La neutralité carbone décryptée par l'Ademe
Dans un avis publié ce 1er avril, l'Ademe donne des clés de lecture pour comprendre le concept de neutralité carbone et décrypter la contribution des acteurs - organisations, territoires, citoyens - à cet objectif.
Qu'est-ce que la neutralité carbone ? Bien en peine qui pourrait donner de but en blanc une définition de ce concept qui fait florès particulièrement depuis l'Accord de Paris sur le climat de 2015. Celui-ci a bien fixé comme objectifs, pour limiter le réchauffement climatique en deçà des 2°C, d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a démarré il y a un an l’élaboration d’une norme sur le sujet. L'avis publié par l'Ademe ce 1er avril arrive donc à point nommé en proposant à la fois d'aider à comprendre la notion, d'identifier les contributions possibles des acteurs (organisations, territoires et citoyens) à cet objectif et de donner les clefs pour bien distinguer les ambitions réelles des effets d’annonce.
"La neutralité carbone se définit par le fait de séquestrer autant de carbone que l’on en émet, de manière à stabiliser son niveau de concentration dans l’atmosphère et ainsi limiter l’augmentation de la température globale de la planète, explique d'abord l'agence. Pour atteindre cet objectif mondial de neutralité, cela suppose d’une part, de réduire drastiquement les émissions, qu’elles soient d’origine fossile ou issues de matière vivante, et d’autre part, d’augmenter les puits permettant la séquestration du carbone."
Des démarches qui ne peuvent s'additionner
Cette définition étant posée, la neutralité carbone est une notion qui ne peut être définie qu’à l’échelle de la planète ou d’un État car chercher à appliquer une neutralité carbone arithmétique à une autre échelle peut engendrer des biais méthodologiques et éthiques", souligne l'Ademe. Ainsi "tous les acteurs doivent agir collectivement pour la neutralité carbone" mais "aucun acteur ne devrait se revendiquer neutre en carbone", souligne-t-elle. En effet, pour que la démarche de neutralité carbone ait du sens, le calcul des émissions de GES d’une organisation doit comptabiliser ses émissions directes, c’est-à-dire les quantités de GES qui sont émises sur place (gaz naturel brûlé pour le chauffage des bâtiments ou la consommation de carburant d’une flotte de véhicules professionnels, etc.) mais aussi ses émissions indirectes qui interviennent en dehors de l’organisation ou du territoire (liées à la fabrication de biens et de services consommés ou à l’utilisation des biens et services vendus), qui représentent souvent la part prépondérante des émissions totales. "Il est alors impossible de cumuler les démarches des différents acteurs sans risque de double-compte", relève l'Ademe.
Un autre écueil résulte selon elle de "l’absence d’équité entre acteurs". "Réduire l’échelle de comptabilité des émissions mènerait à creuser les inégalités au regard des possibilités d’équilibre des émissions et des séquestrations de chacun, note-t-elle. Par exemple, si l’objectif de neutralité carbone n’est pas mené au niveau national, un territoire qui serait recouvert d’un espace forestier important pourrait profiter de ce puits de séquestration sans avoir à mener de politique écologique ambitieuse tandis qu’un territoire sans espace forestier serait contraint de beaucoup plus d’efforts de réduction." L'agence relève aussi un "risque d’immobilisme" : "en cherchant à afficher leur neutralité carbone individuelle, les acteurs peuvent être tentés de se tourner vers des actions de compensation directement accessible à moindre coût, au détriment d’une réelle stratégie de réduction de leurs propres émissions et de leur impact sur le changement climatique."
Agir sur son périmètre de responsabilité
Selon l'Ademe, pour atteindre la neutralité carbone, il est donc nécessaire d’agir sur deux leviers : la séquestration du CO2 dans des puits biologiques ou technologiques et surtout, en priorité, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) "Les actions pour protéger les stocks existants dans les forêts et les sols et favoriser leur augmentation sont également à prioriser, notamment par rapport aux puits technologiques dont la mise en œuvre est plus coûteuse, consommatrice d’énergie et incertaine, conseille-t-elle. En respectant des bonnes pratiques, favoriser la séquestration de carbone dans les écosystèmes génère également des cobénéfices environnementaux comme la protection de la biodiversité et la qualité des sols."
"Agir pour la neutralité carbone consiste à se mobiliser sur le long terme, avec la mise en œuvre d’une action régulière et en progrès continu", poursuit l'agence qui conseille à l’ensemble des acteurs" (organisations, territoires et citoyens) de s'engager sur leur propre périmètre de responsabilité, c’est-à-dire sur lequel leur activité induit un impact sur la réduction des émissions de GES, qu’il soit direct ou indirect.
Pour un territoire, par exemple, "réduire drastiquement ses émissions GES, directes et indirectes, qu’elles soient fossiles ou biogéniques, se traduit par la mise en place d’actions sur son propre patrimoine et ses compétences, gérées par les collectivités qui les composent, l’animation des acteurs économiques pour qu’ils s’intègrent dans la dynamique territoriale de réduction, et d’apporter aux citoyens les solutions à mettre en œuvre pour réduire leurs modes de consommation", illustre-t-elle. Au regard de l’objectif mondial de neutralité, poursuit-elle, "il est primordial que la stratégie des territoires implique également une vision d’empreinte carbone, c’est-à-dire tenant compte de l’ensemble des émissions induites par les activités du territoire (déplacements des citoyens, activités des entreprises, consommation des ménages, etc.), que celles-ci aient lieu sur ce même territoire ou en dehors."
À l'échelle d'un territoire, la définition d'une stratégie d’augmentation des stocks et puits carbone devra tenir compte des différents usages de la biomasse (alimentaire, bioénergies, produits biosourcés, etc.) pour s’assurer que les activités actuelles et à venir n’impactent pas déjà négativement les stocks et puits de carbone des écosystèmes du territoire ou en dehors. Elle devra ainsi être construite de manière à assurer la pérennité des puits. "Par exemple, pour les forêts, il s’agit d’assurer une gestion durable (…) en promouvant des bonnes pratiques sylvicoles garantissant la protection de la biodiversité et des sols, d’accompagner la restauration des forêts dégradées, de promouvoir le boisement sur des friches et de prioriser l’utilisation du bois dans des produits à longue durée de vie", détaille l'Ademe.