La stratégie Écophyto 2030 enfin publiée
Maintes fois reporté, le nouveau plan Écophyto – une "stratégie", désormais – vient enfin d’être publié. Il entérine le changement d’indicateur, réclamé par le monde agricole, pour juger des progrès réalisés en matière de réduction de la consommation des produits phytopharmaceutiques. Un "changement de thermomètre" vertement décrié par les associations environnementales. Entre autres dispositions, le plan précise également les changements à venir pour protéger les captages d’eau "prioritaires et sensibles".
Annoncé début 2023 pour l’été de la même année (voir notre article du 28 février 2023), mis en consultation à l’automne dernier seulement (voir notre article du 2 novembre 2023), avant d’être "mis sur pause" cet hiver pour calmer l’ire des agriculteurs (voir notre article du 1er février), le plan Écophyto vient enfin d’être publié, ce 6 mai (à télécharger ci-dessous). Ou plutôt la "stratégie Écophyto 2030", le gouvernement entendant ainsi insister sur le caractère très "large" de la démarche poursuivie : "préserver la santé publique et celle de l’environnement dans une logique 'Une seule santé'" ; "soutenir les performances économique et environnementale des exploitations" et "maintenir un haut niveau de protection des cultures".
Un changement de thermomètre…
Sans doute pressé d’achever cette séquence, le ministre de l’Agriculture avait toutefois confirmé dès le 3 mai, dans un entretien au Parisien, l’information la plus attendue : le remplacement de l’indicateur jusqu’ici utilisé en France pour juger de la consommation de produits phytopharmaceutiques – le Nodu, qui vise le nombre de traitements appliqués, sans distinction des substances – par celui utilisé par l’Union européenne, le HRI1, lequel pondère les substances en fonction de leur dangerosité. Un changement auquel aspirait le monde agricole, monde que le gouvernement n’entendait évidemment pas prendre le risque de remettre dans la rue à un mois des élections européennes. Et un changement doublement motivé par le ministre auprès de la presse. D’abord, pour disposer du "même indicateur que nos voisins". Ensuite, pour "prioriser les molécules les plus dangereuses". "L’objectif de 50% de réduction [de la consommation des produits phytopharmaceutiques], tel qu’il était pensé, n’était pas satisfaisant. On l’a fait en voulant baisser de moitié tous les produits phytosanitaires sans prendre en compte leur degré de toxicité", juge le ministre. Or, il argue qu’"aujourd’hui, certains produits ne posent aucun problème de toxicité. Ni pour l’être humain, ni pour les écosystèmes. Ce n’est pas parce que ce sont des produits chimiques qu’il faut les interdire. On utilise aussi de la chimie pour se soigner". Ce faisant, il confirme que l’objectif de division par deux de la consommation de produits phyto change de nature. Un objectif qui change en outre de période de référence – la moyenne triennale 2011-2013, et non plus celle de 2015-2017 –, "puisque le cadre européen retient cette période pour le HRI1", précise-t-on au ministère. Et de terme, puisque c’est désormais à l’horizon 2030 que l’on espère l’atteindre.
… pour masquer la température, redoutent les associations environnementales
Connus, ces arguments ne parviennent toujours pas à convaincre les associations environnementales, qui avaient fait de ce changement d’indicateur une "ligne rouge" (voir notre article du 13 février). En vain, donc. "À la faveur du retrait de quelques substances actives au niveau européen, le HRI1 va, par un artifice de calcul, rapidement afficher une baisse de 50% sans que les pratiques agricoles changent le moins du monde", dénonce ainsi l’association Générations futures. Un changement qui passe d’autant moins que le Nodu sombrera corps et biens, "alors même que la directive 2009/128 aurait permis de le conserver en plus du HRI1", puisqu’elle dispose "clairement que les États membres peuvent continuer à utiliser les indicateurs nationaux existants […] en complément des indicateurs harmonisés", observe l’association. Et alors que le ministre avait un temps promis "un panel d’indicateurs". Au ministère, on assure toutefois que les anciens indicateurs "continueront d’être calculés – on ne casse pas les séries statistiques du Nodu" – et qu’ils seront "publiés régulièrement". Mais l’on précise bien que seul le HRI1 fera dorénavant foi. Et ce, quand bien même l’on "en mesure les faiblesses". Pour preuve, "une mission d’expertise scientifique et technique sera confiée à l’Inrae, en lien avec les autres instituts de recherche européens, pour proposer des voies d’amélioration sur la méthodologie de calcul [du HRI1]".
L’affaire de tous… et notamment des collectivités
À court terme, ce changement d’indicateur risque surtout de masquer le reste de la stratégie. Laquelle souligne notamment que "l’effort de réduction des produits phytopharmaceutiques doit être partagé par l’ensemble des maillons des filières". Dont les collectivités qui, en leur qualité de gestionnaires de cantines, "contribuent par leurs décisions d’approvisionnement à la politique Écophyto", est-il souligné. Afin de "développer les filières à bas niveaux d’intrants, dont l’agriculture biologique", le gouvernement envisage ainsi de "renforcer et d’accompagner les projets alimentaires territoriaux". "L’accompagnement des collectivités et des acteurs économiques vers des démarches labellisées de réduction des intrants sera renforcé", affirme la stratégie.
L’enjeu de la pollution des captages d’eau potable
Naturellement, les collectivités sont également – surtout ? – concernées au premier chef par les pollutions des captages d’eau potable, phénomène jugé récemment "préoccupant" par l’association Amorce (voir notre article du 20 juillet 2023). En ce domaine, la stratégie dessine la prochaine mise en œuvre de la nouvelle réglementation issue de l’ordonnance de transposition de la nouvelle directive "Eau potable" publiée fin 2022 (voir notre article du 3 janvier 2023), avec notamment :
- l’adoption, "d’ici la fin de l’année", de l’arrêté interministériel définissant la notion de "captage prioritaire et sensible" ;
- une "actualisation de la liste de ces captages" ;
- mais aussi un "guide de gestion des risques établissant des lignes directrices" à destination des maires et des préfets, lequel devrait être élaboré "en concertation avec l’ensemble des acteurs dans le cadre d’une réactivation du groupe national sur les captages". Un groupe de travail "pour simplifier et élargir les moyens d’actions des collectivités" en la matière est également annoncé.
De quoi rassurer les élus ? Pas sûr. Alors que la stratégie n’avait pas encore été dévoilée, Bertrand Hauchecorne, maire de Mareau-aux-Prés (Loiret) et secrétaire général adjoint de l’Association des maires de France, confiait à l’AFP être "très inquiet d'un recul" du plan Écophyto : "On conçoit les problèmes des agriculteurs, mais on a l'obligation de fournir une eau de qualité", rappelait-il. Et "les collectivités territoriales, responsables de la distribution d'eau potable, ont de plus en plus de difficultés à remplir cette mission", ajoutait pour sa part Thierry Burlot, président du comité de bassin de l'agence de l'eau Loire-Bretagne.
20 millions d’euros pour les collectivités "en curatif"
Preuve de ces difficultés, le gouvernement souligne qu’une "enveloppe financière sera mobilisée dès 2024 au titre d’Écophyto" – 20 millions d’euros – pour accompagner les collectivités "qui doivent mettre en place des unités de traitement pour potabiliser l’eau face à des pollutions par des pesticides et leurs métabolites". Une somme, comprise dans les 250 millions d’euros de crédits "issus de la planification écologique" accordés à cette stratégie déjà annoncés en septembre dernier (voir notre article du 20 septembre 2023), sans doute bienvenue. Mais que d’aucuns ne manqueront pas de mettre en regard des "260 à 360 millions d’euros par an" de "dépenses de traitement de potabilisation [de l’eau engagées par les] collectivités locales entraînées par la présence de produits pharmaceutiques dans les nappes et rivières", comme le rappelle en introduction la stratégie elle-même, en se référant à deux rapports de 2011 et de 2015 du Commissariat général au développement durable.
D’autant que les collectivités sont dans le même temps invitées à mettre elles aussi la main à la poche dans le cadre de cette stratégie. Elles font ainsi partie des cofinanceurs qui devraient selon cette dernière être sollicités pour éviter que le financement du programme de rénovation du bulletin de santé du végétal – un outil d’observation et de prévision du comportement des maladies et des ravageurs mis gratuitement à disposition des agriculteurs – "ne repose que sur Écophyto 2030".