La nouvelle nouvelle stratégie Biodiversité 2030 enfin dévoilée
Avec beaucoup de retard, la nouvelle stratégie nationale Biodiversité 2030 a enfin été dévoilée le 20 juillet, en plein remaniement ministériel. Alors que le volet présenté en mars 2022 devait initialement être "complété", la stratégie a finalement été redessinée. Elle reprend néanmoins plusieurs mesures de la précédente version. En revanche, les volets financements et gouvernance, très attendus, ne sont guère développés. Différentes instances doivent désormais se prononcer sur cette stratégie. Sa publication définitive n’est pas attendue avant l’automne.
Au terme d’un accouchement d'une durée inhabituelle, la nouvelle stratégie Biodiversité 2030 est enfin connue. Le travail avait débuté lors du précédent quinquennat, mais n’avait pu aboutir dans les temps. À l’approche du scrutin présidentiel, l’ancienne secrétaire d’État Bérangère Abba s’était résolue, la mort dans l’âme, à n’en présenter que "le premier volet" en mars 2022 (voir notre article du 16 mars 2022), en précisant qu’il serait complété "fin août-début septembre". Il n’en a rien été. En octobre, la nouvelle titulaire du poste, Bérangère Couillard, reportait même l’échéance "au printemps prochain" (voir notre article du 11 octobre 2022), puis à nouveau "à l’été" (voir notre article du 30 mai). Finalement, c’est donc seulement ce 20 juillet que le texte a été présenté devant le Comité national de la biodiversité (CNB). Décidément maudit, il l’a été en plein remaniement ministériel (voir notre article du 20 juillet). Lequel ne permettra pas à Bérangère Couillard d’assurer le service après-vente, puisque remplacée par Sarah El Haïry, qui devra à son tour y mettre sa patte. Car l’aventure n’est pas terminée. Outre le CNB, le Conseil national de l’eau, le Comité national de la mer et des littoraux et le Conseil national de la protection de la nature doivent encore rendre leur avis fin septembre sur la version dévoilée, avant une publication définitive de la stratégie espérée à l’automne prochain.
Une nouvelle nouvelle stratégie
Sur le fond, en fait de volet complémentaire, c’est une stratégie entièrement remodelée qui a été dévoilée. C’était attendu, Bérangère Couillard ayant eu l’occasion de déplorer "beaucoup de manques" dans la version élaborée par sa prédécesseure (dont quantité de mesures sont toutefois reprises). Mais aussi du fait de la nécessaire transcription des engagements de la France pris lors de la COP 15 de Kunming-Montréal en décembre dernier (voir notre article du 12 juillet).
In fine, cette stratégie se compose de 39 mesures – dont plusieurs sont déjà connues, voire en cours d’exécution – qui s’articulent autour de quatre axes (contre cinq axes et 72 mesures affichés dans la version présentée par Bérangère Abba) : "réduire les pressions qui s’exercent sur les biodiversités" (18 mesures) ; "restaurer la biodiversité dégradée partout où c’est possible" (8 mesures) ; "mobiliser tous les acteurs" (8 mesures) ; "garantir les moyens d’atteindre ces ambitions" (5 mesures).
Collectivités en première ligne
Les collectivités devraient logiquement être en première ligne. Le rapport présenté aux instances souligne que "la biodiversité est par nature un sujet très local". Il est ainsi prévu que la stratégie soit "territorialisée sous le pilotage des préfets, en synergie avec les stratégies régionales" que les régions doivent définir et mettre en œuvre depuis la loi du 8 août 2016 (voir notre article du 1er août 2016). On relèvera toutefois que la création d’un groupe permanent Régions de France/État sur la biodiversité et la mise en place d’une conférence annuelle ou biannuelle État/collectivités sur les politiques de biodiversité, prévues dans la précédente version, ont disparu.
Le rapport précise encore que pour sa mise en œuvre, la stratégie devra "être déclinée en plans opérationnels, en coordination avec les collectivités". Il faudra donc se montrer patient pour rentrer pleinement dans le concret. L’accompagnement de l’action des collectivités territoriales fait néanmoins déjà l’objet d’une "fiche-mesure" spécifique, laquelle détermine trois actions à conduire.
• D’abord, "mieux intégrer les enjeux de biodiversité dans le cadre de la planification territoriale". La nouvelle génération de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) devra ainsi comprendre systématiquement un volet biodiversité (dans les diagnostics et les plans d’action). Il devrait en être de même dans la future génération des contrats de plan État-région (CPER). L’objectif est en outre de "renforcer la prise en compte des continuités écologiques dans les documents de planification (Sraddet, PLU(i) et Scot)". Il en va de même avec la biodiversité dans les documents de gestion des sites patrimoniaux remarquables (PSMV et PVAP), qui sera considérée "comme un volet du patrimoine à protéger et à valoriser, notamment par le renforcement de la présence de la nature dans les centres urbains".
• Ensuite, "accompagner les collectivités pour mieux connaître la biodiversité sur leur territoire, à travers les atlas de la biodiversité communale". Leur généralisation sera promue, "sans toutefois rendre obligatoires ses démarches".
• Enfin, "renforcer les leviers à la main des collectivités pour faire émerger et mener à bien des projets territoriaux ambitieux en matière de biodiversité". Le gouvernement entend ici développer le recours à la démarche paysagère via un appel à projets, le renforcement des atlas paysage et le déploiement d’une formation aux élus. Il vise également à déployer un dispositif d’appui "pour l’émergence de récits territoriaux co-construits".
… et en deuxième ligne
Nombre d’autres mesures présentées (ou rappelées) concernent également plus ou moins directement les collectivités. Il en va par exemple ainsi avec la lutte contre les espèces toxiques envahissantes, avec la formation aux enjeux de la biodiversité de 30.000 élus (maires en priorité, mais aussi élus départementaux) et de 3 millions d’agents des collectivités d’ici 2030, avec "la généralisation de l’approche du budget vert pour les financements publics" (s’y ajoute un accompagnement des collectivités qui souhaiteraient développer un tel budget à compter de l’exercice 2024) ou encore avec la "mobilisation des citoyens tout au long de la vie", ne serait-ce que par ce qu’"un établissement scolaire sur trois (niveaux école et collège) disposera d’au moins un projet d’aire éducative qui permet aux élèves de comprendre et protéger un petit bout de territoire proche" d’ici la fin du quinquennat. Il en va naturellement de même avec les mesures spécifiques visant à "restaurer les continuités écologiques" et à "ramener de la nature en ville" (un renforcement du plan Nature en ville est prévu). Par exemple, chaque région devra identifier d’ici 2025 les principaux obstacles à ces continuités (les "points noirs" prioritaires), qui devront être résorbés d’ici la fin de la décennie.
Des volets financements et gouvernance réduits à la portion congrue
Au-delà de ces mesures, le principal ajout attendu avait trait au volet financement. En l’espèce, le document se fait peu disert. Le rapport se borne à rappeler que "dès 2024, le budget de l’État et ses opérateurs augmente de 264 millions d’euros pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale biodiversité 2030, en sus de la pérennisation des moyens mobilisés sur le fonds friche (300 millions d’euros par an) et la renaturation (100 millions par an) dans le cadre du fonds vert, le renouvellement forestier porté dans le cadre de France 2030 et la résorption des décharges littorales". Un montant récemment annoncé par la Première ministre (voir notre article du 12 juillet). Il précise la répartition de cette somme : 114 millions d’euros pour renforcer l’effectivité des aires protégées, 80 pour les écosystèmes, 18 pour la protection des espèces, 15 pour la biodiversité des milieux forestiers, 6 pour les milieux marins et 6 pour la restauration des sols. En revanche, aucune trajectoire n’est fixée jusqu’en 2030. Relevons que si le rapport souligne que "l’essentiel des financements actuels provient de l’État et de ses opérateurs » (1,3 milliard d’euros sur le périmètre des politiques de biodiversité et 1 milliard sur les "politiques connexes"), les collectivités sont loin d’être en reste. Selon le rapport, leurs dépenses directement favorables à la biodiversité représentaient en 2021 près de 900 millions d’euros– "avec une part prépondérante des départements (430 millions d’euros)" –, auxquels il faut ajouter 400 millions d’euros pour les politiques connexes.
De même, le "volet gouvernance" promis en 2022 par Bérangère Abba se fait plus que succinct. Pour l’essentiel, le rapport évoque "une gouvernance innovante, pleinement interministérielle et supervisée directement par Matignon" – spécifiquement par le secrétariat général à la planification écologique.