Archives

Drogues - La légalisation du cannabis suscite de vifs débats

Le débat sur la dépénalisation du cannabis refait surface à la faveur du livre polémique du maire de Sevran. Mais il quitte le terrain de la santé publique pour épouser celui de l'insécurité et de la lutte contre les trafics.

La proposition du maire écologiste de Sevran (Seine-Saint-Denis) de légaliser la vente du cannabis suscite de vives réactions. Dans un ouvrage qui vient d'être publié ("Pour en finir avec les dealers", co-écrit avec un policier retraité, Serge Supersac, chez Grasset), Stéphane Gatignon défend cette idée pour lutter contre les trafics et la violence. Venu s'en expliquer lors d'un débat organisé par l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif), jeudi 7 avril, il a fait l'unanimité contre lui... ou presque. Pour l'élu, la situation de nombreuses communes dont la sienne est devenue catastrophique. "Je rejoins l'idée de faire la guerre à la drogue, mais en même temps, je pense que cette guerre, on l'a perdue", s'est-il alarmé. "Il existe aujourd'hui 100.000 petits dealers en France. Il y a une forme d'hypocrisie insupportable, c'est ce qui est en train de nous miner", a-t-il ajouté, citant quelques chiffres : 4 millions de consommateurs plus ou moins réguliers, 1,5 million de consommateurs réguliers et entre 550 et 600.000 consommateurs quotidiens.
Nombre d'élus ou professionnels (magistrats, policiers, etc.) partagent le constat du maire de Sevran mais sont loin d'en tirer les mêmes conclusions. "Beaucoup de villes connaissent une augmentation et une radicalisation de la violence sur fond de trafics [...]. Cependant la banalisation de la consommation est une grave erreur : je vois mal, demain, l'Etat devenir le fournisseur d'un poison", a estimé Mohamed Douhane, commandant de police et représentant du syndicat Synergie officiers. Pire, la dépénalisation risquerait d'entraîner un report des trafiquants vers des drogues plus dures : "Demain, si on dépénalise, il y aura une augmentation de la consommation de cannabis, les cours vont s'effondrer, les trafiquants vont axer leur business sur la cocaïne et l'héroïne."

"De nombreux pays font des aller-retour"

"Une criminalité très importante et très grave a en fait pour origine le partage des territoires", a aussi constaté Cécile Petit, premier avocat général à la Cour de cassation. Mais pour elle, Stéphane Gatignon est un "utopiste". "C'est une erreur de croire qu'en libéralisant un interdit on va faire disparaître un problème", a-t-elle fait valoir.
Si le maire de Sevran aime à citer l'exemple du Portugal qui a vu la consommation diminuer suite à sa politique de dépénalisation, pour le président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Mildt), Etienne Apaire, cet exemple n'est pas probant : "De nombreux pays font des aller-retour, comme la Suède qui a dépénalisé dans les années 1970 et qui a repénalisé ensuite." "Il n'y a pas de guerre perdue sur la drogue, il n'y a pas de guerre du tout mais une nécessité de cantonner les drogues à un niveau le plus faible possible", en agissant sur l'offre et la demande, a-t-il argué. Encore le tandem répression-prévention. Critiquant un "Munich de la pensée" (sur la dépénalisation mais aussi sur les "salles de shoot"), il a insisté sur le rôle des politiques de prévention, en particulier en direction des parents. Selon lui, il est par ailleurs faux de dire que la France est le premier consommateur de cannabis en Europe. Si c'était le cas "avant 2002", la France arrive aujourd'hui "derrière la Tchéquie [sic], l'Espagne et l'Italie". En revanche, le point noir vient de la consommation de cocaïne qui "a doublé depuis 2002 et va continuer d'augmenter".

Salles d'injection

Autre "farouche opposant à la banalisation et à la dépénalisation", Yanick Paternotte, vice-président de l'Amif et député-maire de Sannois, a considéré que "la dépénalisation est une mauvaise réponse à une bonne question". "Tant que l'économie parallèle pourra trouver à se recycler, on n'y arrivera pas", a-t-il déclaré, soulignant le rôle des paradis fiscaux.
Le seul soutien apporté au maire de Sevran est venu de Jean-Luc Romero, conseiller régional d'Ile-de-France et président du Crips (Centre régional d'information et de prévention du sida), pour qui "la seule politique responsable est de mettre toutes les drogues au même niveau : l'alcool est la plus dure des drogues alors que le cannabis est l'un des produits les moins dangereux". Et de dresser le parallèle avec les débats qui avaient accompagné la délivrance de seringues et de produits de substitution aux toxicomanes. "Dans les années 1990, les usagers de drogues représentaient 30% des cas de sida, aujourd'hui, c'est moins de 2%." L'élu est aujourd'hui un fervent militant des salles d'injection déjà expérimentées dans huit pays.
"Je ne suis pas pour la dépénalisation", a rétorqué la secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative, Jeannette Bougrab, venue clôturer ce débat. "Il y a un discours parfois irresponsable en disant que fumer un joint n'est pas grave. La concentration de THC n'est plus du tout la même, c'est un discours scandaleux", a-t-elle affirmé.
A l'approche des élections, les lignes de fracture habituelles entre "pro" et "anti" risquent de ressurgir. D'autant que l'ancien ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant, député-maire socialiste du XVIIIe arrondissement de Paris, est sur le point de publier un rapport favorable, lui aussi, à la légalisation.
 

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis