La France accélère sa décarbonation, mais manque son objectif climatique à cause des forêts et des sols
Selon un bilan actualisé des émissions de gaz à effet de serre en 2023 publié ce 23 mai, la France respecte le rythme prévu pour décarboner son économie, mais les forêts et les sols de son territoire n'absorbent pas autant de CO2 qu'escompté, empêchant de peu le pays de tenir ses objectifs climatiques et de rattraper le retard accumulé dans la précédente décennie.
Les gaz à effet de serre émis en France ont baissé dans quasiment tous les secteurs de l'économie (énergie, industrie, agriculture, transports, bâtiment), reculant au total de 5,8% en 2023 par rapport à 2022, a annoncé ce 23 mai le Citepa, l'organisme chargé de l'inventaire des gaz à effet de serre français, dans une révision de ses estimations publiées en mars dernier (lire notre article).
Ce chiffre, dont s'enorgueillit le gouvernement après un recul de 2,7% entre 2021 et 2022, avait été dévoilé ce mercredi par le Premier ministre, Gabriel Attal, lors d'un meeting électoral en Mayenne. En 2023, la France a ainsi rejeté dans l'atmosphère l'équivalent de 373 millions de tonnes de dioxyde de carbone (Mt CO2e), "soit en dessous du niveau minimum record de 2020" lors du ralentissement majeur de l'économie pendant la pandémie de Covid.
Budget carbone pas respecté
Mais ce nouveau record ne suffit pas, met en garde le Citepa. En retranchant des émissions françaises la quantité de CO2 qui est absorbée naturellement par les forêts et les sols - les fameux "puits de carbone", les arbres, par la photosynthèse, captant le carbone de l'air pour le stocker dans leurs racines et leurs branches -, "le budget carbone 2019-2023 n'est pas respecté", constate l'organisme. Au total, sur ces cinq années, les émissions nettes de la France atteignent en moyenne 380 Mt "contre un objectif de 379 Mt, soit un dépassement de 1,4 Mt" (0,4%), indique-t-il.
La feuille de route climatique de la France, fixée par sa deuxième Stratégie nationale bas carbone (SNBC) 2019-2023, prévoyait d'atteindre entre 40 et 45 Mt de CO2 absorbé par les forêts et les sols à horizon 2030. Mais ce puits de carbone "s'est considérablement réduit" et n'a absorbé qu''"environ 20 Mt CO2 dans les années récentes, notamment en raison de l'effet couplé de sécheresses à répétition depuis 2015, de maladies affectant le taux de mortalité des arbres, et d'une hausse des récoltes de bois", explique le Citepa. Et l'avenir est incertain : selon une étude récente de l'IGN (lire notre article), "la séquestration du carbone en forêt continue de s'éroder" dans la grande majorité des projections d'ici 2050, même si le gouvernement parvient à tenir son objectif de planter un milliard d'arbres d'ici 2032.
"Si nous ne pouvons pas agir sur la mortalité des arbres, sur leur croissance qui est moins forte à cause des sécheresses, la dégradation du puits de carbone est aussi un choix politique puisque le gouvernement s'entête à vouloir augmenter la récolte de bois alors que tous les signaux sont au rouge", a réagi auprès de l'AFP Sylvain Angerand de l'association Canopée.
Effort plus conséquent attendu sur les différents secteurs, hors puits de carbone
"Cette diminution du puits implique un effort encore plus conséquent sur les autres secteurs afin de parvenir à la neutralité carbone", souligne le Citepa, alors que la troisième version de la SNBC, annoncée comme "imminente" depuis des mois par le gouvernement, se fait toujours attendre. L'organisme constate toutefois une "situation inédite où tous les grands secteurs émetteurs participent à une baisse des émissions, dans un contexte particulier (inflation, reprise de production nucléaire...) mais sans crise économique majeure".
Ces réductions sont une "bonne nouvelle", mais "en grande partie liée à des facteurs conjoncturels comme la baisse de l'activité économique, les prix élevés de l'énergie ou le redémarrage de réacteurs nucléaires" à l'arrêt en 2022, relativise auprès de l'AFP Anne Bringault, du Réseau Action Climat. Le gouvernement "devrait s'atteler à mettre en oeuvre les mesures supplémentaires nécessaires pour que la trajectoire se poursuive, en particulier dans les transports, premier secteur émetteur où la baisse des émissions n'est que de 3%, et dans le transport aérien international qui a connu une hausse des émissions de 16%", a-t-elle ajouté.
La France, qui doit s'aligner sur l'objectif européen de baisse de 55% des émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, avait déjà échoué à respecter son premier budget carbone (2015-2018) et avait revu ses ambitions à la baisse en 2019.
Le Citepa publiera l’édition 2024 de son rapport sur les émissions de gaz à effet de serre le 19 juin prochain. Ce document présentera l’ensemble des résultats en détail.