La géolocalisation pour mieux contrôler la pandémie fait débat
Les données de géolocalisation sont utilisées par de plus en plus de pays pour contrôler la pandémie. La Commission européenne s'est dite favorable à l'usage des données des opérateurs mobiles, anonymisées, à des fins de recherche. Certains voudraient aller plus loin pour en faire un outil de surveillance du confinement. Si le gouvernement s'oppose à tout traçage des individus, le numérique fait bien partie des pistes explorées par le nouveau comité scientifique mis en place le 24 mars 2020 par l'Elysée.
Le commissaire européen chargé du marché intérieur (aussi chargé du numérique), Thierry Breton, a demandé lundi 23 mars 2020 aux opérateurs mobiles européens de fournir aux Etats les données de géolocalisation de leurs clients. Des données agréées et anonymisées, dans le respect du RGPD, qui pourraient être utilisées à des fins de recherche sur le covid-19. Quelques jours plus tôt, le PDG d'Orange avait détaillé au Figaro sa collaboration avec l’Inserm "pour voir comment les données peuvent être utiles pour gérer la propagation de l’épidémie" et "permettre aux épidémiologistes de modéliser la propagation de la maladie". Des discussions seraient en cours avec la Cnil, le projet nécessitant des "ajustements réglementaires", pour permettre aux chercheurs de travailler sur deux ans de captation des données, soit un an de plus que ce que permet aujourd'hui la réglementation.
Des données de géolocalisation utilisées en Italie
A court terme, ces données de géolocalisation seraient aussi susceptibles d'aider les pouvoirs publics à mesurer l’efficacité des mesures de confinement comme l'a fait la région Lombardie, en Italie. Région parmi les plus touchées par la pandémie, la Lombardie utilise les données de géolocalisation des téléphones mobiles pour mesurer les concentrations de population. Elles auraient permis de constater le faible respect des mesures de confinement et aidé les administrations locales à cibler les contrôles. Depuis de nombreux Etats européens – Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Pologne - ont annoncé vouloir utiliser la géolocalisation pour suivre l'application du confinement. Dans le cadre de l'examen de la loi sur l'état d’urgence sanitaire, les sénateurs Patrick Chaize et Bruno Retailleau ont tenté d'introduire des dispositions allant dans ce sens.
Un amendement géolocalisation rejeté
Leur amendement proposait de permettre aux gestionnaires d'infrastructures vitales (eau, assainissement, gaz, télécommunications) d'accéder aux données de santé et de géolocalisation pour une durée de 6 mois. L'amendement n'a finalement pas été examiné. Qualifié de "scélérat" par l'association de défense des libertés numériques, la Quadrature du Net, celle-ci a invité le gouvernement à "résister à toute fuite-en-avant sécuritaire" et "à faire immédiatement la transparence sur toutes les mesures de surveillance de la population mises en œuvre pour lutter contre la propagation du COVID-19". Une demande de transparence d'autant plus nécessaire que l'Etat pourrait y recourir, selon la Quadrature du Net, sans le consentement des intéressés. L'association estime en effet que l'Etat, via l’article L851-1 du code de la sécurité intérieure (loi sur le renseignement de 2015), aurait d'ores et déjà la possibilité de collecter les données de géolocalisation sans le contrôle ou l’autorisation préalable d’un juge.
L'option numérique examinée par le comité d'experts
L'idée d'utiliser massivement les données des smartphones pour suivre à la trace les personnes porteuses du covid-19 a cependant été réfutée par le gouvernement. Lors de la séance de questions orales du 24 mars, le ministre de la santé Olivier Véran, ne s'y est pas déclaré favorable. Le ministre s'est refusé à suivre la voie empruntée par la Corée du Sud qui utilise le tracking de masse (géolocalisation des smartphones, vidéosurveillance, cartes bancaires…) pour suivre les personnes infectées, surveiller le respect du confinement et alerter les personnes à proximité des malades.
Si la surveillance des individus semble, pour le moment, exclue le numérique figure bel et bien dans la panoplie des solutions examinées par le nouveau comité analyse recherche et expertise (Care). La présidence de la République a en effet précisé que ce comité "accompagnera la réflexion des autorités sur (...) l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées". Reste à savoir quelles données seront utilisées, pour quelles finalités (recherche avec des données anonymisées ou tracking individuel ?) qui pourra y accéder et comment s'opérera le consentement des personnes.