Isabelle Le Callenec : le logement doit bénéficier d'une "possibilité d'adaptation locale"

Alors que le logement est au centre de toutes les attentions en lien avec la crise que rencontre le secteur, Isabelle Le Callenec, maire de Vitré (Ille-et-Vilaine), présidente de Vitré communauté, coprésidente du groupe de travail logement et habitat de l'AMF, fait le point, à l'approche du Congrès des maires, sur les attentes des élus locaux en la matière et sur la situation de son territoire.

Localtis - Comment se manifeste la crise du logement dans votre territoire ?

Isabelle Le Callenec - Vitré communauté regroupe 46 communes et 83.000 habitants aux portes de la Bretagne. C'est un territoire très industriel, il y a donc des entreprises qui portent des projets d'extension et d'implantation d'activités qui nécessitent du foncier et des logements. Les élus ont la capacité de travailler sur l'anticipation de ces besoins. Nous avons élaboré un nouveau programme local de l'habitat (PLH), la troisième génération, un outil que je plébiscite car il permet de réunir les maires autour de la table, d'avoir un diagnostic de la situation et de se projeter dans l'avenir. La population est très sensible à l'accession à la propriété donc nous essayons de favoriser le parcours résidentiel, qui est aujourd'hui un peu grippé entre l'inflation, la baisse du pouvoir d'achat, le renchérissement des coûts de construction et plus récemment la hausse des taux de crédit.

Quelles sont les orientations qui ont guidé votre PLH ?

Nous essayons de favoriser les quartiers avec de la mixité sociale. À chaque fois que l'on pense aménagement, on essaie de reconstruire la ville sur la ville, d’intégrer la renaturation, la sobriété foncière, la mixité... cela demande beaucoup d’énergie et de volontarisme, car il n'y a pas un projet collectif qui n'entraîne pas de recours. Nous préconisons une densification douce, en R+3, +4, voire +5. Les promoteurs sont friands de foncier qui reste à urbaniser, or l'urbanisme reste une compétence des maires, un élément de leur souveraineté. À nous de bien anticiper les besoins avec les outils qui sont les nôtres.

Le zéro artificialisation nette (ZAN), le coût du foncier ou le poids des normes sont pointés du doigt comme des freins à la construction. Quelles solutions pourraient, selon vous, permettre de rétablir le modèle économique du secteur et relancer la construction ?

Il est nécessaire d'agir à la fois sur la construction, la rénovation et la remise sur le marché des biens vacants. Pour la rénovation, il faudrait une incitation pour de vraies rénovations et régionaliser les aides comme MaPrimeRénov'. De nouvelles règles sont proposées sur ce dispositif et une communication doit accompagner leur entrée en application. J'observe pour l'instant une baisse des sollicitations, peut-être que le nouveau dispositif va les relancer. J'ai une petite inquiétude sur des biens avec des étiquettes F ou G qui risquent de sortir du parc locatif. La fin du Pinel, qui avait des avantages et des inconvénients, est une mauvaise nouvelle. Dans un territoire comme le nôtre, nous avons besoin de locatif pour répondre à la demande. Il faut réinventer un dispositif de soutien à l'investissement locatif privé. Passer du tout au rien, cela nous inquiète.

Une décentralisation de certaines politiques de l'habitat devrait être mise en œuvre en 2024, qu'en attendez-vous ?

Je suis très favorable à la décentralisation. Nous souhaitons globalement une réglementation nationale avec une possibilité d'adaptation locale. En matière de lutte contre les logements vacants, on pourrait par exemple donner une certaine liberté aux maires pour les taxer, ou leur donner les outils pour réglementer localement les meublés de tourisme. Pour l'attribution des logements sociaux, nous demandons aussi que la place du maire soit confortée. L'Association des maires de France porte une demande de transfert à l'échelon local du travail sur les zonages. Chaque région a son approche. J'ai le prisme breton où il a une bonne faculté à discuter entre élus. Les recours, les enquêtes publiques, parfois l'avis des ABF, c'est très long. Les élus doivent être volontaristes pour que les projets sortent. Il faudrait libérer tout ça.

N'y a-t-il pas un risque de transfert de compétences sans les moyens nécessaires ?

C'est toujours le risque, c'est pour ça qu'il faut absolument que l'on soit d'accord sur ce qui peut être décentralisé et déconcentré, car il y a aussi un impact sur les services de l'État. Par exemple, la délégation des aides à la pierre doit être transférée avec les moyens financiers et les compétences, car il y a des personnes qui les instruisent dans les services de l'État. Pour l'instruction des permis de construire il y a quelques années, les fonctionnaires des directions départementales de l'équipement (DDE) ont peu choisi d'aller dans les collectivités, nous avons donc dû recruter des instructeurs.

Qu'apporterait à votre agglo le fait d'être autorité organisatrice de l'habitat (AOH) ?

Nous le sommes déjà plus ou moins. Il faut avoir un PLH et un plan local de l'urbanisme intercommunal (PLUI) que tous les EPCI n'ont pas encore, notamment Vitré agglomération. Ce que nous souhaitons si nous sommes AOH, c'est d'avoir les moyens financiers et humains correspondants. Si on doit activer des leviers fiscaux, il faut en avoir les moyens. La taxe d'habitation sur les logements vacants est perçue par l'État et devrait l'être par les communes pour la flécher vers la construction et la rénovation.

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit un recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) pour l'accession, estimez-vous comme d'autres élus qu'il ne doit pas être limité ?

93% du territoire français n'est pas couvert par le PTZ. Vitré agglomération n'est pas en zone tendue alors que nous gagnons 0,8% de population chaque année, donc nous ne bénéficions pas du PTZ. De plus, le PTZ est fléché vers de l'habitat collectif, or ici les ménages préfèrent accéder à une maison individuelle. Nous sommes un bon exemple de territoire où il y a des besoins de construire et de rénover, et donc besoin d'un environnement fiscal et financier stabilisé qui doit être incitatif. S'il n'y pas d'incitation pour l'investissement locatif, le parcours résidentiel va rester grippé.

La réduction des loyers de solidarité pèse sur les capacités des bailleurs sociaux qui devraient, selon une étude de la Banque des Territoires, devoir arbitrer à l'avenir entre construction et rénovation. Les annonces financières faites par le ministre au Congrès HLM seront-elles suffisantes pour répondre aux besoins pour la construction ?

C'est un peu rassurant mais ne suffira pas. J'étais récemment au sommet de la Fédération française du bâtiment, où un intervenant a indiqué que le diagnostic des besoins, notamment en logements sociaux, n'est pas partagé entre les acteurs du logement et le gouvernement. Selon une étude de l'Union sociale pour l'habitat (USH), le besoin de construction de logements sociaux serait de 198.000 par an. L'inflation, les coûts de construction, le taux de crédit, la raréfaction du foncier avec le ZAN sont autant de mauvais signes envoyés aux bailleurs sociaux.

Le PLF contient des éléments pour accompagner la rénovation des logements sociaux et un fonds dédié va être créé, était-ce attendu ?

Cela fait partie des bonnes nouvelles annoncées au Congrès de l'USH, mais on se demande si le gouvernement a bien conscience de la crise. À Vitré, je constate une baisse du rythme des permis de construire à la signature et des déclarations d'intention d'aliéner. En discutant avec les banquiers, ils m'ont confirmé qu'il y avait moins de prêts accordés. Ce sont des signaux concrets de ce qui est en train de se passer.

 

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