La politique de cohésion à l’épreuve de la guerre et de la renationalisation

La plénière d’ouverture du 8e mandat du Comité européen des régions a été marquée par les menaces que font peser les "nouvelles priorités" – au premier titre, la défense – sur la politique de cohésion. Outre une coupe sombre dans ses fonds, c’est sa possible – probable ? – renationalisation qui attise les craintes.

Vladimir Poutine et Donald Trump, à des titres divers, abîmeront-ils la politique de cohésion ? C’est la crainte qui court aujourd’hui à Bruxelles. Et ce fut singulièrement le cas lors de la plénière ouvrant le 8e mandat du Comité européen des régions (CdR), tenue ces 19 et 20 février au Parlement européen. 

Séisme de la guerre, réplique d’une paix en devenir

Il y a trois ans, le séisme de l’entrée des troupes russes en Ukraine, intervenue juste avant le sommet européen des régions et des villes de Marseille (voir notre article du 4 mars 2022), avait brutalement remis au premier plan les enjeux de souveraineté et de défense. L’heure était toutefois encore à un certain optimisme. "La guerre devait abattre l’Europe, la diviser. Elle la renforce", voulait alors croire Renaud Muselier, président de la région Sud et hôte de la manifestation. "L’Europe de la défense est devenue une réalité", affirmait de son côté Carole Delga, à la tête de Régions de France, considérant que l’UE ne pouvait plus être confinée "au rang de continent de la parole". Trois ans plus tard, l’issue potentielle du conflit, et les modalités de sa définition – le lâchage américain –, soulignent cruellement qu’il n’en est rien. Pis, elles génèrent une nouvelle onde de choc, une réplique aux effets plus puissants encore que le tremblement initial. Ignorée, voire moquée, l’Union européenne se rend compte que le roi est nu.

Des défis qui tombent comme à Gravelotte

Alors que les ressources manquent — "Elles ne tombent pas du ciel, elles proviennent du travail des citoyens", rappelle le président du Conseil européen Antonio Costa, venu ouvrir le 19 février la nouvelle mandature du CdR —, que l’UE peine à en dégager de nouvelles pour rembourser sa dette, que les économies allemande (deux années de récession consécutives), française, italienne… vacillent, les "priorités", elles, ne cessent de s’empiler : changement climatique, perte de compétitivité, perte de souveraineté, immigration… et donc, plus que jamais, défense du continent. Un dernier défi que la Commission ne peut désormais plus ignorer, alors que ses rares velléités en la matière, comme la plate-forme Step (voir notre article du 23 juin 2023), n’ont jusqu’ici guère eu de portée. 

Prendre la guerre au sérieux

L’Union, et ses membres, sont poussés dans cette direction par plusieurs d’entre eux. En tête, la Pologne, historiquement bien – ou mal, géographiquement – placée pour connaître les enjeux. "Nous devons investir dans nos capacités de défense plutôt que de compter exclusivement sur des alliances externes", plaidait le président du groupe ECR au Parlement européen et ancien premier ministre, Mateusz Morawiecki, à Washington, ce 20 février. Le même jour, à Bruxelles, l’un de ses adversaires, le maire de Varsovie Rafal Trzaskowski (pour l’heure en bonne place pour ravir la présidence du pays en mai), lui faisait écho : "La Pologne doit convaincre l’Europe qu’il faut prendre la sécurité au sérieux. Nous faisons le nécessaire [évoquant la part du PIB consacrée à la défense], ce n’est pas le cas de tous. Tout le monde doit être sérieux !", tonnait-il lors de la conférence de presse organisée pour la remise du prix Pawel-Adamowicz* au maire de Kiev, Vitali Klitschko. 

La sécurité, beaucoup de "divisions"

Dans les rangs du Comité des régions, le discours peine semble-t-il encore à porter. "La sécurité recouvre beaucoup de dimensions : sociale, climatique, technologique… La politique verte relève aussi de la sécurité : le besoin d’énergie, d’un air pur, de s’adapter aux conséquences du changement climatique, comme le trop d’eau ou le pas assez d’eau (…). Nous devons penser à toutes ces dimensions", argue en conférence de presse la nouvelle présidente de l’institution, Kata Tüttő (voir notre article du 20 février). Pour Vlasta Krmelj (PPE), membre slovène du CdR et maire de Selnica ob Dravi interrogée par Localtis, "le climat est au moins aussi important que la défense". Elle juge ainsi que les importantes inondations auxquelles sa région a été confrontée en 2023 "préoccupent davantage ses concitoyens que la défense". Tout en concédant que lors de ce funeste épisode, "l’armée a beaucoup aidé".

Surfer la vague plutôt que tenter de la contenir ?

Le président du Conseil européen, Antonio Costa — un ancien de la maison CdR –, ne semble lui pas douter que la vague en faveur de la défense va bel et bien déferler sur les politiques de l’Union. Plutôt que de vouloir tenter de la contenir, il propose de la surfer : "De nouveaux investissements dans la défense peuvent aussi créer des emplois dans nos régions et renforcer la cohésion territoriale", souligne-t-il lors de son intervention. La meilleure défense, c’est l’attaque. Une stratégie également promue par le président de la région espagnole de Murcie, Fernando López Miras, dans un avis adopté le lendemain visant "une industrie de défense européenne forte". "Les régions européennes ont beaucoup à apporter à une politique de sécurité et de défense solide dans l'Union, un objectif qui renforce la démocratie. Le principal atout sont les entreprises, en particulier les PME, qui ont besoin d'un soutien résolu pour s'intégrer dans les chaînes d'approvisionnement européennes et pour s'internationaliser", vante l’élu.

Juste avant, le vice-président de la Commission chargé de la politique de cohésion et des réformes, Raffaele Fitto, avait confirmé la tendance : "Il est important d’inclure de nouvelles priorités dans la politique de cohésion", prévenait-il, en précisant que l’enjeu n’est "pas de défendre la politique de cohésion, mais de la moderniser". Et d’avouer au passage qu’il lui était "impossible de dire que la politique de cohésion était intouchable". 

Le risque de la renationalisation

Un aveu guère rassérénant pour des membres du CdR qui redoutent par ailleurs plus que jamais une renationalisation de cette politique. Cela fait déjà plusieurs mois déjà que le CdR alerte sur les velléités recentralisatrices de la Commission. La menace a désormais pris corps dans la communication de cette dernière sur le prochain cadre financier pluriannuel, publiée deux jours avant l’ouverture de la nouvelle mandature du CdR (voir notre article du 17 février). Certes, Raffaele Fitto a bien tenté de calmer le jeu, en relevant que la Commission y écrivait noir sur blanc "qu’une politique de cohésion et de croissance renforcée, avec les régions en son centre, devra être conçue et mise en œuvre en partenariat avec les autorités nationales, régionales et locales". "C’est un fait qu’il faut prendre en compte", insiste-t-il. Sans pour autant rallier les sceptiques à sa cause. Pourtant, dans cette bataille aussi, il faut faire front, plaide le commissaire, lui aussi ancien de la maison CdR. "Commission et Comité des régions font face aux mêmes défis. Il est important de travailler à une position commune, d’unir nos voix dans la défense de la politique de cohésion, et pas seulement de débattre", plaide-t-il. "Nous faisons partie de la même équipe", lui a assuré Kata Tüttő, avant de joindre le geste à la parole en lui offrant un maillot de la "team cohésion" floqué du n° 7. Reste à espérer que cette équipe là restera unie et qu’elle descendra bien du bus le jour venu.

* Du nom du maire de Gdansk, assassiné en 2019.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis