La politique française du handicap ne convainc pas le comité de l'ONU
Une nouvelle fois, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies reproche à la France son manque d'approche fondée sur les droits de l'homme, malgré "certains progrès", notamment en matière d'emploi.
Une nouvelle fois, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies (CDPH), émanation du Haut-commissariat aux droits de l'homme, a examiné la situation de la France en matière de handicap ou, plus précisément, vis-à-vis de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), ratifiée par la France en mars 2010. Et, une nouvelle fois, le comité n'a trouvé pratiquement rien à sauver, comme cela était déjà le cas lors de la précédente audition il y a quatre ans (voir notre article du 13 novembre 2017) et lors des auditions antérieures... Cet exercice récurrent paraît de plus en plus virer au dialogue de sourds et finit, au fil des sessions, par interroger sur son intérêt réel.
"Certains progrès accomplis"... mais toujours pas d'approche fondée sur les droits de l'homme
En l'occurrence, la session a eu lieu du 18 au 23 août en visioconférence, alors que Sophie Cluzel, la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, et une partie de la délégation française se trouvaient à Tokyo pour suivre les Jeux paralympiques. Pas moins de 24 personnes, depuis Paris ou Tokyo, ont ainsi participé à cette audition. Pour mémoire, la France a rendu son rapport initial en mai 2016 et a répondu à un questionnaire complémentaire en septembre 2020. L'audition de l'été 2021 a donc été "l'étape ultime de ce premier rapport périodique", avant la publication dudit rapport, intervenue le 14 septembre.
Pour le comité, le résultat est sans ambiguïté. Son long communiqué du 23 août se conclut par : "M. Ruskus [expert rapporteur du comité pour l'examen du rapport de la France, ndlr] (...) s'est dit déçu par les niveaux de discrimination structurelle à l'encontre des personnes en situation de handicap en France et a jugé très préoccupant que la France n'ait pas pour objectif de mettre fin à l'institutionnalisation de personnes handicapées, y compris d'enfants".
Le comité concède "certains progrès accomplis par la France". Mais seuls deux sont évoqués : "la modification du Code du travail obligeant les employeurs à prendre des mesures d'aménagement raisonnable et assimilant le refus d'obtempérer en la matière à une discrimination fondée sur le handicap" et "la stratégie pour l'emploi des personnes handicapées et la loi d'orientation destinée à favoriser l'autonomie des personnes handicapées". Rien n'est dit en revanche par le comité sur les avancées en matière d'intégration scolaire, de droits civiques ou de ressources (avec la revalorisation de l'AAH, même si le comité conteste la prise en compte des revenus du conjoint). Certes, le compte rendu du comité reprend, en les synthétisant, les propos de Sophie Cluzel présentant les mesures prises ces dernières années, mais il se garde bien de les endosser, ni même de se prononcer.
Un dialogue de sourds
En fait, le dialogue de sourds vient du fait que le comité ne s'intéresse pas aux mesures et aux avancées sectorielles, pas plus d'ailleurs qu'aux échecs éventuels. Tout son positionnement quelque peu déroutant tient au fait que, selon lui, "les mesures prises par la France ne traduisent pas le modèle du handicap basé sur les droits de l'homme qui est défendu par la Convention relative aux droits des personnes handicapées". Selon le rapporteur, "ceci pourrait être dû au fait que la loi de 2005 n'a pas été harmonisée avec la Convention. L'article premier de cette loi est au cœur du problème, car il permet aux associations gestionnaires du secteur médicosocial, et non aux organisations représentatives des personnes en situation de handicap, d'exercer une influence prépondérante sur les politiques publiques en matière de handicap". Conséquence aux yeux du comité : "Le modèle du handicap basé sur les droits de l'homme n'a pas été intégré dans la législation ni la réglementation nationales", pas plus qu'il "n'est devenu partie intégrante de la conscience politique et professionnelle" en France.
Sans beaucoup d'explications, le rapporteur estime que "plus de 700.000 personnes en France restent privées de leur capacité juridique sur la base de leur handicap, et donc privées de leurs droits humains : cela constitue une violation claire de l'article 12 de la Convention". Une allusion aux personnes sous tutelle ou curatelle ? Le comité s'inquiète aussi de questions comme la feuille de route de 2018 pour la santé mentale et la psychiatrie – qui "se réfère encore au modèle médical du handicap" – ou encore le projet de protocole additionnel à la Convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine (et demande à la France de confirmer qu'elle s'y opposera).
Deux visions d'une même session
Le dialogue de sourds n'est toutefois pas l'apanage du comité. Dans un communiqué du 24 août, la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées ne fait aucune allusion aux critiques sévères. Tout en rappelant les mesures prises depuis cinq ans, Sophie Cluzel indique toutefois que "la France examinera avec attention les recommandations qui seront faites par le comité, afin de poursuivre cette mobilisation pour l'effectivité des droits des personnes en situation de handicap sur le long terme". Et qu'elle va "accélérer des chantiers tels que l'accessibilité universelle, la pleine participation des personnes en situation de handicap aux décisions qui les concernent, ainsi que les enjeux liés à la désinstitutionalisation"...
En attendant 2028…
Le 14 septembre donc, le comité a publié son rapport final. Pour l'instant, ce document d'une vingtaine de pages n'existe qu'en anglais (voir téléchargement ci-dessous), mais devrait être bientôt traduit. Sans surprise, les conclusions finales ne diffèrent pas des observations formulées durant la session. Les réponses apportées par la délégation française n'ont manifestement pas suffi à modifier le jugement d'ensemble du comité.
Dans un autre communiqué, daté cette fois-ci du 14 septembre, Sophie Cluzel reprend, elle aussi, les mêmes arguments que ceux figurant dans celui du 25 août, à l'issue des auditions. S'agissant de la recommandation consistant à donner plus de place à la parole des personnes en situation de handicap et à leurs représentants directs, elle indique au passage qu'elle saisit le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) pour qu'il lui fasse des propositions sur ce point. Elle mentionne aussi que le gouvernement "a pleinement conscience qu'il doit accélérer l'évolution de l'offre de services".
Prochaine étape : la présentation d'un nouveau rapport, programmé pour mars 2028.