Sécurité - La France en état d'urgence et d'effroi
Cinq jours après la tuerie de Nice, qui a fait au moins 84 morts, le Parlement s'apprête à voter une prolongation de l'état d'urgence, jusqu'au 26 octobre. La France passerait ainsi à plus de onze mois sous ce régime d'exception, en vertu du projet de loi qui sera soumis ce mardi au conseil des ministres puis à la commission des lois de l'Assemblée, avant un examen nocturne dans l'hémicycle. Le Premier ministre viendra lui-même défendre cette prolongation devant les députés. Le Sénat s'en saisira mercredi.
Décrété par le chef de l'Etat après les attentats du 13 novembre, l'état d'urgence a déjà été prolongé par le Parlement en novembre, février et mai. La dernière prolongation - notamment destinée à assurer la sécurité de l'Euro 2016 et du Tour de France - avait été de deux mois.
C'est tard dans la nuit de jeudi à vendredi, soit le jour même où il avait confirmé à la télévision que l'état d'urgence prendrait fin le 26 juillet - considérant que cela n'aurait "aucun sens" de le maintenir "éternellement" -, que François Hollande a annoncé cette nouvelle prolongation.
Une loi sur la procédure pénale promulguée en juin devait en principe prendre le relais de l'état d'urgence, en étendant notamment les possibilités de contrôle et d'assignation à résidence, ainsi que d'usage des armes par les forces de l'ordre. Mais, "après Nice, il était difficile d'expliquer à l'opinion publique qu'on n'allait pas le rétablir", a déclaré lundi le député Bruno Le Roux.
La possibilité de mener des perquisitions administratives, suspendue en mai, sera réintégrée, selon une source gouvernementale. Lors de la dernière prolongation, l'exécutif avait en effet retiré les dispositions de l'article 11 sur ces perquisitions administratives décidées par les préfets. Celles-ci se distinguent des perquisitions judiciaires, qui requièrent l'autorisation d'un juge et doivent débuter entre 6 heures et 21 heures. L'argumentaire établi à l'époque affirmait que ces perquisitions "ne présentent plus le même intérêt aujourd'hui, la plupart des lieux identifiés ayant déjà donné lieu aux investigations nécessaires".
En vertu de l'état d'urgence, les ministres et préfets peuvent en outre décider la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion, "interdire la circulation des personnes ou des véhicules" dans certains lieux ou à certaines heures, ou instituer "des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé".
Son efficacité continue d'être mise en question. "L'état d'urgence ne règle rien. Ça rassure, c'est tout", a par exemple résumé Georges Fenech, le président LR de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015, ajoutant que la force Sentinelle, qui mobilise entre 7.000 et 10.000 soldats depuis un an et demi, "ne règle rien non plus". Dans son rapport publié il y a quelques jours, cette commission préconise notamment la refonte des services de renseignement et des unités d'intervention, ainsi que le durcissement de l'arsenal juridique pour les personnes condamnées pour terrorisme.
François Hollande a invoqué lundi, lors du troisième Conseil de sécurité et de défense organisé depuis le carnage, une "obligation de dignité et de vérité" pour "ceux qui ont une parole publique", a rapporté le ministre de l'Intérieur. "Ce refus de la polémique est ce que nous devons aux victimes", à leurs familles et à la France, "qui doit être unie et rassemblée", a poursuivi Bernard Cazeneuve, en réponse aux attaques soutenues de l'opposition dont l'exécutif est l'objet depuis samedi. L'ancien maire de Nice lui-même, actuellement président de la région Paca, Christian Estrosi, n'a pas hésité par exemple à parler de "mensonge d'Etat" quant au nombre de policiers nationaux présents sur la promenade des Anglais.
"L'ensemble des moyens que nous mobilisons face à des terroristes qui veulent frapper l'Europe et la France ne garantissent pas le risque zéro", a également déclaré le ministre de l'Intérieur.
Parmi ces moyens, la réserve opérationnelle, un vivier de volontaires et anciens militaires auquel François Hollande a décidé de faire appel "pour venir soulager les effectifs de policiers et de gendarmes". Cette réserve comprend 180.000 hommes et femmes au total, toutes catégories confondues, parmi lesquels l'Etat peut puiser en cas de nécessité.
Ce lundi, à Nice mais aussi partout en France, une minute de silence en hommage aux victimes est venue marquer à midi le troisième et dernier jour de deuil national. Nombre de mairies avaient invité leurs administrés à se rassembler devant leur hôtel de ville dont les drapeaux - comme ceux de l'ensemble des édifices publics - avaient été mis en berne.
Depuis vendredi, les déclarations d'élus locaux et de leurs associations - Assemblée des départements de France, France urbaine, Villes de France... - n'ont eu de cesse de se succéder pour exprimer leur solidarité, leur compassion et leur effroi.