La stratégie du "pilonnage" des points de deal en question

Une mission parlementaire va se pencher sur la politique de lutte contre les stupéfiants alors que la stratégie du "pilonnage des points de deal" ne semble pas donner de résultats probants sur le terrain.

"On pilonne les points de deal, on ne les laisse pas au repos… On pilonne, on pilonne, on va démanteler les réseaux. Et on ira au bout." Derrière la métaphore martiale du président de la République, prononcée le 3 octobre sur France 3 (rappelant la "Bataille de Stalingrad" de Gérald Darmanin), quelle efficacité ? C'est ce que va s'attacher à savoir une mission d'information de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, installée le 27 septembre, pour "évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants". Cette mission aura pour rapporteurs Clara Chassaniol (Renaissance, Paris) et Antoine Léaument (LFI, Essonne). Elle aura notamment vocation à évaluer la stratégie du "pilonnage des points de deal" a expliqué à AEF le président de la commission des Lois, le député Sacha Houlié (Renaissance, Vienne). Plus généralement elle va chercher à "voir ce qui se passe en Guyane avec la pression que l’on subit sur la cocaïne, examiner la politique du 100% de contrôle à l’aéroport de Cayenne, mais aussi travailler sur les pressions subies par les ports du Havre et de Marseille, sur l’afflux d’héroïne et de fentanyl…". Elle souhaite enfin, évaluer l’utilité des "amendes forfaitaires délictuelles pour les consommateurs" et "anticiper le débat sur la légalisation du cannabis", selon la même source.

"Le cancer qui ronge la ville"

Au mois de mars, le gouvernement se targuait d'avoir fait "pilonner" quelque 1.000 points de deal sur les 4.000 recensés et cartographiés en deux ans, ce type d'opérations ayant fortement progressé (voir notre article du 1er mars 2023). Il se félicitait de saisies records. Pas au point de tarir ce flux incessant qui profite notamment de l'explosion du transport maritime. Il y a quelques jours, un collectif de 48 maires de grandes villes tirait le signal d'alarme. "Alors que se multiplient la consommation et le commerce des substances illicites et de leurs produits de synthèse, les élus locaux subissent l’évolution des marchés et font face à de nombreux défis. Il n’y a pas un mois au cours duquel l’actualité n’est pas rythmée par des faits divers sur fond de trafic de stupéfiants", alertaient-ils, dans une tribune publiée dans Le Monde, mercredi 20 septembre 2023, en plein congrès de leur association France urbaine (voir notre article du 22 septembre). Dressant le constat que la situation ne s'améliore pas, ce texte transpartisan signé aussi bien par Johanna Rolland (Nantes, PS) que Jean-Luc Moudenc (Toulouse, divers droite) ou Éric Piolle (Grenoble, EELV), appelle à un véritable "plan national et européen de lutte contre le trafic de drogue, qui s’intéresse aux gains financiers, leur rentabilité et leur traçabilité" et formule 5 propositions en ce sens. Les maires proposent notamment de "territorialiser davantage les moyens de la justice" et de "rapprocher les procureurs de la République des élus locaux en rendant plus opérationnel le continuum de sécurité".

Lors de son entretien sur France 3, le chef de l'Etat était d'ailleurs interrogé sur la situation à Marseille, où l'on dénombre 46 décès liés à des règlements de compte depuis le début de l'année, dont deux nouveaux la semaine dernière. "Nous savons que le cancer qui ronge la ville, comme d’autres villes", et qui se "concentre dans certains quartiers, c’est la drogue", avait déjà déclaré Emmanuel Macron en septembre 2021 lorsqu'il avait esquissé son grand plan pour la cité phocéenne (voir notre article du 3 septembre 2021)…

Un "fléau" qui se répand

Mais dans leur tribune, publiée après la mort d'un enfant de dix ans et un homme dans un quartier de Nîmes, les élus soulignent que "ce fléau n’est plus spécifique à certaines grandes villes" et que "sa forme et le degré de violence observés sont nouveaux, notamment chez les mineurs". "Les territoires d’outre-mer deviennent des plates-formes d’acheminement des marchandises illicites. Les villes moyennes et les petites villes deviennent aussi le théâtre de trafics et de nuisances, voire de règlements de comptes". Lors du dernier congrès des maires, des élus ruraux exprimaient leur désarroi (voir notre article du 24 novembre 2022). Plus récemment, une note du SSMSI (service statistique du ministère de l'Intérieur) soulignait que, si le trafic reste très concentré dans les grandes agglomérations en volume, ramené au nombre d'habitants, il frappait plus durement des villes petites et moyennes (voir notre article du 19 juillet 2023). Un constat qui vaut aussi pour la consommation. Le taux de mis en cause pour cette infraction est supérieur à 11,2 pour 1.000 habitants dans 47 aires urbaines, dont seule Aix-Marseille a plus de 100.000 habitants.

Si, en 2022, la délégation parlementaire du renseignement alertait sur le risque de déstabilisation des institutions (locales et nationales), sur l'exemple des Pays-Bas et de la Belgique, la crise des opioïdes aux Etats-Unis tend à montrer que l'exécutif a peut-être déjà une guerre de retard.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis