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Sénatoriales - La "maison des collectivités" change de couleur

Le scrutin de dimanche a porté à 177 le nombre de sénateurs de gauche, soit deux de plus que la majorité absolue. Une première. Nombreux sont ceux qui évoquent à cette occasion le mécontentement des élus locaux face, notamment, à la réforme des collectivités.

Le scrutin sénatorial de ce dimanche 25 septembre a fait basculer la majorité de la Haute Assemblée à gauche, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République. Ce sont les derniers élus des Antilles, tous de gauche, qui ont confirmé dans la nuit ce basculement, portant à 177 le nombre de sénateurs de gauche, soit deux de plus que la majorité absolue. En sachant que jusqu'à dimanche, l'UMP de disposait pas de la majorité absolue.
Toute la journée, des résultats sévères pour la majorité étaient tombés : le ministre de la Ville, Maurice Leroy, battu ; un huitième siège gagné par la gauche à Paris où l'UMP ne détient plus que deux sénateurs ; un gain d'un siège pour la gauche dans le propre département du président Larcher, ainsi que dans le Loiret, dans le Nord, le Pas-de-Calais, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, l'Oise, la Manche, les Pyrénées-Orientales, en Isère... La droite a en outre perdu des départements qu'elle détenait depuis presque toujours comme la Lozère. Dans le Morbihan, contre toute attente, la gauche a remporté les trois sièges.
Selon le ministère de l'Intérieur, sur les 170 sièges qui étaient à pourvoir dimanche – ceux de la "série 1" -, la droite en a obtenu 82 (55 UMP, 12 majorité présidentielle, 5 divers droite), le Modem en compte 3, la gauche atteint 75 sièges (61 PS, 2 radicaux de gauche, 6 divers gauche et 16 communistes) et Europe Ecologie les Verts (EELV) en réunit 10.
Le nouveau Sénat compte ainsi 123 PS, 124 UMP, 20 PCF, 18 divers droite, 13 divers gauche, 12 Nouveau Centre, 10 EELV, 10 PRG, 4 Modem, 4 Parti radical, 7 Alliance centriste, 1 MRC (Jean-Pierre Chevènement), 1 Gauche moderne (Jean-Marie Bockel), 1 Mouvement pour la France (Philippe Darniche).
"Cette progression de la gauche était prévisible au regard des dernières élections locales", a d'emblée commenté le Premier ministre dans un bref communiqué. Le ministre en charge des collectivités, Philippe Richert, a pour sa part déclaré sur France Bleu Alsace : "Il y a indiscutablement un climat général autour de la réforme des collectivités qui a joué aussi. On a eu la suppression de la taxe professionnelle, cela a inquiété un certain nombre d'élus. Et le fait de dire qu'il faut se réorganiser autrement, c'est un sentiment qu'ils ne voulaient pas." Ou bien encore, Gérard Longuet, le ministre de la Défense, lui-même réélu dimanche sénateur UMP de la Meuse (mais qui vient d'indiquer qu'il resterait au gouvernement), parle d'"une défaite qui vient de loin", évoquant "une sociologie des petites communes qui a changé" : "Il n'y a plus de bastions. C'est le Sénat qui a rattrapé la France, pas la France qui a changé."

"Rénover le lien avec les élus locaux"

De part et d'autre en tout cas, ceux qui ont commenté les résultats ont en partie mis en avant la spécificité d'un scrutin dont les électeurs ne sont autres que les élus locaux. "Il y a là bien évidemment le signe d'une opposition forte par rapport à une réforme territoriale et à des modes de financement nouveaux qui fragilisent la gestion des collectivités locales", a ainsi déclaré Gérard Collomb, le sénateur-maire de Lyon, tout comme Martin Malvy, le président du conseil régional de Midi-Pyrénées et ancien ministre, a évoqué une volonté de "dénoncer les différentes réformes qui ont frappé les collectivités locales".
Le patron des sénateurs socialistes, Jean-Pierre Bel, qui brigue la présidence du Sénat, avait annoncé durant la campagne que si la gauche l'emportait, l'une de ses "obligations" serait de "rénover le lien avec les élus locaux", notamment en organisant très rapidement des "états généraux" pour mettre en oeuvre un "acte III" de la décentralisation. Et Jean-Pierre Bel de citer lui aussi, au titre des motifs de mécontentement des élus locaux, le désengagement des services publics et de l'Etat, la réforme territoriale, la suppression de la taxe professionnelle et la perte d'autonomie fiscale qu'elle accompagne, une réforme de l'intercommunalité "faite au forceps".
Pour Philippe Laurent (DVD), vice-président de l'Association des maires de France (AMF), la poussée de la gauche aux sénatoriales "n'est pas liée uniquement aux résultats des dernières municipales" : "Des élus qui votent traditionnellement à droite ont voulu marquer leur mécontentement", a-t-il jugé. "En parcourant les 137 communes de mon département pour faire campagne, j'ai constaté que (…) l'idée de faire des regroupements forcés de communes ou de supprimer arbitrairement des syndicats d'intercommunalités n'est pas acceptée", témoigne encore Jean-Pierre Sueur (PS), réélu dimanche dans le Loiret. Et celui-ci de considérer qu'"il est urgent d'attendre" pour commencer l'examen du dernier volet de la réforme territoriale, qui porte sur le scrutin des conseillers communautaires.
Il est clair en tout cas que sur la réforme territoriale, tous avaient déjà pu constater que le Sénat avait eu une posture plus critique que l'Assemblée nationale. On se souvient notamment du fait que les sénateurs avaient adopté en novembre les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de réforme des collectivités… à une voix près. Le Sénat avait bien, lors de chacune de ses lectures, marqué sa différence face au projet gouvernemental, que ce soit sur le conseiller territorial et son mode d'élection, sur les relations entre communes et intercommunalités ou sur la question des compétences. Or, le texte issu de la CMP avait clairement, au-delà de quelques concessions, donné l'avantage à la version votée par les députés. Ce que beaucoup de sénateurs avaient eu du mal à accepter, y voyant un discrédit à l'égard de la chambre censée représenter les collectivités.

Visages connus

Même si l'Assemblée nationale a le dernier mot sur les textes de loi, cette nouvelle majorité au Sénat va forcément compliquer les choses pour le gouvernement, en particulier pour le débat sur le projet de loi de finances pour 2012 qui doit être présenté ce mercredi 28 septembre en Conseil des ministres. "Un Sénat clairement dans l'opposition, cela veut dire par exemple un débat sur le projet de loi de finances qui serait d'une autre nature", avait reconnu le président sortant du Sénat, Gérard Larcher, avant le scrutin.
Par ailleurs, le président de la République n'aura plus la possibilité de réunir le Parlement en congrès pour faire adopter une modification de la Constitution pour laquelle il faut une majorité des trois-cinquièmes… comme pour la fameuse "règle d'or" de retour à l'équilibre budgétaire. "La règle d'or n'avait déjà aucune chance d'être consacrée par le Congrès. Donc, a fortiori maintenant, elle n'en a plus aucune", reconnaît le centriste Jean Arthuis, qui espère conserver la présidence de la commission des finances.
Le nouveau président du Sénat sera élu par ses pairs samedi 1er octobre en séance publique par un vote à bulletin secret à la tribune. Si la majorité absolue des suffrages exprimés est nécessaire aux premier et deuxième tours, la majorité relative suffit en cas de troisième tour.
Cette élection pour le "plateau" est rendue incertaine par la courte majorité de la gauche. Des outsiders provenant des petits groupes charnières, comme les centristes ou les radicaux, pourraient tenter leur chance au premier tour afin de peser pour l'obtention de postes comme la présidence de commissions permanentes ou au bureau du Sénat. Le président sortant du Sénat a déjà annoncé qu'il se portait à nouveau candidat pour la majorité. Du côté du groupe PS, son président Jean-Pierre Bel semble bien parti pour représenter la gauche.
Quelques nouveaux visages rejoindront ce jour-là les bancs du Palais du Luxembourg. Dont certains visages bien connus de l'univers des collectivités locales. Celui de Marie-Noëlle Lienemann par exemple, nouvelle sénatrice PS de Paris, dont on connaît l'intérêt pour les questions de logement social. Elle y retrouvera d'ailleurs Michel Delebarre, jusque-là député-maire de Dunkerque, entre autres ancien président de l'Union sociale pour l'habitat. Ou bien encore Claude Dilain, maire PS de Clichy-sous-Bois depuis 1995, président de l'association des maires Ville et Banlieue depuis 2007, qui se présentait pour la première fois à une élection nationale. Son objectif : continuer à "porter la voix de ces gens qui vivent dans des quartiers en très grande difficulté". Parmi les nouveaux élus franciliens, on citera aussi l'ex-président du conseil général de l'Essonne (exclu du PS pour être passé en dissidence en décidant de mener sa propre liste), ainsi qu'un président de conseil général en exercice avec Christian Favier, président PCF du Val-de-Marne. Enfin, chez les nouveaux venus, un autre président de département, côté UMP cette fois : Christophe Béchu, président du Maine-et-Loire, qui a décroché dimanche son premier mandat de parlementaire en se faisant élire sénateur à 37 ans. Son homologue du conseil général de Loir-et-Cher a lui été battu... et restera par conséquent au gouvernement puisqu'il s'agit de Maurice Leroy, le ministre de la Ville. Seul changement dans l'équipe gouvernementale : la ministre des Sports, Chantal Jouanno, élue sénatrice UMP à Paris, a annoncé lundi sa démission du gouvernement pour se "consacrer à 100% au Sénat" et sera remplacé par un autre ex-champion sportif, élu député UMP des Yvelines en 2009, à savoir David Douillet.

 

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