La Commission propose un "renforcement ciblé" du CFP 21-27, notamment pour créer un simili fonds souverain
Les crises ayant en grande partie épuisé les flexibilités budgétaires, la Commission européenne demande un "renforcement ciblé" et un réaménagement du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, afin de pouvoir notamment faire face aux migrations, au remboursement de NextGenEU ou encore aider l’Ukraine. Elle propose en outre la création d’un simili fonds souverain, notamment en réorientant les fonds de la politique de cohésion, en deçà des ambitions du "fonds de souveraineté européen" annoncé il y a quelques mois.
"À peine sortie de l'une des plus graves crises économiques mondiales depuis plus d'un siècle, l'UE doit faire face aux conséquences humanitaires, économiques et budgétaires considérables de l'invasion brutale de l'Ukraine par la Russie." S’y ajoutent la reprise des migrations, qui "mettent à rude épreuve les capacités d’accueil et d’intégration des États membres", la forte hausse de l’inflation et des taux d’intérêt, qui affecte le remboursement du plan de relance, ou encore "une série de perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales". Si elle a jusqu’ici pu tirer parti des souplesses des textes et procéder "à une importante reprogrammation" (notamment au moyen de REPowerEU, et en mobilisant les fonds de la politique de cohésion), la Commission estime que l’Union a désormais "en grande partie épuisé ses flexibilités budgétaires". Elle propose en conséquence un certain nombre de "renforcements ciblés", afin de pouvoir "continuer à atteindre les objectifs les plus essentiels", qui nécessite que les États membres remettent la main à la poche.
Un simili fonds souverain
Parmi ces "objectifs essentiels", figure la souveraineté technologique, avec la création d’un simili fonds souverain – souhaité par les uns, mais contesté par d’autres (voir notre article du 13 février 2023) – pour soutenir le développement et la fabrication dans l’UE de "technologiques critiques" dans les domaines de la "deep tech" (informatique quantique, intelligence artificielle…), des "technologies propres" (énergies et carburants renouvelables, électrolyseurs, nanomatériaux, technologies pour l’extraction et la transformation de matières premières critiques…) et des biotechnologies (biomolécules, produits pharmaceutiques, technologies médicales…).
Baptisée "Step", cette "plateforme Technologies stratégiques pour l’Europe" est censée concrétiser l'idée d'un "fonds de souveraineté européen" défendue par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans son dernier discours sur l'état de l'Union, pour répondre aux subventions massives des concurrents, en particulier des États-Unis avec l'IRA et la Chine dans l'industrie verte (voir notre article du 13 janvier 2023). Mais il s'agira en réalité de s'appuyer avant tout sur des programmes existants – InvestEU, le Fonds pour l’innovation, Horizon Europe, le fonds européen pour la défense, la facilité pour la reprise et la résilience, L’UE pour la santé, Europe numérique et le fonds de cohésion –, une nouvelle structure devant "orienter les fonds existants vers des projets Step et accélérer leur mise en œuvre". "Alors que la création d’un nouvel instrument peut prendre de 12 à 18 mois au minimum", ce regroupement d’instruments existants permettra d’aller plus vite, fait valoir la Commission.
Les autorités nationales compétentes sont invitées en conséquence à reprogrammer leurs fonds – au passage, la Commission relève que "certains programmes, en particulier dans le cadre de la politique de cohésion, ont vu leur lancement par les autorités de gestion quelque peu retardé, et une accélération s’impose désormais". Pour encourager les États membres à redéfinir les priorités de leurs programmes de cohésion, un préfinancement exceptionnel à hauteur de 30% et un financement possible à hauteur de 100% sont prévus pour les projets Step. Un taux qui pourra notamment être atteint dans la mesure où la Commission propose qu’un projet contribuant aux objectifs Step éligible au titre d’un programme, mais avec un financement incomplet, puisse bénéficier d’un financement au titre d’autres instruments (à condition d’être "évalué" et de "respecter les exigences minimales de qualité d'un appel à propositions au titre d'Horizon Europe, du programme pour une Europe numérique, du Fonds européen de la défense, de L'UE pour la santé ou du Fonds pour l'innovation"). Ces projets se verraient attribués un "label de souveraineté" pour faciliter l’exercice. Le tout devrait permettre "à toutes les régions de bénéficier d’un soutien accru à partir de 2024", assure la Commission. Les entreprises de toute taille sont visées, de la PME, start-up comprise, aux plus grandes. En fonction des instruments, elles pourront bénéficier de soutiens en fonds propres, de prêts, de subventions… Un guichet unique et un portail web "Souveraineté" seraient créés pour aider les porteurs de projets à accéder aux aides tant européennes que nationales.
La Commission propose en outre d’allouer 10 milliards d’euros supplémentaires pour stimuler les investissements dans ces domaines Step, qui généreraient selon elle rien de moins que 110 milliards d’euros d’investissements par les entreprises européennes "en faveur de la souveraineté de l’Union", voire même 160 milliards d’euros. Cette enveloppe se décomposerait ainsi : 5 milliards pour le fonds pour l’innovation (qui généreraient 20 milliards d'euros d’investissements), 3 milliards pour InvestEU (qui généreraient 75 milliards d'euros), 1,5 pour le fonds européen de la défense (qui "pourrait générer" jusqu’à 2 milliards d'euros) et 500 millions pour Horizon Europe (complétés par 2,13 milliards de redéploiements, le tout devant générer 13 milliards d’investissement).
Migrations, Ukraine… et remboursement du plan de relance
La Commission fixe trois autres priorités :
- la création d’un nouveau mécanisme, baptisé Euri, pour faire face à la hausse des coûts de financement du plan NextGenerationEU, mis à mal par la hausse des taux d’intérêts (voir notre article du 12 mai 2023). Il couvrirait exclusivement les coûts excédants les projections initiales, fixées avant la remontée des taux d’intérêts ;
- un renforcement du budget de 15 milliards d’euros pour faire face aux migrations et pour consolider les partenariats avec des "pays tiers clés". 2 milliards pour l’effectivité des contrôles aux frontières, 2,5 milliards pour la "réserve de solidarité et d’aide d’urgence" (pour aider les pays tiers à faire face à la crise des réfugiés ou les États membres et pays candidats à l’adhésion à faire face à des catastrophes naturelles ou des crises de santé publique) et 10,5 milliards pour relever le plafond de la rubrique "Le voisinage et le monde" ;
- un nouveau dispositif – une "facilité" – pour l’Ukraine, reposant sur des prêts d’une part, des subventions et garanties d’autre part, pour un total de 50 milliards d’euros maximum sur la période 2024-2027. Les premiers seraient financés par des emprunts sur les marchés financiers et les secondes par le budget de l’UE, en mobilisant la "réserve" au-delà des plafonds de dépenses du cadre financier pluriannuel (qui correspond à la différence entre le montant maximal de ressources que la Commission peut demander aux États membres pour une année donnée et les fonds dont elle a réellement besoin pour couvrir les dépenses inscrites au budget).
Une rallonge pour l’administration de la Commission
Elle demande un relèvement de 1,9 milliard d’euros du plafond des dépenses de l’administration européenne, relevant le "surcroît important de tâches" des deux dernières années, auquel il a été fait face "sans augmentation des effectifs", notamment grâce à "un redéploiement de plus de 900 postes depuis 2019". Ainsi qu’une augmentation de 3 milliards de la dotation de l’instrument de flexibilité pour la période 2024-2027 (qui permet de faire face à des besoins imprévus).
La Commission compte sur la présidence espagnole, qui débutera le 1er juillet, pour parvenir à un accord juste après l’été, et espère une approbation du Parlement avant la fin de l’année, "étant donné que des contraintes budgétaires urgentes se manifesteront dès 2024".