3 questions à... - Jean-Michel Roulet, préfet, président de la Miviludes
La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) vient de rendre au Premier ministre son rapport annuel. Il met l'accent sur la nécessité de protéger les enfants face à l'emprise sectaire, souligne l'engouement qui existe aujourd'hui pour les "alter-médecines" ou encore s'inquiète du rôle que jouent les grandes organisations sectaires multinationales qui s'introduisent au coeur des entreprises.
Localtis.info : Si, face au risque de dérives sectaires, la vigilance de l'Etat est une nécessité absolue, qu'attendez-vous des collectivités territoriales ?
Jean-Michel Roulet : Les collectivités territoriales doivent elles aussi se mobiliser car les mouvements sectaires agissent au quotidien, sur l'ensemble du territoire. Le métier de maire est le plus exposé. Son action doit être régie par le principe de précaution et dans le domaine qui est le nôtre, sa vigilance ne doit pas se relâcher. Il a en face de lui des gens qui avancent à visage masqué. Ils sont d'abord sympathiques et proposent des solutions à quelques-uns des problèmes que rencontrent tous les élus. Ces derniers sont tentés de les accueillir favorablement. C'est bien là qu'est le risque quand on sait que l'enfance ou le soin sont parmi les principales cibles des mouvements sectaires. Aide aux familles, soutien scolaire pour les enfants, demande de prêt de locaux... ils sont très présents. Ils agissent souvent sous couvert d'une association, mais parfois c'est une personne seule à qui l'on fait confiance en tant que prestataire de service pour organiser la vie extrascolaire, les loisirs... qui se révèle affiliée à une secte. Ce n'est pas répréhensible en soi et la liberté de conscience est un droit absolu ; ce qui est dangereux, c'est l'excès de prosélytisme et le risque d'embrigadement. Le maire et ses services doivent aussi être vigilants quant à l'obligation de scolarité et l'obligation de vaccination.
Autre domaine investi par les mouvements sectaires, le champ de la santé intéresse directement le maire quand celui-ci est président du conseil d'administration de l'établissement hospitalier de sa commune. Bénévoles, des membres de certains mouvements font de l'accompagnement de personnes en fin de vie d'une façon qui est rarement désintéressée. Ils se rapprochent aussi de leurs familles. Les soignants fragilisés par des conditions de travail difficiles sont également leur cible. Ils peuvent, tout à fait officiellement, organiser des stages de formation professionnelle, mais ils peuvent également s'adresser à chaque soignant en particulier et l'inviter à participer à des sessions de week-end où ils prétendent lui apprendre à échapper au stress.
Nous appelons aussi à la vigilance pour ce qui a trait au risque d'infiltration des services communaux. Une fois installé "dans les murs", les membres affiliés à une organisation sectaire pourront jouer un rôle de "facilitateur" pour obtenir un permis de construire, une subvention, un prêt de salle...
Ce qui se passe au niveau communal se décline au niveau départemental, dans les collèges et les lycées pour le soutien aux élèves, dans les établissements pour personnes âgées, pour l'agrément des assistantes maternelles... L'action sociale des conseils généraux est une manne financière qui "intéresse" les mouvements sectaires. Les Conseils régionaux n'échappent pas aux risques en particulier dans des domaines comme l'emploi et la formation.
Localtis.info : Quelle aide la Miviludes peut-elle apporter aux maires et aux agents territoriaux ?
Jean-Michel Roulet : Nous avons une convention avec le CNFPT et nous pouvons proposer des formations qui vont permettre aux élus comme aux agents publics de repérer des agissements répréhensibles, d'identifier des groupes à risques et de faire face en discernant ce qui relève du domaine privé et ce qui appelle une réponse des pouvoirs publics. Notre mission est aussi de les aider à s'informer en répondant à leurs questions. Nous voulons aussi être au plus près des élus locaux car c'est souvent à eux que les victimes des sectes ou les familles s'adressent en premier lieu. Pour nous, la remontée de ces informations de terrain est essentielle.
Localtis.info : N'exagère-t-on pas le problème des dérives sectaires ? Ne s'agit-il pas finalement d'un phénomène marginal ?
Jean-Michel Roulet : Il faut à cette question répondre sans ambiguïté : non. Quelle que soit la taille de la collectivité, les élus et leurs services doivent faire preuve de la plus grande vigilance. Ils peuvent en effet être confrontés à des situations inconfortables quand ils sont conduits à licencier une personne ou qu'ils veulent rompre un contrat passé avec une association ou une entreprise qui se révèlent proches d'un mouvement sectaire ou lorsqu'ils refusent le prêt d'une salle municipale parce qu'ils suspectent le demandeur de dérives sectaires. S'ils se bornent à invoquer la croyance ou l'appartenance de la personne ou de l'organisation à telle doctrine, sans fonder leur décision sur des dérives clairement établies, sur les dangers des pratiques mises en œuvre, celle-ci risque d'être sanctionnée par la justice et en tout cas d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme.
Certes il ne faut pas dramatiser les risques de dérives sectaires, mais il faut savoir qu'aux côtés de la dizaine d'organisations multinationales connues, il existe des centaines de mini-réseaux implantés sur l'ensemble du territoire.
Propos recueillis par Marc Horwitz