avoir la confirmation de la poursuite de ce dispositif à hauteur de 100 millions d'euro sans parler du fonds friches".
La simplification en question
Dernier point abordé par le secrétaire général pour l'investissement : les actions de simplification mises en place pour permettre un accès facilité aux fonds. Un point sur lequel il a été fortement questionné par les sénateurs. "Quelles actions concrètes pour simplifier les dossiers ?", a ainsi demandé Thomas Dossus, sénateur du Rhône.
"On est à six mois en matière de traitement, c'est un délai raisonnable, on l'a réduit quasiment de trois depuis que je suis arrivé", a précisé Bruno Bonnell. "On va même jusqu'à des présélections sous forme de deux pages, pour permettre aux structures de savoir rapidement si elles sont éligibles ou pas."