Pouvoirs locaux - La réflexion sur l'avenir de la décentralisation se poursuit
"Les territoires sont morcelés, les institutions chargées de les gouverner prolifèrent, les compétences sont fragmentées", constate le député du Maine-et Loire Michel Piron dans un rapport d'information qu'il vient de remettre à la commission des lois de l'Assemblée nationale (voir ci-contre). Elu local depuis 1971, il ne mâche pas ses mots : "La complexité de notre organisation institutionnelle territoriale est devenue telle que le système pourrait bien devenir autobloquant."
Pour Michel Piron, la loi du 13 août 2004, dont la mise en oeuvre a notamment débouché sur le transfert des routes nationales aux conseils généraux et donnera lieu dans les prochains mois à la décentralisation des personnels non-enseignants des collèges et des lycées, présente des "résultats satisfaisants". En revanche, le droit à l'expérimentation locale accordé aux collectivités par la loi constitutionnelle de mars 2003 et la loi organique du 1er août 2003 "ne saurait installer un nouvel équilibre territorial des pouvoirs pérenne et ne fait que retarder le blocage", juge le député. Un euphémisme puisqu'à ce jour aucune collectivité ne s'est encore portée candidate à une expérimentation dans ce cadre là.
Les compétences des collectivités locales ont besoin d'être clarifiées, insiste le rapport. Certes les dernières lois de décentralisation ont apporté des améliorations, mais un nouvel "acte" de décentralisation, le troisième, sera nécessaire.
Faire évoluer la carte administrative
En vue de ce chantier, Michel Piron propose quelques pistes : mettre en oeuvre la notion de chef de file insuffisamment exploitée selon lui, confirmer le rôle de l'intercommunalité ou encore, pour les opérations complexes, coupler les intervenants (le département avec la région ou les communes avec l'intercommunalité, par exemple) afin de limiter les financements croisés. De son côté, l'Etat doit "accorder une prééminence encore plus forte aux préfets de région, seuls susceptibles d'assurer la synthèse des diverses composantes de l'Etat à l'échelle d?un territoire pertinent".
Une clarification pourrait aussi naître d'une évolution de la carte administrative, que le député juge obsolète. A ce titre, "il faut renoncer clairement à l'illusion d'une administration déconcentrée de l'Etat dont chaque échelon correspondrait à une catégorie de collectivité territoriale", estime Michel Piron. La recette consiste pour le député à "faire coïncider autant que possible territoire et compétence" afin de donner naissance à des "territoires pertinents". Concrètement, le député propose de regrouper certaines régions pour qu'elles atteignent une taille critique. Côté départements, des suppressions seraient envisageables, comme en Ile-de-France ou en Alsace. En revanche, "certaines régions dont le territoire est hétérogène ou la population très peu dense peuvent justifier le maintien d'une collectivité départementale, à l'exemple de la région Languedoc-Roussillon ou encore de la région Auvergne".
De taille critique, il est aussi question pour les communes. Pour l'atteindre, le député remet au goût du jour la loi Marcellin du 16 juillet 1971 sur la fusion des communes. Cette fois cependant, ce sont les habitants et non plus les seuls conseils municipaux qui pourraient proposer un projet de fusion. Les conseils régionaux pourraient aussi se voir accorder, à titre expérimental, la possibilité de réorganiser les territoires communaux. Les régions seraient enfin dotées d'un pouvoir normatif, qui leur permettrait de proposer au législateur des adaptations locales du droit, comme peut déjà le faire l'Assemblée de Corse.
Thomas Beurey / EVS Conseil pour Localtis
"Améliorer la complémentarité des différents pouvoirs"
Pour le député Michel Piron, auteur du rapport sur "L'équilibre territorial des pouvoirs", le mouvement de décentralisation devra se poursuivre, notamment pour clarifier l'architecture des pouvoirs. Entretien.
Pourquoi avoir réalisé un rapport sur "l'équilibre territorial des pouvoirs ?"
Il faut partir de l'idée que les élus ont la responsabilité de l'intérêt général, mais que cet intérêt général se décline à différents niveaux : départemental, régional, interrégional, etc. Cela incite à chercher l'équilibre entre ces différents niveaux de pouvoir. Conscient aussi que le thème de la décentralisation a donné lieu à de multiples rapports, j'ai voulu éviter toute redondance. Par conséquent, j'ai essayé de revisiter la question. Pour élargir le point de vue, je me suis rendu dans quatre pays ou régions d'Europe - Italie, Espagne, Ecosse, Suède - choisis en raison de leur taille et parce qu'ils ont, au cours des dernières années, accepté de ré-interroger leur organisation territoriale.
Vous notez que nos voisins européens comprennent difficilement comment fonctionnent réellement les territoires en France. A quoi est-ce dû selon vous ?
Tout le monde s'accorde sur le fait que l'on est dans un système de plus en plus illisible. La raison en est simple : quand on réforme le système, on ajoute un dispositif tout en conservant l'ancien, c'est-à-dire sans effectuer de substitution. C'est de là que naît l'illisibilité. Cela peut devenir dangereux et aller jusqu'à déconsidérer l'ensemble de la représentation politique. Aujourd'hui, la France possède, en-dessous de l'Etat, quatre niveaux d'administration capables de lever l'impôt : la région, le département, les communes et leurs groupements. Plutôt que de supprimer un niveau de collectivité, je propose de revisiter la notion de couple (région-département et commune- intercommunalité) qui permet d'améliorer la complémentarité des différents pouvoirs. C'est une idée sur laquelle on aurait dû davantage s'appuyer lorsqu'on a décidé de transférer les personnels TOS des collèges aux conseils généraux et ceux des lycées aux régions.
Que critiquez-vous dans la méthode choisie pour le transfert des TOS ?
Il est coûteux d'avoir deux structures de gestion. Le gouvernement aurait pu n'en retenir qu'une seule ce qui aurait, entre autres avantages, accru les possibilités de mobilité des agents.
Faut-il selon vous "un acte III" de la décentralisation ?
Il faut d'abord un temps de pause. C'est nécessaire pour permettre aux collectivités locales de digérer les derniers transferts de compétences. Pendant ce temps, la réflexion stratégique doit continuer car je ne crois pas qu'on puisse rester longtemps dans la situation d'entre-deux dans laquelle nous nous trouvons. Aujourd'hui, tout pouvoir est tenté de s'occuper de tout sur son territoire. Certes, on a bien cherché à confier aux collectivités des responsabilités exclusives, mais avec peu de réussite. En définitive, l'explosion du nombre des interlocuteurs entraîne des surcoûts. Il faut désormais trouver des solutions. Le principe de chef de file en est une. D'autres pistes sont envisageables. Pourquoi ne pas s'inspirer de l'exemple de l'Espagne qui a mis en place des conférences techniques et sectorielles entre l'Etat et les régions ? Il faut aussi mettre les choses à plat et s'interroger sur la nécessité de conserver une organisation uniforme de l'Etat territorial.
Propos recueillis par Thomas Beurey