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Refondation de l'école - La commission des finances du Sénat corrige à la marge le projet de loi Peillon

La commission des finances du Sénat a adopté six petits amendements au projet de loi de refondation de l'école dont la discussion en séance publique débutera le 21 mai et devrait se poursuivre les 22, 23 et 24 mai. Le rapporteur, Claude Haut, s'est par ailleurs engagé à adresser des "interpellations" au gouvernement. Un bon diagnostic, mais peu de changements en perspective.

Réunie le 24 avril, sous la présidence de Philippe Marini, la commission des finances du Sénat a examiné le rapport pour avis de Claude Haut sur le projet de loi adopté le 19 mars par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République (voir notre article du 18 mars). Il en ressort six amendements dont trois portant uniquement sur les normes et quelques interpellations que Claude Haut s'est engagé à adresser au gouvernement.
Claude Haut demandera ainsi en séance publique des "éclaircissements" au gouvernement sur la question de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités pour l'acquisition et la maintenance des équipements informatiques dans les collèges et les lycées.

Equipements informatiques : soulever l'ambiguïté… en séance publique

La répartition de la compétence est qualifiée par Claude Haut de "relativement ambiguë" d'un point de vue juridique, ce qui se traduit, dans la pratique, par le fait que "ces dépenses ont été prises en charge aussi bien par l'Etat que par les collectivités", a-t-il pu observer tout au long des auditions. La clarification était donc nécessaire, et son inscription dans la loi souhaitable (art. 12, 13 et 14 du projet de loi). Or le gouvernement considère que la compétence relève des collectivités alors que les représentants des départements et des régions y voient un transfert de compétence, non compensé (voir aussi notre article du 24 avril). "Nous assistons typiquement à un transfert rampant de compétence", a commenté en commission le sénateur (PS) Yves Krattinger, par ailleurs président du conseil général de Haute-Saône. Selon lui, "les départements ayant la responsabilité des collèges et puisque l'Etat ne les équipait pas en matériel informatique, nous avons pris en charge ces dépenses, bien qu'elles ne relèvent pas de nos compétences". Et le sénateur courroucé de conclure : "Maintenant, notre générosité justifie un transfert de compétences non compensé !"
La sénatrice (UMP) Marie-Hélène des Esgaulx aurait quant à elle préféré un amendement, a-t-elle fait savoir en réunion de commission. "Libre à vous de le déposer", lui a répondu en substance le rapporteur.

Un fonds d'amorçage surévalué

"La réforme des rythmes scolaires a vocation à s'appliquer dès la rentrée prochaine, mais dans les faits ce serait un petit quart des élèves qui seraient concernés dès 2013", a semblé regretter Claude Haut. Or le chiffre de 250 millions d'euros qui avait été avancé pour le montant du fonds d'amorçage était basé sur une hypothèse de 50%, note le rapport, calculant que le montant de l'aide effectivement accordée serait de l'ordre de 170 millions d'euros. Que faire de la différence ? Le rapport ne le dit pas… Il se contente de rappeler que "les collectivités prendront en charge la majeure part des dépenses"...
Il ne faudrait pas voir, dans ce retard à l'allumage, "le résultat d'une opposition des élus à la réforme". Au contraire, "les auditions ont plutôt fait ressortir des obstacles liés à des difficultés pratiques d'organisation, à des contraintes d'un calendrier qui a semblé trop serré à certains élus ou encore, à des raisons financières", explique le sénateur.
Le "petit quart des élèves qui seraient concernés dès 2013" correspond à 1,279 million d'élèves, soit plus exactement 22% d'entre eux, selon les chiffres adressés par l'Education nationale à la commission des finances. Dans le détail, le rapport précise que la réforme concernera dès la rentrée prochaine 164.600 élèves allant dans une école située dans une communes DSU-cible (soit 20,1% de ces élèves), 153.000 élèves en communes DSR-cible (18,3%), 82.600 élèves ultramarins (29,1%) et 879.400 élèves allant dans une école située dans une autre commune (22,7%).
Quant au nombre de communes qui appliqueront la réforme dès 2013, il s'élèverait précisément à 3.939 sur un total de 23.746 communes accueillant une école. Dans le détail, 71 communes DSU-cible se lanceront (soit 25,4% d'entre elles), 1.054 communes DSR-cible (15,8%), 38 communes ultramarines (28,8%) et 2.776 autres communes (16.,6%). Dans les villes de plus de 65.000 habitants, 40% des élèves seront concernés par la réforme des rythmes dès 2013 ; dans les communes rurales, le taux tombe à 11%, note l'avis de la commission des finances.

Impacts ou pas impacts ?

Le gouvernement assure là encore qu'il n'y aurait pas d'impact financier direct de la réforme des rythmes scolaires sur les compétences obligatoires des collectivités. Les collectivités ont fait aux sénateurs la liste des coûts supplémentaires, que le rapport résume : volume plus important d'activités périscolaires ("compétence non obligatoire", répond le gouvernement) ;  service de restauration scolaire à l'issue des cours du mercredi (service "facultatif", fait valoir le gouvernement) ; augmentation des coûts fixes relatifs au fonctionnement des écoles du fait que les communes devront ouvrir les écoles un jour en plus par semaine ; nécessité pour les départements de faire fonctionner les transports scolaires un jour en plus par semaine (voire deux jours supplémentaires si certaines écoles du département choisissaient le samedi matin). "Outre la question du coût, il y a le problème du recrutement", a ajouté le sénateur (UMP) Philippe Dallier lors de l'examen de l'avis en commission des finances.
Si le rapporteur reconnaît qu'il est "très difficile de parvenir à chiffrer globalement le coût pour les collectivités de cette réforme, car il dépendra pour une grande part des contextes locaux et des décisions des collectivités et des familles", il cite les estimations avancés par l'Association des maires de France (entre 600 millions et 1 milliard d'euros, sur la base d'un coût par élève situé entre 100 et 150 euros), du Comité des finances locales (800 millions d'euros) et de l'Association des maires ruraux de France (+20% du budget éducation des communes rurales).
Philippe Dallier a pour sa part calculé "un budget de 200 euros par enfant", lequel "ne me permet d'assurer qu'un service bas de gamme". "Et pourtant, ajoute le sénateur de Seine-Saint-Denis, ce montant par enfant représente une charge supplémentaire pour les communes de deux milliards d'euros." Il souligne que "certaines communes ont les moyens et offriront des activités périscolaires de qualité ; d'autres seront obligées de se tourner vers les parents" et rappelle aussi que "certaines communes ne peuvent même plus entretenir les bâtiments scolaires qui sont dans un état déplorable". Et Philippe Dallier de conclure : "Voilà la rupture d'égalité républicaine !"

Trois questions "importantes" au gouvernement

Pas question pour autant, pour la commission des finances, d'envisager l'augmentation ou la pérennité du fonds d'amorçage. Claude Haut rappelle bien que ce fonds n'a "pas vocation à compenser le coût de la réforme pour les collectivités, mais à les inciter à la mettre en oeuvre dès la première année". "Je regrette que le fonds prévu par la loi se limite à une incitation financière temporaire alors que les coûts sont réels et pérennes", a tout de même fait remarquer Marie-France Beaufils (PCRC).
Claude Haut demandera en revanche, par voie d'amendement (amendement 3), que les montants forfaitaires annoncés (*) soient inscrits dans le rapport annexé au projet de loi. L'objet serait de "permettre de donner aux collectivités concernées une certaine garantie quant aux montants qu'elles percevront".
Quant au décret d'application sur le fonds d'amorçage, Claude Haut suggère qu'il aborde trois "questions importantes" qu'il posera d'ailleurs au gouvernement en séance. La première portera sur les EPCI dotés de la compétence en matière d'éducation qui percevront la majoration du fait d'une ou plusieurs communes éligibles en leur sein : Claude Haut estime qu'"il n'est pas nécessaire de prévoir un fléchage de cette majoration vers les communes concernées" et qu'il devrait "appartenir aux intercommunalités de se prononcer sur ce point, en fonction du contexte local".
Sur la question des communes (ou EPCI) qui percevront une aide du fonds au titre des élèves des écoles privées sous contrat, le rapporteur "souhaite qu'un équilibre soit trouvé afin d'assurer que les élèves de ces écoles seront traités équitablement par rapport aux enfants des écoles publiques".
Enfin, concernant la question de l'année d'éligibilité à la DSU-cible ou à la DSR-cible, il invite le gouvernement à "une certaine souplesse" en proposant d'accorder en 2013 la majoration aux communes éligibles à ces dotations en 2012, et en 2014 à celles éligibles en 2013 ou en 2014, "dans un souci de prévisibilité".

La Cnaf mise à contribution

Autre interpellation à prévoir : Claude Haut s'est engagé à alerter en séance le gouvernement sur les modalités de financements du fond d'amorçage. "Il a été évoqué qu'une partie du fonds pourrait être financée à partir d'un prélèvement sur les ressources de la Caisse nationale des allocations familiales. Le reste pourrait provenir de redéploiements au sein du budget de l'éducation nationale", s'est-il, pour l'heure, seulement entendu dire.
Marie-France Beaufils met pour sa part en garde sur "le risque que les caisses d'allocations familiales diminuent leurs versements au titre de l'accueil de la petite enfance".
De plus, "certains élus s'inquiètent également des règles concernant le taux d'encadrement des enfants pour bénéficier des concours des caisses d'allocations familiales, celui-ci ne faisant pas l'objet d'un assouplissement" (contrairement à ce qu'envisage pour les agents territoriaux le ministère de la Jeunesse et des Sports dans un décret à paraître), souligne la commission des finances.

Normes : ne jamais perdre une occasion...

Enfin, "j'ai souhaité saisir l'occasion présentée par ce texte pour traiter du sujet des normes applicables aux collectivités territoriales", a annoncé Claude Haut. La commission a ainsi adopté trois amendements, inspirés de la proposition du rapport Doligé sur la simplification des normes, visant à simplifier la procédure de mise à disposition des locaux et équipements scolaires pour les activités périscolaires dans les écoles maternelles et primaires (amendement 4), dans les collèges (amendement 5) et dans les lycées (amendement 6), en prévoyant une consultation annuelle du conseil d'école sur les utilisations envisagées plutôt qu'une consultation ponctuelle.
Deux autres amendements adoptés par la commission concernent plus directement l'Education nationale. Le premier vise à inclure tous les territoires ultramarins dans les zones prioritaires pour la création de 3.000 postes destinés à améliorer l'accueil des enfants de moins de trois ans. Le deuxième à mentionner "explicitement" que le remplacement des professeurs absents est l'un des objectifs de la création des 3.000 postes dans le second degré figurant en annexe du projet de loi et destinée à "assurer un meilleur équilibre territorial".

Valérie Liquet

(*) 50 euros de montant forfaitaire et majoration forfaitaire de 40 euros la première année et de 45 euros la seconde année pour les communes DSU-cible, DSR cible et d'outre-mer.