Economie mixte - La Scet lance un nouveau plan d'appui aux collectivités
Au carrefour des grandes transitions en cours dans le pays - énergétique, numérique, démographique ou encore institutionnelle avec la réforme territoriale -, la Scet (Services conseil expertises territoires) a présenté, mardi 3 novembre, son nouveau plan de développement au service des collectivités. Une façon de marquer les soixante ans de cette filiale de la Caisse des Dépôts, aujourd'hui à la tête d'un réseau de 300 entreprises publiques locales (EPL) et bailleurs répartis sur l'ensemble du territoire.
Créée en 1955 pour contribuer à l'effort de reconstruction du pays après-guerre (logements, autoroutes, grands ensembles, centres d'affaires…) en s'appuyant sur le modèle original de l'économie mixte, la Scet accompagne les collectivités, de la conception des projets à leur réalisation, notamment dans leurs montages juridiques et financiers. Elle entend à présent renforcer son expertise en matière d'ingénierie financière, de services urbains, d'énergie… La transition territoriale "provoque des réorganisations, des fusions de collectivités, d'outils" quand, dans le même temps, les collectivités sont confrontées à "une toujours plus grande adaptation de (leur) environnement à la loi du marché", a souligné le président-directeur général de la Scet, Stéphane Keïta, lors d'un colloque organisé à la Cité de la mode et du design, à Paris. Pour accompagner ce changement, la Scet, qui dispose aujourd'hui de 300 collaborateurs, va d'abord recruter de nouveaux experts et "accroître son rayonnement" pour "refonder sa légitimité d'intervenant essentiel et d'opérateur du monde de l'économie mixte". "Nous visons une augmentation de 50% du nombre de membres de notre réseau pour atteindre les 400 adhérents d'ici quelques années", contre 300 aujourd'hui, a fait savoir Stéphane Keïta.
Une gageure alors que la Scet a subi elle aussi les effets de la crise et du ralentissement brutal des investissements des collectivités ces deux dernières années. "Le marché de l'ingénierie conseil public et privé est de 30 milliards d'euros. A lui seul, le public représente 12 milliards d'euros et le marché des collectivités 6,7 milliards d'euros. Le marché des entreprises publiques locales, lui, est de 700 millions d'euros", a commenté Stéphane Keïta. "On tire dans une pièce de 10 centimes avec un fusil à lunette à plus de 10 km de la cible. Mais on est très bon", a-t-il plaisanté.
La Scet compte aussi développer son offre dans la gestion d'actifs : de la gestion immobilière au pilotage complet de sociétés (gestion juridique des contrats, des marchés, du patrimoine, des études et travaux, comptabilité…), sans qu'il y ait de prises de participations. En 2016, un "réseau social d'entreprise" (RSE) sera mis en place pour les collaborateurs, les clients et partenaires de la Scet, afin de "fédérer une communauté d'expertise". "Il était important de nous doter d'une organisation plus lisible, plus transversale", a souligné Stéphane Keïta.
"L'économie mixte n'est pas ringarde"
Cette évolution s'inscrit dans les orientations de la maison mère, la Caisse des Dépôts, avec laquelle les relations ont pu être tendues dans le passé. Célébrant ces "noces de diamant", le directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas, s'est livré à un plaidoyer pour le modèle de l'économie mixte : "Ce n'est pas quelque chose de ringard, c'est la capacité à prendre des risques" dans un univers européen "fondamentalement concurrentiel". "L'économie n'est pas hors sol, elle est inscrite dans les territoires, dans les villes, les agglomérations, les zones rurales, les villes moyennes. Il n'y a pas deux mondes entre l'économie et les territoires. L'économie est territoriale", a-t-il aussi insisté.
Dans le contexte de baisse des dotations aux collectivités, la Caisse des Dépôts entend jouer son rôle d'appui aux territoires pour maintenir l'investissement local à flot. "Nous ne devons plus nous contenter d'être des investisseurs financiers. Il faut aider les élus à construire leur identité future", a-t-il déclaré, sachant que la Caisse des Dépôts est elle-même en train de déployer une nouvelle offre de services aux collectivités au sein de sa direction du réseau et des territoires. Selon lui, les moyens ne manquent pas, mais encore faut-il "brancher les bons tuyaux sur les projets (plan Juncker ou marchés financiers)". Trouver les bons tuyaux ? "La Scet essaiera d'être Huggy", lui a répondu Stéphane Keïta.
Châlons-en-Champagne, un épicentre des mutations en cours
Ce besoin d'ingénierie financière, le député-maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu, l'a illustré avec force. Sa ville est un épicentre des mutations en cours : fermeture de casernes, départ de 1.000 militaires et de leurs familles, perte de son statut de capitale régionale au profit de Strasbourg dans le cadre de la grande région Champagne-Ardenne-Alsace-Lorraine, déclin démographique, le tout sur fond de crise économique… "En 1951, le Petit Larousse nous définissait comme une ville militaire, administrative et épiscopale. Il ne nous reste que l'évêque", a ironisé l'élu. "Avec le TGV, tout ce qui est entre Paris et Strasbourg encourt un risque d'aspiration vers les métropoles", a-t-il mis en garde. D'ailleurs, les derniers recensements le montrent : la Champagne-Ardenne est la seule région à perdre des habitants. "C'est le quart Nord-Est qui s'effondre, on assiste à une fuite de la population vers la façade atlantique et le couloir rhodanien. Il faut que l'Etat nous accompagne pour rééquilibrer le territoire", a encore insisté Benoist Apparu, dont la ville bénéficie d'un contrat de redynamisation de site de défense doté de 131 millions d'euros et vient d'être classée en zone d'aides à finalité régionale.
L'une des parades trouvées par les élus est le projet de fusionner Châlons et Reims dans une même intercommunalité pour constituer un deuxième pôle régional. L'autre grand défi du maire sera la revitalisation du centre-ville. "Nous avons traité les quartiers difficiles. C'est assez facile car il n'y a souvent qu'un propriétaire, a estimé l'ancien ministre délégué au Logement. Dans les centres-ville, c'est beaucoup plus compliqué. Nous avons besoin de l'appui de sociétés d'économie mixte (…), d'une ingénierie technico-financière pour traiter avec 300 propriétaires…"
Michel Tendil
Les "villes-hôtels" ou le monde fabuleux de Jacques Attali
On savait qu'avec Jacques Attali, "les pays sont des hôtels". Expression empruntée à Michel Houellebecq. Mais pour le chantre du nomadisme planétaire, les villes en sont aussi. "Une ville, c'est un hôtel", a-t-il en effet martelé, lors du soixantième anniversaire de la Scet, le 3 novembre, où il était invité en tant que grand témoin. Les villes se doivent d'être accueillantes, de "penser à attirer des gens vers elles, des talents, des capitaux". Car "les collectivités territoriales qui l'emportent sont celles qui s'ouvrent sur le monde", assure le président de Positive Planet, convoquant l'histoire, quitte à l'écorner. "La France n'a jamais été la grande puissance qu'elle prétend être", parce qu'elle a toujours eu "peur de la mer". Il en tient pour preuve la création des chefs-lieux de départements "sous Napoléon" (sic) dont "aucun n'était côtier"… Outre que les départements datent de 1790 et les préfectures de 1800, dès l'origine, nombre de ces chefs-lieux étaient bel et bien des ports : Ajaccio, Marseille, Nantes, Bordeaux, Rouen…
Jacques Attali lie les désordres financiers actuels à l'absence de gouvernement mondial. Un "marché sans état de droit planétaire" conduit à "la criminalité, au désordre", assène-t-il. Mais "cela ne durera pas" car "les peuples ne peuvent se contenter de ce chaos". "Quelque chose va se passer qui redonnera du sens au long terme", prophétise-t-il, balayant aussitôt la solution étatique. "C'est l'Etat qui a créé la France. On a un mal fou à se penser sans l'Etat", estime-t-il, ajoutant que "les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer". "Toutes les évolutions technologiques portent vers la décentralisation (...) C'est la fin des structures centrales (...) Les nations et les Etats sont de plus en plus défaits."
Ainsi, le monde se structurera de plus en plus autour "de grandes conurbations", des métropoles qui "dans un monde de très grande fragilité", offrent un "îlot de stabilité"… Bienvenue dans "Globalia", le roman d'anticipation de Jean-Christophe Ruffin.
Ce qui ramène Jacques Attali à la France et aux réformes territoriales. La France "doit se construire autour de ses collectivités territoriales". Se penser comme une chaîne d'hôtels en somme... Dans cette perspective, il souhaite faire descendre à "10.000" le nombre de communes, invitant les collectivités à la "dissidence" au regard des schémas qu'on leur impose. "Si l'Etat ne fait pas ce qu'il a à faire, c'est à nous de le faire", harangue-t-il. Selon lui, "la disparition de 60 départements est une évidence".
Michel Tendil