La Cour des comptes appelle à réformer les missions de la Grande École du numérique
Dans un référé, la Cour des comptes constate des "lacunes et des irrégularités" dans la mise en œuvre des missions de la Grande École du numérique, le groupement d’intérêt public chargé de labelliser et de financer des formations au numérique pour les publics éloignés de l’emploi.
Cinq ans après la constitution de la Grande École du numérique, la Cour des comptes fait le bilan. Dans un référé du 22 décembre 2020, publié lundi 8 mars, elle se montre réservée sur "le positionnement et sur la gestion" de ce groupement d’intérêt public* créé dans l’objectif d’accélérer les créations de formations aux métiers du numérique pour les personnes éloignées du monde du travail.
Certes, les résultats de la Grande École du numérique semblent concorder avec leur mission première. Les 28.000 stagiaires qui ont été formés sont "en majorité âgés de moins de 30 ans et peu ou pas diplômés : 24% sont des femmes et 17% des bénéficiaires sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville". Par ailleurs, "85% des apprenants en 2018 et 74% en 2019 auraient bénéficié d’une embauche à l’issue de leur formation, dont 20 à 30% en contrats à durée indéterminée". Ce dispositif a pour mérite d’apporter une réponse à une offre manquante dans le système de formation initiale et professionnelle, reconnaît le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.
Cependant, la juridiction relève que "ces données déclaratives ne reflètent que partiellement la situation des personnes formées car, pour 27% d’entre elles en 2018 et 33% en 2019, leur situation, trois mois après la formation, n’est pas connue. D’autre part, les abandons en cours de formation ne font pas l’objet d’un suivi alors que le taux d’abandon s’élevait à 20% en 2018 et 11% en 2019". Une enquête plus approfondie doit être menée par le Céreq (centre d’études et de recherche sur les qualifications) et la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail.
Un financement à réformer
Les sages de la rue Cambon ciblent surtout leurs critiques sur le mode de financement des formations au numérique. Depuis sa création, la Grande École du numérique a labellisé près de 750 formations au numérique (Webforce3, Wildcode School, Colombbus, Openclassrooms, Afpa…) dont "600 ont été financées pour un montant total d’environ 48 M€ en autorisations d’engagement", selon la Cour des comptes. Des financements issus des crédits du deuxième programme d’investissements d’avenir (PIA 2) lancé en 2014, puis du plan d’investissement dans les compétences (PIC) lancé en 2017.
"Les modalités de financement des organismes de formations retenues par l’administration (…) s’avèrent peu protectrices des deniers publics", juge la Cour des comptes, critiquant le recours aux subventions plutôt qu’aux marchés publics. Les conventions de subventions "stipulent, en effet, un financement par subvention à hauteur de 50 % du coût déclaré des formations et elles retiennent le versement, dès la signature des conventions, de 80 % du montant de la subvention accordée, sans aucune condition et avant tout début d’exécution de la prestation". Pour la Cour des comptes, il conviendrait d’établir "un bilan définitif des pertes subies" : il est donc possible que des organismes aient été financés sans avoir réalisé les prestations attendues.
Appelant à une réforme de cette structure, la Cour des comptes entrevoit deux scénarios. Un premier viserait à "circonscrire la mission de la Grande École du numérique à la labellisation et au financement de projets innovants de formation pour lesquels les organismes de formation ne sont pas en mesure de bénéficier de fonds publics de la part des acheteurs institutionnels". La seconde voie, privilégiée par la Cour des comptes, consisterait à limiter son activité "à la seule mission de labellisation, sans octroi de financements aux organismes de formation, considérant que la phase d’amorçage est désormais achevée".
*composé de l’État, Pôle emploi, l’association Régions de France, et de divers acteurs de l’emploi et de la formation professionnelle et des entreprises privées