La Commission européenne s’alarme de la montée des inégalités régionales en France
Dans le cadre du Semestre européen, la Commission européenne attire l’attention sur la perte de terrain d’une majorité de régions françaises et sur la fracture entre zones urbaines et rurales en France. Une fois encore, déficit et dette publics, faible compétitivité, sous-performance du système scolaire et retard dans le déploiement des énergies renouvelables sont par ailleurs déplorés. La Commission met en outre cette année en exergue les défis auxquels est confrontée la fonction publique française : vieillissement, attractivité, parité et performance.
"La France est caractérisée par des disparités régionales croissantes qui vont au-delà du clivage persistant entre régions métropolitaines et ultrapériphériques." C’est l’un des constats forts que dresse la Commission européenne dans le cadre du "paquet de printemps" du Semestre européen, ce bulletin scolaire des États membres, qu’elle a rendu public ce 24 mai.
23 régions sur 27 ont perdu du terrain entre 2010 et 2020
"Alors que l’Île-de-France avait un PIB/habitant de 176% de la moyenne de l’UE, 23 régions sur 27 ont perdu du terrain par rapport à la moyenne de l’UE, avec une croissance faible ou négative en 2010-2020", souligne-t-elle, observant que deux régions seulement – dans la configuration d’avant 2015 (l’Île-de-France et Rhône-Alpes) – ont un PIB/habitant supérieur à la moyenne de l’UE en 2021. "La plupart des régions françaises risquent d’être prises au piège du développement" avertit-elle à nouveau (voir notre article du 27 mars), en mentionnant en particulier la Basse-Normandie, la Picardie, la Lorraine, le Limousin, le Languedoc-Roussillon et l’Auvergne. Et de souligner que "la fracture entre zones urbaines et zones rurales en termes de dynamisme économique et de perspectives de croissance est devenue une préoccupation publique". La Commission estime en conséquence que "remédier aux déséquilibres régionaux est essentiel pour assurer le succès des stratégies sectorielles et améliorer les perspectives de croissance à long terme de la France". Et elle préconise au Conseil de demander à la France de "procéder à la mise en œuvre rapide des programmes de la politique de cohésion, en étroite complémentarité et synergie avec le plan de relance et de résilience".
Inquiétants déficits et dettes publics
Les autres observations de la Commission ne surprendront guère, tant elles sont proches de celles de l’an passé (voir notre article du 23 mai 2022). Les hauts niveaux de dette publique et privée restent selon la Commission des "faiblesses structurelles", "sources de vulnérabilité". L’accent est singulièrement mis sur le "haut niveau de déficit et de dette publics", qui "continue de poser des problèmes de soutenabilité élevés à moyen terme". Et si la Commission juge que la réforme des retraites – qui "diffère fortement de celle envisagée" lors du précédent quinquennat – devrait "avoir un effet positif sur la durabilité du système", elle estime que ce dernier demeure "complexe" et que "la multiplicité des régimes reste un obstacle à la mobilité du travail".
Pour réduire le déficit public, la Commission propose en conséquence que le Conseil demande à la France d’éliminer progressivement d’ici la fin de l’année les mesures en vigueur de soutien relatives à l’énergie – en précisant que, face à d’éventuelles nouvelles hausses des prix de l’énergie, la France devrait veiller à cibler uniquement les ménages et entreprises vulnérables, à ce que les dispositifs soient "financièrement abordables" et à préserver les incitations aux économies d’énergie. Elle recommande également plus globalement la conduite d’une politique budgétaire "prudente" (+2,3% maximum des dépenses primaires nettes financées sur ressources nationales) ou encore l’absorption effective des subventions de la facilité de reprise et de résilience et des autres fonds de l’UE, domaine où l’Hexagone ne brille généralement pas.
Faible compétitivité
Autre faiblesse structurelle de la France pointée par Bruxelles, sa faible compétitivité – en dépit d’une "récente évolution qui apparaît positive". Si la Commission estime que "des réformes majeures pour baisser le coût du travail, réduire les impôts de production et sur les sociétés ont contribué à restaurer la compétitivité-coût", elle relève que les exportations ont été fortement impactées par la crise du Covid et restent faibles depuis. De même, si elle pointe des évolutions du marché du travail "positives", elle s’inquiète de pénuries de main-d’œuvre et d’inadéquation des compétences persistantes. Et ce, d’autant plus que cette pénurie "augmente dans les secteurs clés de la transition verte, créant des goulets d’étranglement".
Côté entreprises, elle note "la stagnation de l’investissement en R&D", le fait que les performances en matière d’innovation "ne reflètent pas le haut niveau de soutien public" ou encore la faible diffusion et adoption des technologies numériques, notamment au sein des PME. Est également déploré le fait que les investissements dans les "cleantechs" soit contrarié par de longues procédures d’autorisation. "Il faut 17 mois en moyenne pour obtenir un permis de construire, recevoir une autorisation environnementale et mener à bien le processus d’enquête publique pour un projet industriel", précise-t-elle. Et de préconiser la simplification et l’accélération des permis et la mise en place d’un environnement réglementaire "propice à l’augmentation des investissements". Ce que le projet de loi Industrie verte va chercher à faire.
Transition verte à la traîne
Une fois encore, le retard en matière de développement des énergies renouvelables est lui aussi pointé, la Commission relevant que la France a manqué son objectif de 2020 et "pourrait avoir des difficultés pour atteindre celui de 2030". La Commission relève notamment le fait que le soutien fiscal aux énergies fossiles réduit l’argent public disponible pour investir dans ces dernières et retarde l’adoption de solutions alternatives, particulièrement dans les transports. Elle préconise une accélération du déploiement de l’éolien, du solaire, de la géothermie et du biogaz, y compris via les petites unités de production et l’autoconsommation. Observant par ailleurs que la plupart des projets bénéficiant de MaPrimeRénov’ conduisent à des rénovations légères, elle recommande d’améliorer le cadre réglementaire visant à encourager la rénovation globale des bâtiments et la décarbonation des systèmes de chauffage, en mettant l’accent sur les ménages à faibles revenus et les installations les plus énergivores.
Système scolaire sous-performant
Autre "marronnier", la situation du système scolaire, cette année encore dans le viseur. "En dépit de dépenses publiques en matière d’éducation au-dessus de la moyenne de l’OCDE, le système français est marqué par une proportion importante d’élèves peu performants et de fortes inégalités", dénonce la Commission. "Ces inégalités majeures" ainsi que "la sous-performance en mathématiques" sont pour elle une "source de préoccupation", puisque "affectant la croissance potentielle". Elle estime de même que "les difficultés de recrutement des enseignants et leurs conditions de travail restent des défis importants". Et de recommander d’améliorer ces dernières, ainsi que la formation initiale et continue des enseignants.
Plusieurs défis pour la fonction publique
On relèvera enfin que la Commission consacre une annexe à la fonction publique française, qui fait selon elle face à plusieurs défis. Parmi eux, le vieillissement de ses agents et une attractivité en baisse, et ce "alors que le nombre d’employés publics est plus élevé que dans d’autres États membres". La Commission observe toutefois que la "réforme transversale de la haute fonction publique" est en cours et que plusieurs mesures ont été prises pour réformer les procédures de recrutement et les "référentiels de compétence". Autre défi persistant, "l’égalité des sexes chez les hauts fonctionnaires". La Commission relève que la proportion de femmes dans la haute fonction publique reste inférieure à l’objectif de 40% fixé par la loi.
Sont également mis en exergue les "performances en dessous de la moyenne" de la France en matière de consultation publique (autres qu’environnementales) et de numérisation des services publics, ou encore le fait que la "France est en retard sur la plupart des indicateurs mesurant la performance des outils de gouvernance du marché unique". Last, but not least, elle observe que le nouveau processus de décentralisation lancée par la loi 3DS pour répondre à la pandémie et réformer la gestion territoriale reste pour l’heure à quai. "Seulement deux décrets d’application ont été publiés, à mettre en regard des 80 qui sont attendus", signale-t-elle. Le calcul doit toutefois dater, puisque l’échéancier figurant sur Légifrance indique que 30 décrets d’application ont été publiés à ce jour. 29 mesures de la loi nécessiteraient encore la publication d’un décret pour être applicables.