À la recherche d'un avenir économique, social et solidaire pour les territoires ruraux
Le projet "Tressons" piloté par l'Avise et le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) vise à renforcer les dynamiques d'économie sociale et solidaire dans les territoires ruraux. Le 7 mai, un webinaire a permis de présenter les résultats intermédiaires de la démarche. Parmi les enjeux : s'appuyer sur les atouts de l'ESS pour s'adapter aux caractéristiques rurales, dont la faible densité de population et d'activité, soutenir et accompagner les porteurs de projets et les territoires en quête de développement, inventer des solutions dans des secteurs - commerce, culture, services… - délaissés par d'autres opérateurs publics et privés.
Lors d'un webinaire organisé le 7 mai 2020 autour de la question "L'avenir des territoires ruraux est-il social et solidaire ?", l'Avise et le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) ont fait le point sur le projet "Tressons", mené entre 2019 et 2021 avec une quinzaine de partenaires dont la Banque des Territoires, destiné à renforcer les dynamiques d'économie sociale et solidaire (ESS) dans les territoires ruraux (voir nos articles du 3 mai 2019 et du 19 juillet 2019). L'occasion de rappeler la place particulière qu'occupe l'ESS dans ces territoires, tant en termes d'emplois (14% de l'emploi, contre 10% dans les zones urbaines et 11% dans le périurbain) que de réponses aux besoins des habitants. "Le nombre d'emplois dans l'ESS a augmenté depuis la crise de 2008", a souligné Floriane Vernay, chargée de mission à l'Avise. Dans les territoires ruraux, les effectifs salariés de l'ESS ont augmenté de 5% entre 2008 et 2015, pendant que ces effectifs baissaient de 4% dans le reste de l'économie du fait du déclin industriel et du recul des services publics. Ainsi, selon le RTES qui vient de publier une fiche sur le sujet, l'ESS constitue dans le monde rural "une économie résiliente", mais aussi "porteuse d'innovations sociales et environnementales".
S'il est encore trop tôt pour mesurer l'impact de la crise sanitaire actuelle, d'ores et déjà "l'ESS joue un rôle primordial" dans les questions qui se posent sur l'alimentation, l'accès au soin ou encore la lutte contre l'isolement, particulièrement dans les territoires ruraux, a observé Lucie Gras, déléguée générale d'ESS France. "Nous plaidons, chaque jour mais particulièrement en ce moment, pour que l'ESS soit le cœur d'un new deal de la transition", a-t-elle ajouté.
Commerce, culture, services aux entreprises : des réponses de l'ESS adaptées à la faible densité du monde rural
Dans le monde rural, l'ESS est très présente dans l'action sociale (elle représente 56% des emplois dans ce secteur, près de 85% dans l'aide à domicile), les sports et loisirs (50% des emplois), les activités financières et d'assurance (48%). L'Avise et le RTES mettent en avant d'autres secteurs où l'ESS, encore minoritaire, pourrait être amenée à prendre de plus en plus d'importance : le commerce – notamment dans une logique de circuits courts et de valorisation de la production alimentaire et artisanale locale, intéressante "dans un contexte où l'on réfléchit à la relocalisation des activités" relève Floriane Vernay -, le soutien aux entreprises – l'ESS représentant 17% des emplois "soit trois fois plus que dans l'ensemble de la France", avec notamment le rôle des coopératives d'activité et d'emploi et des Cuma, coopératives d'utilisation de matériel agricole – et les arts et spectacles. Concernant ce dernier secteur, Floriane Vernay met en avant le développement de pratiques itinérantes et éphémères pour pallier le manque d'équipements, par exemple avec l'association Les Concerts de poche qui organise la venue d'artistes de musique classique, jazz et opéra dans les villages.
Du fait de ses caractéristiques particulières et en premier lieu de sa non-lucrativité ou de sa lucrativité limitée, l'ESS invente ainsi des réponses aux divers problèmes engendrés par la "faible densité du monde rural", là où le secteur marchand marque un "désintérêt" et les services publics un "retrait", note le RTES. L'une de ces réponses, particulièrement valorisée actuellement au niveau national notamment dans le soutien apporté aux tiers-lieux, s'appelle la "pluriactivité". "En période de crise sanitaire, un constat remonte : celui de l'atout de cette pluriactivité des projets de l'ESS, par exemple avec des bistrots-cafés-épiceries ; si la partie café est fermée, la partie épicerie peut rester ouverte", a fait valoir Floriane Vernay. Ainsi, en matière d'ingénierie, "on a besoin de croiser des expertises" pour accompagner ces projets qui, de plus en plus, "vont avoir une dimension agricole, une dimension commerciale, une dimension d'accompagnement au montage de projets, etc.", a souligné Bérengère Daviaud, chargée de mission à l'Avise.
Facilitation, accès au foncier, contractualisation : les leviers des collectivités
Le webinaire a été l'occasion pour le RTES de récapituler les leviers de soutien à l'ESS à la disposition des collectivités locales. Ces dernières peuvent d'abord jouer un rôle de facilitation en apportant de l'information, un relais vers les acteurs de l'accompagnement et du financement, ou en animant la coopération. Concernant l'accès des acteurs de l'ESS au foncier, les collectivités peuvent agir "au travers de leur patrimoine existant, de leur implication dans des structures comme les Safer, de leur droit de préemption et de leur rôle en matière d'aménagement du territoire", a précisé Anne-Laure Federici, déléguée générale du RTES. Autre point à ne pas négliger selon elle : la prise en compte de l'ESS dans les outils de contractualisation du territoire, que ce soit au niveau des fonds européens – Leader, programmes opérationnels régionaux des fonds structurels – ou au niveau de dynamiques telles que les projets alimentaires territoriaux. A ce sujet, une étude menée par des étudiants de Sciences Po pour l'Avise vient d'être publiée sur les "pratiques de mobilisation des outils et programmes de développement rural".
Pour favoriser l'expérimentation sur des sujets tels que les commerces de proximité et les tiers-lieux ou encore la mobilité en milieu rural, le département d'Ille-et-Vilaine s'attache à "donner du temps rémunéré à des porteurs de projets sur les territoires" dans le cadre d'un appel à projets innovants, a témoigné Emmanuelle Rousset, vice-présidente de ce département et vice-présidente du RTES. "La loi Notr nous a enlevé la compétence économique, donc on a retravaillé notre politique ESS pour en faire un outil de développement local", a-t-elle expliqué. Le département s'attache ainsi à intégrer l'ESS dans ses propres politiques sectorielles – agriculture, habitat, culture… - et à appuyer les élus municipaux dans leur démarche (sur la politique de l'Ille-et-Vilaine, voir aussi notre article du 10 janvier 2020).
Un enjeu de couverture territoriale de l'accompagnement à l'entrepreneuriat social et solidaire
?Autre levier de soutien possible, pour Floriane Vernay : la création de "liens entre des structures d'accompagnement urbaines et des collectivités rurales". Cela pour permettre éventuellement à des porteurs de projets de s'installer en milieu rural et déployer des initiatives utiles aux territoires. Il s'agit parallèlement d'accompagner les "territoires sans porteurs de projets", dans le cadre par exemple du dispositif "Fabrique à initiatives" animé par l'Avise et des opérateurs régionaux dans huit territoires (Aquitaine, Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Corse, métropole toulousaine, Île de la Réunion, Bretagne et Bourgogne-Franche-Comté) et expérimenté dans dix autres.
Sur l'accompagnement de projets dans les territoires ruraux, Bérengère Daviaud observe "une carence extrêmement forte au niveau des premiers pas", davantage que pour le stade de "consolidation" des projets au niveau duquel interviennent les 120 opérateurs locaux du dispositif local d'accompagnement. L'Avise défend par ailleurs "une vision inclusive de l'entrepreneuriat" et plaide ainsi pour le "développement d'approches intégrées" d'accompagnements consistant autant à de l'aide à la création d'activité que du soutien sur la mobilité ou la garde d'enfants. Dans le cadre du projet Tressons, le collectif Créa'rural a été créé pour identifier l'ensemble des acteurs intervenant dans les territoires ruraux et assurer une meilleure couverture territoriale de l'accompagnement à l'ESS.