La discussion du projet de loi Blanquer débute en séance publique du Sénat sous une pluie d'amendements
Le projet de loi "pour une école de la confiance" arrive mardi 14 mai 2019 au Sénat. La Haute Assemblée votera le 21 mai sur l'ensemble du texte, déjà adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Les sénateurs ont adopté 141 amendements en commission mais près de 500 ont été déposés en séance. Difficile de percevoir aujourd'hui ce qu'il en sortira.
À la veille de l'examen en séance du projet de loi Blanquer "pour une école de la confiance" par le Sénat, 482 amendements ont été déposés au texte adopté le 30 avril par la commission sénatoriale de la culture, de l'éducation et de la communication. Le gouvernement ayant engagé une procédure accélérée, le texte pourrait ne faire l’objet que d’une seule lecture au Parlement.
Ecole à trois ans – C'est une mesure phare du projet de loi : l'âge de l'instruction obligatoire serait abaissé de six à trois ans dès la rentrée prochaine, traduisant un engagement du président de la République en mars 2018 (voir notre article ci-dessous). D'accord avec cette mesure, les sénateurs avaient toutefois permis en commission un aménagement de l'obligation d'assiduité en petite section, pour permettre par exemple aux petits qui ne déjeunent pas à la cantine de faire la sieste à la maison.
Forfait externat et compensation - Concernant les dépenses supplémentaires générées pour les communes, qui devront financer les maternelles privées sous contrat, les sénateurs de la commission avaient étendu la compensation par l'État de ces dépenses aux collectivités qui aidaient déjà ces écoles. Un amendement identique gouvernement et LREM propose de rétablir la version antérieure qui prévoyait de la limiter "à l'augmentation des dépenses obligatoires" et de revenir à la version transmise par l’Assemblée nationale qui prévoyait que "les communes qui participaient déjà à la prise en charge partielle des dépenses de fonctionnement des classes maternelles privées ne devaient pas toucher de compensation". Cet amendement supprimerait aussi la révision annuelle du montant versé.
24 élèves max - Plusieurs amendements LREM appellent à transcrire dans la loi l'engagement du président de la République sur la limitation du nombre des élèves, lors de la conférence de presse du 25 avril 2019. Ils proposent ainsi que "le nombre d’élèves par classe de l’école maternelle ne [puisse] dépasser 24 élèves", "à l'horizon de la rentrée scolaire de septembre 2021".
Jardins d'enfants - La commission du Sénat avait pérennisé l'existence des jardins d'enfants comme une structure parallèle à l'école maternelle. Le gouvernement souhaite que cette "dérogation" ne dure que trois ans "afin de permettre aux structures existantes de se reconvertir et aux familles de s’adapter aux nouvelles conditions de prise en charge de leurs enfants qui découlent de l’obligation d’instruction dès l’âge de trois ans" (un amendement LREM propose une dérogation de deux ans).
Regroupement collège-école(s) - La commission avait voulu "envoyer un signal fort" en supprimant cette mesure introduite par voie d'amendement à l'Assemblée, et qui suscite l'inquiétude d'enseignants, d'élus locaux et de parents. Pour rappel, il s'agissait d'instaurer la possibilité d'un regroupement des classes d'un collège et d'une ou plusieurs écoles au sein d'un nouveau type d'établissement public "des savoirs fondamentaux" (EPSF). Pointant une disposition "mal rédigée, mal expliquée", le rapporteur Max Brisson n'exclut pas qu'un accord puisse se dégager en séance sur une nouvelle rédaction "qui rassure". Le sénateur LR Jacques Grosperrin a déposé un amendement dans ce sens, qui propose de rétablir ces établissements en précisant que "l’accord préalable du conseil municipal de chaque commune siège d’une école est requis". Les sénateurs LREM souhaitent également leur rétablissement en le soumettant à "l’accord du conseil d’administration (du collège) et des conseils des écoles impliquées".
Statut du directeur d'école - Un amendement LREM propose de supprimer l'article 6 ter créé par la commission qui tend à placer les directeurs d'école "en position d’autorité par rapport aux enseignants" et à "les faire participer aux évaluations de ceux-ci". Motif : "Cela irait à l’encontre de l’essence même du texte qui est de créer une relation de confiance et non de défiance. La question du statut des directeurs d’école doit se traiter à part entière."
Mixité sociale - Plusieurs amendements LREM portent sur l'exigence de mixité sociale, en vue de "réaffirmer l’objectif de mixité sociale dans les établissements, qu’ils soient publics ou privés" ou encore pour que le Conseil d'évaluation de l'école constitue "un indice de mixité sociale pour chaque établissement" qui serait adressé "aux conseils départementaux de l'Éducation nationale concernés qui en débattent chaque année". Dans le cadre de la formation continue des enseignants, il faudrait, selon LREM, prendre en compte "les spécificités des territoires d’exercice des professionnels, dont le contexte social de l’établissement".
Affectation - La commission avait introduit le "contrat de mission", afin de permettre aux enseignants chevronnés qui le désirent d'exercer dans les territoires les plus difficiles, pour une durée déterminée. Elle avait également introduit le principe de l'avis systématique du chef d'établissement sur les décisions d'affectation dans son établissement.
EPLEI - L'article 6 porte sur les établissements publics locaux d’enseignement international. Le gouvernement estime que "la diversité de l’offre de formation des établissements souhaitant accéder au statut d’EPLEI est de nature à favoriser la mixité sociale en leur sein" mais qu'il est "important de bien marquer (leur) spécificité" et il propose que "les formations autres que celles préparant au baccalauréat européen, à l’option internationale du brevet et du bac et aux diplômes binationaux ne (puissent) être suivies par plus d’un quart de l’ensemble des effectifs de l’établissement. Les tests d’admission (...) sont limités aux seuls élèves souhaitant accéder aux formations linguistiques spécifiques".
Absentéisme - Le sénateur LR Bruno Retailleau a déposé un amendement visant à supprimer les allocations familiales aux parents d'enfant absentéiste.
Voile en sortie scolaire - Le sénateur LR Bruno Retailleau a déposé un amendement visant à écarter les accompagnatrices voilées des sorties scolaires.
Drapeaux - Les sénateurs avaient maintenu la présence des drapeaux français et européen dans les salles de classe. Le groupe communiste demande la suppression de cet article au motif que "outre les questions de coûts inhérents à ces installations, l'apposition des symboles républicains sans aucune analyse et sensibilisation préalable ne peut que sonner comme une injonction. Si les initiateurs de cet article souhaitent renforcer le sentiment d'appartenance à la République, l'enjeu n'est pas de décorer des salles de classes mais bien de faire remplir aux institutions républicaines leur rôle émancipateur".
Carte de France - Les sénateurs LREM souhaitent rétablir l'obligation d'afficher une carte de France avec les territoires d'outre-mer dans les salles de classe. Obligation que la commission sénatoriale avait écartée.
Privé hors-contrat - Le gouvernement souhaite créer un article additionnel relatif à "la fermeture d’établissements dont le fonctionnement porterait atteinte à la protection de l’enfance et de la jeunesse ou méconnaîtrait les règles relatives à la prévention sanitaire et sociale", qu'il peut "être difficile d’obtenir". Il faudrait que "le préfet ou l’autorité académique" puissent "mettre en demeure le directeur de l’établissement de mettre fin aux atteintes à l’ordre public qui auraient été portées à la connaissance de l’administration" et mettre éventuellement en demeure les parents "de scolariser leur enfant dans un autre établissement". Amendement surnommé "Amendement Grenoble". À noter un amendement de la sénatrice Françoise Gatel qui prévoit de mentionner dans le code de l’éducation deux articles du code de la construction et de l’habitation de façon "que tout porteur d’un projet d’établissement scolaire (hors-contrat, ndlr) ait demandé une autorisation de recevoir du public (ERP) avant de déposer sa déclaration d’ouverture d’un établissement scolaire".
Exemplarité - Le texte fixe un devoir d'exemplarité des enseignants et en retour le respect des élèves et des familles. Cette mesure contestée par les syndicats a été maintenue en commission, son rapporteur Max Bisson estimant que "l'exemplarité nourrit le respect dû par les élèves et les familles aux professeurs et à l'institution". Les groupes socialiste et communiste ont déposé des amendements de suppression.
Handicap - La version de la commission prévoyait que le passage, pour les élèves en situation de handicap, de l’aide mutualisée à l'aide individuelle "est possible à chaque instant de la scolarité". Le gouvernement propose de supprimer ces alinéas. "Si les besoins d’un élève évoluent et qu’il requiert une 'aide soutenue et continue', la CDAPH (commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) peut proposer une modification du type d'aide notifié. Cependant, l'évaluation de la situation et la mise en œuvre de la décision nécessitent un temps d'adaptation supérieur à 15 jours."
AESH - La commission avait également permis le recrutement conjoint d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) par l'État et les collectivités, afin de favoriser les contrats à temps plein et la continuité de l'accompagnement en dehors du temps scolaire. Le gouvernement propose qu'un décret définisse "les modalités selon lesquelles l’État peut organiser les mutualisations de la gestion et de la liquidation des rémunérations des personnels recrutés et payés par les établissements publics locaux d’enseignement". Il s'agit des AESH et des contrats aidés pour lesquels "la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN) dans la fonction publique, au plus tard le 1er janvier 2021, va induire une charge déclarative mensuelle lourde pour les employeurs publics".
Visite médicale - Sur l'article 2 ter (relatif aux visites médicales obligatoires), le gouvernement propose de préciser dans la loi qu'"une visite est organisée à l’école pour tous les enfants âgés de 3 ans à 4 ans. Cette visite permet notamment un dépistage des troubles de santé, qu’ils soient sensoriels, psycho-affectifs, staturo-pondéraux ou neuro-développementaux, en particulier du langage oral. Elle est effectuée par les professionnels de santé du service départemental de protection maternelle et infantile (...) et permet l’établissement du bilan de santé mentionné au même article. Lorsque le service départemental de PMI n’est pas en mesure de la réaliser, la visite est effectuée par les professionnels de santé de l’éducation nationale". Pour la visite de la sixième année, elle serait obligatoire "pour certains enfants" (un décret préciserait lesquels). Un amendement LREM propose de préciser que "les professionnels de santé organisés en communauté professionnelle territoriale de santé peuvent être appelés à intervenir".
Réforme territoriale - Depuis le dépôt du texte au Parlement, le gouvernement est revenu sur sa volonté de fusionner les académies d’une même région et a annoncé au contraire vouloir "conforter les recteurs de régions". Il souhaite rétablir l’article 17, supprimé par la commission sénatoriale, pour définir par voie d'ordonnances le "nouveau cadre d’exercice de leurs compétences par les recteurs de région académique et les recteurs d’académie". Ces mesures entreraient en vigueur au 1er janvier 2020.
Mayotte et Guyane - Plusieurs amendements LREM portent sur la situation à Mayotte et en Guyane. Ils suggèrent par exemple que, à titre expérimental et pour une durée de sept ans, l’État et les communes pourraient, "pour la réalisation d’écoles élémentaires et maternelles d’enseignement public, déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction".
Un autre amendement propose que le gouvernement remette au Parlement un rapport présentant un bilan sur l'application de l’instruction obligatoire à 3 ans, au plus tard en octobre 2021, et un autre sur le fléchage des financements perçus par Mayotte dans le cadre du "Plan Mayotte" au titre de l’éducation des enfants non scolarisés", dans un délais de 6 mois après la promulgation de la loi.