Jurisprudence "Czabaj" : quelle portée pour la contestation des titres exécutoires émis par des personnes publiques ?
Constat :
La jurisprudence “Czabaj” est une position jurisprudentielle en expansion en matière de contentieux administratif, offrant la possibilité, face à une décision administrative individuelle en absence de notification des voies et delais de recours, d’intenter une action contre l’acte dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an (1). À l’instar d’un film à succès hollywoodien, la saga “czabaj” continue son évolution dans le contentieux administratif. Cependant, elle a été limitée dans son application par le juge européen et le juge judiciaire est venu stopper son expansion.
Réponse :
I. L’expansion à de nombreux contentieux devant la juridiction administrative de la jurisprudence “CZABAJ”.
Dans la vie administrative d’une collectivité, la jurisprudence “Czabaj” peut trouver son application dans les contentieux liés à la commande publique et à ceux relatifs aux autorisations d’urbanisme. Cette extension doit pousser les agents et les collectivités à être vigilants quant à la notification des voies et délais de recours dans les actes et décisions administratives pris, ainsi qu’à l’égard des mesures de publicité de certains actes. En effet, les voies et délais de recours ne sont opposables qu’à la seule condition d’avoir été mentionnés (2).
Ainsi, partant de ce principe, la jurisprudence “Czabaj” a pu s’étendre à de nombreux contentieux au regard des exemples suivants (liste non exhaustive) :
● En matière de contentieux des autorisations d’urbanisme, le juge administratif a pu reconnaître, faute d’avoir respecté les deux mois d’affichage aux abords du terrain, qu’il est possible d’agir contre une autorisation d’urbanisme dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an (3). Toutefois, ce délai ne saurait s’appliquer aux omissions qui n'entravent pas la capacité des tiers à identifier l’autorité ayant délivré l’autorisation (4). Il en est de même lorsque l’affichage comprend une erreur dans la mention du terrain d’assiette (5).
● En matière de contrats de la commande publique, si les mesures de publicité appropriées ne comportent pas les voies et délais de recours ou en l'absence de publicité suffisante des modalités de consultation du contrat, il est possible d’appliquer la jurisprudence “Czabaj” à l’occasion d’un recours “Tarn-et-Garonne”, c’est-à-dire un recours en contestation de la validité d’un contrat public. Le délai de deux mois, dans lequel le recours de pleine juridiction en contestation de la validité du contrat peut être exercé, court à compter de la publication d’un tel avis. À défaut d’accomplissement des mesures de publicité appropriées, le délai de recours ne court pas, confrontant l’autorité concédante à un risque contentieux tout au long de l’exécution du contrat (6).
II. Les restrictions apportées à l’application de la jurisprudence “Czabaj” par la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH).
Les arrêts de la CEDH ont, en raison du principe de primauté des traités régulièrement ratifiés, vocation à s’appliquer en droit interne. Le Conseil d’Etat, considérant le caractère d’autorité de chose jugée aux arrêts de la CEDH, tend à se conformer à ces derniers (7).
Dans un récent arrêt la CEDH, sans remettre en cause le principe de la jurisprudence “CZABAJ”, le juge européen considère que ce nouveau délai de recours contentieux ne doit pas porter une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal. Ce qui est reproché par la CEDH, c’est l’application en cours d’instance de ce nouveau recours, rendant le principe applicable à toutes les instances en cours de manière rétroactive. Pour la CEDH, il n’est pas possible que le principe de la jurisprudence “Czabaj” puisse être applicable aux recours ayant été introduits avant le 13 juillet 2016. En somme, si la décision attaquée a été prise avant cette date ou juste après, l’absence de notification des voies et délais de recours ne permet pas d’invoquer la jurisprudence “Czabaj” pour sécuriser juridiquement l’acte en cause (8).
III. L’application de la jurisprudence “CZABAJ” devant le juge judiciaire.
Concernant l’application de “Czabaj”, une autre interrogation subsiste : la question des titres de recettes émis à l’occasion des relations avec les administrés bénéficiant d’un service public industriel et commercial (SPIC). Cela peut paraître anodin, pourtant, le bloc communal a dans sa compétence la mise en œuvre des services publics de l’eau et de l’assainissement, législativement reconnus comme des SPIC (9). Ainsi, pour obtenir le paiement des redevances dues par les usagers de ces services, l’administration est tenue d'émettre des titres de recettes. En cas de contentieux à l’égard de ces derniers, l’administré dispose-t-il ou non d’un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an ?
La réponse est non. En effet, dans un récent arrêt, la Cour de cassation est venue rappeler qu’en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours, la contestation d’un titre exécutoire passé le délai d’un an reste acceptable. Précisant, “quant aux contestations d'un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l'occasion de l'action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s'agissant des créances d'une collectivité territoriale”(10).
Références
(1) Conseil d'État, Assemblée, 13/07/2016, n° 387763
(2) Article R421-5 du Code de justice administrative
(3) Conseil d’Etat, 9 novembre 2018, n° 409872
(4) Conseil d'État, 16/10/2020, n° 429357
(5) Conseil d'État, 16/10/2019, n° 419756
(6) Conseil d'État, Assemblée, 04/04/2014, n° 358994 ; Conseil d'État, 08/11/2019, n° 432216 ; Conseil d'État, 19/07/2023, n° 465308
(7) Article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 ; Conseil d’Etat, 24 novembre 1997, n°171929
(8) CEDH, 9 nov. 2023, n° 72173/17, Legros et a. c/ France
(9) Articles L2224-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales
(10) Cour de cassation, Assemblée plénière, 8 mars 2024, 21-12.560
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