La circulaire qui appelle à "désenchevêtrer" les missions de l'Etat et des collectivités
Deux projets de circulaires signés Edouard Philippe dessinent les réorganisations à venir au sein des services déconcentrés de l'Etat. Avec des changements en vue importants pour certaines directions départementales ou régionales... et pour les collectivités, l'Etat étant appelé à se désengager de certains champs de compétences.
Services transférés en région, chasse aux "doublons", suppression ou fusion des structures administratives de moins de 100 personnes... L'exécutif prépare une série de mesures de réorganisation de l'administration d'Etat, selon deux projets de circulaires du Premier ministre Edouard Philippe dont l'AFP a obtenu copie, l'un d'eux – destiné aux préfets, tandis que l'autre s'adresse aux membres du gouvernement – ayant auparavant été dévoilé par Acteurs publics et l'AEF.
Ces "documents de travail" n'ont pas encore été envoyés, a souligné Matignon. "Ces deux projets de circulaire, soumis à la concertation, doivent permettre d’interroger les parties prenantes : les préfets (…), les organisations syndicales, les administrations centrales", a de même indiqué mardi Edouard Philippe. Du côté des syndicats justement, on a déjà commencé à réagir. "Nous apprenons encore une fois par la presse qu’une réforme territoriale d’ampleur se prépare au travers d’un projet de circulaire du Premier ministre", a par exemple regretté mardi la FGF-FO, assurant n'avoir "jamais été conviée dans le cadre d’instances de dialogue social à échanger sur ce projet" et considérant que "les concertations régionales sous forme d’instances informelles interministérielles étaient bien un écran de fumée".
Le gouvernement entend notamment s'attaquer au nombre trop élevé des diverses structures de l'administration centrale, en l'occurrence les quelque 1.200 opérateurs et agences dépendant des ministères. "La multiplicité de ces structures, qui comptent pour certaines un très faible nombre d'agents, nuit à la lisibilité et à la cohérence des missions des administrations centrales", écrit Edouard Philippe, qui vise notamment les structures de moins de 100 emplois équivalent temps-plein. Il demande à ses ministres de lui présenter des propositions de suppression ou de fusion de ces petits organismes divers "pour le 15 juin".
Autre mesure préparée par Matignon : des "délocalisations" d'administrations en région. Les ministres doivent identifier, là aussi pour mi-juin, deux "propositions de délocalisation de services, agences, opérateurs ou direction support dont les missions pourraient être exercées en région". Ils sont par ailleurs appelés "au traitement des nombreux cas de doublons qui subsistent encore", notamment au sommet des administrations.
Ces mesures seraient accompagnées d'une injonction d'un maximum de "déconcentration", autrement dit de la présence d'un maximum de fonctionnaires des administrations d'Etat "au niveau départemental", voire infra-départemental, "afin de renforcer les marges de manoeuvre d'agents de terrain". Edouard Philippe appelle aussi ses ministres à limiter les arbitrages remontant à Matignon, ainsi qu'à réduire le nombre de circulaires émises par l'administration (1.300 en 2018).
Ce mardi 21 mai, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, Edouard Philippe a défendu "une transformation effective des modes d'action de l'État, qui vise à faire en sorte que les décisions soient, beaucoup plus qu'aujourd'hui et beaucoup plus qu'avant, prises au bon échelon, (qui est) l'échelon local", en promettant qu"à partir de 2020, 95% des décisions administratives individuelles seront prises localement, sans être jamais évoquées à l'échelon central". "Nous avons une administration formidable, je la défendrai toujours", s'est encore félicité Edouard Philippe. "Mais je regrette qu'elle passe parfois autant de temps à produire des normes générales, des normes qui sont toujours motivées par un souci d'atteindre l'intérêt général, mais qui ne sont pas toujours utiles, qui sont souvent trop compliquées", a-t-il déploré, en défendant l'objectif "de faire en sorte que la production normative de l'État soit réduite". "Ce n'est pas spectaculaire, mais sur le terrain dans la vie de tous les jours, si nous travaillons avec constance avec détermination et avec cohérence, nous obtiendrons des résultats qui seront efficaces", a encore estimé le Premier ministre.
Economie, urbanisme, culture...
Ce qui devait être une circulaire sur les services de l'Etat… est aussi pour bonne part une circulaire sur les collectivités, le Premier ministre demandant aux préfets un travail pour "désenchevêtrer" les missions de l'Etat et celles des collectivités locales. Quatre "champs principaux" sont désignés : développement économique, urbanisme, famille et enfance, culture.
Sur l'économie, la circulaire aux préfets insiste sur la nécessité de "cesser d'intervenir" sur les "compétences relatives au tourisme, à l'artisanat, au développement économique", qui "sont des compétences des régions".
En matière d'urbanisme, il est rappelé que les EPCI doivent être "incités" à "reprendre la responsabilité de l'instruction des actes" et qu'il sera "progressivement mis fin" à la délégation des aides à la pierre "de type 2 (instruction avec les moyens de l'Etat" pour "lui préférer une délégation de type 3 (instruction avec les moyens propres aux collectivités)".
S'agissant du champ famille et enfance, seule est mentionnée la question de la tutelle des pupilles de l'Etat, tandis que sur la culture, est pris en exemple le modèle de délégation de compétences expérimenté en Bretagne.
La circulaire rappelle par ailleurs la teneur des propos d'Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse de fin avril : finaliser certains transferts de compétences déjà engagés, envisager de nouveaux transferts de compétences en matière de logement, de transition écologique et d'infrastructures de transport, mieux contractualiser sur les compétences sociales. Tout ceci fera l'objet de "concertations" qui s'ouvriront début juin.
En outre, les indications fournies sur la réorganisation à venir du "réseau déconcentré de l'Etat" auront pour certaines un impact direct sur les collectivités. Tel est le cas en matière d'insertion. Au détour de cette circulaire, on apprend en effet certaines choses sur le futur "service public de l'insertion" voulu par Emmanuel Macron dans le cadre du plan pauvreté (lire notre article du 13 septembre 2018 Pauvreté - Vers un "service public de l'insertion" et un "revenu universel d'activité"). L'objectif est rappelé : "que soient regroupées les compétences contribuant à cet objectif sans discontinuité, en se donnant les moyens d'accompagner les personnes en difficulté, de l'hébergement d'urgence à l'insertion par l'activité économique jusqu'à l'emploi". Avec le souci d'assurer "un dialogue plus simple et efficace" avec "les conseils départementaux, les CAF et Pôle emploi".
Dans ce cadre, les Direccte et les DRJSCS seront regroupées dans une "entité unique". Et à l'échelle départementale, un nouveau réseau sera créé : des "Directions départementales de l'insertion et de la cohésion sociale" (DDICS), qui regrouperont les compétences des DDCS, des DRJSCS et des unités départementales des Direccte.
Sport : la fin des missions sport pour les directions régionales de la jeunesse, des sports
Autre domaine explicitement visé par "l'effort […] de clarification des compétences qui doit être conduit au sein de l'Etat, et entre l'Etat et les autre acteurs" : le sport. Ici, il s'agit d'une part de transférer la mission de formation-certification à l'Education nationale "après allègement de la mission", et d'autre part d'étudier la possibilité d'externaliser l'homologation des installations sportives. Sur ce dernier point, le texte pose un problème d'interprétation. En effet, cette externalisation porterait sur les équipements "à l'exception des lieux accueillant du public". Or un établissement recevant du public (ERP) est un bâtiment dans lequel des personnes extérieures sont admises, peu importe que l'accès soit payant ou gratuit, libre, restreint ou sur invitation. Dans ces conditions, toutes les installations sportives, en dehors des équipements des particuliers ou d'entreprises destinés à leurs propres employés, sont a priori visées par cette exception.
Par ailleurs, le projet de circulaire vise nommément l'Agence nationale du sport et ses déclinaisons territoriales et dessine la future organisation des services déconcentrés de l'Etat en matière de sport. Au niveau régional, l'action de l'Etat sera déployée par les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (Creps) pour ce qui relève du haut niveau. Au niveau départemental, les directions académiques des services de l'Education nationale (Dasen) seront compétentes pour traiter le sport pour tous dans les territoires carencés. En outre, "le préfet sera le représentant territorial de l'agence du sport qui n'aura d'autres services déconcentrés que [les Creps et les Dasen]". En d'autres termes, c'est la fin des missions sport pour les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) et les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), elles-mêmes appelées à fusionner, donc, avec les Direccte…
Autres champs notables : l'environnement et l'habitat. Il est en effet prévu de revoir le fonctionnement des Dreal et de mettre en place des "plateformes de gestion" départementales ou interdépartementales en matière de politique de l'eau, d'environnement et de "traitement de l'habitat insalubre".
Dans tous les domaines, la visée est claire : renforcer le "rôle de coordination" du préfet de département. Et ce, sur "l'ensemble des services de l'Etat".
Afin que tous les changements envisagés soient "concertés avec l'ensemble des parties prenantes, agents et élus notamment", Edouard Philippe prévoit la création d'un "comité interministériel régional des transformations des services publics", qui sera présidé par le préfet de région.