Inclusion numérique : 90 gouvernances locales "France numérique ensemble"
Le Forum des Interconnectés, qui s'est tenu à Marseille les 3 et 4 avril, a été l'occasion de faire un point d'étape sur la mise en œuvre des feuilles de route "France numérique ensemble". Les projets remontés à l'État révèlent une grande diversité en termes de gouvernance et de projets, le volet financier n'étant pas le plus simple à élaborer. L'ANCT a d'ailleurs décalé à octobre la date limite pour la remise des feuilles de route.
Pour mémoire, une circulaire de juillet 2023, traduction de la feuille de route nationale "France numérique ensemble" (voir notre article), demandait aux préfets de lancer une concertation avec les collectivités pour porter la déclinaison locale des feuilles de route. Julia Herriot, codirectrice du programme Société numérique de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), a précisé à Marseille lors du Forum des Interconnectés des 3 et 4 avril 2024 que "dans 90 départements, une collectivité va coporter une feuille de route locale d'inclusion numérique avec la préfecture" (le détail des gouvernances est disponible en ligne).
Couvrir l'ensemble du territoire
Dans une majorité des cas, le conseil départemental est à la manœuvre, ou une structure de mutualisation, les intercommunalités arrivant en troisième position pour porter les projets. Parfois, plusieurs feuilles de route, portées à des niveaux différents, coexistent au sein d'un même département. Dans une douzaine de départements, aucune collectivité ne s'est manifestée pour porter la feuille de route. C'est notamment le cas du département de la Creuse qui a décidé de se désengager quand l'État a annoncé une réduction des financements pour les conseillers numériques France services (CNFS). Que se passera-t-il dans ces départements ? "L'État portera seul la feuille de route", a assuré Julia Herriot, l'un des objectifs prioritaires de la feuille de route nationale étant de couvrir l'ensemble du territoire. Par ailleurs, ces gouvernances locales ont vocation à s'étoffer avec le temps, en associant des acteurs privés, associatifs ou des opérateurs de l'État.
Une grande variété de stratégies
En pratique, les feuilles de route locales révèlent une grande variété de stratégies, comme ont pu en témoigner plusieurs territoires. Dans le Maine-et-Loire, où le syndicat mixte Anjou numérique est à la manœuvre aux côtés du département et de la fédération des centres sociaux, l'accent a été mis sur la mise en réseau des acteurs avec l'appui des EPCI. Mais ce qui en fait la spécificité est sa volonté de mobiliser les communes pour aiguiller les usagers, projet pour lequel la collectivité a été récompensée par un label "Territoire innovant". "La commune, c'est la maille la plus fine et la plus solide. Nous proposons aux agents des mairies une formation de quatre jours organisée avec l'appui du CNFPT", a fait valoir Richard Marquis, chargé de projet à Anjou numérique.
Dans la région toulousaine, le Sicoval a souhaité pour sa part mettre l'accent sur le volet social de l'inclusion et "l'aller vers". "Nous travaillons avec le département qui dispose d'un réseau de maisons de proximité et touche des gens qui n'iront pas spontanément vers une structure étiquetée numérique", a expliqué Jacques Oberti, président du Sicoval.
À Nantes métropole, où les structures d'inclusion sont nombreuses et anciennes, la collectivité se pose en accompagnateur. Après avoir cartographié l'offre en place, la collectivité a mené toute une série d'enquêtes qualitatives auprès des structures d'inclusion, des communes et des entreprises pour évaluer les besoins et construire un plan d'actions. "Dans les quartiers politique de la ville, 14% de la population est en difficulté, contre 10% à l'échelle de la métropole. Et surtout, les besoins en matériel et en connectivité sont encore loin d'être derrière nous" a détaillé Julie Swartvagher, en charge du dossier à Nantes métropole.
Sanctuarisation des crédits CNFS
Enfin, côté finances, quelques pistes se dessinent au-delà des financements de l'État. Pour ces derniers, Cécile Colucci, déléguée générale des Interconnectés, qui participe aux concertations nationales aux côtés d'autres associations d'élus, a affirmé avoir eu l'assurance de la part de la secrétaire d'État au numérique, Marina Ferrari, que les crédits fléchés vers les CNFS n'étaient pas menacés par les coupes budgétaires. Par ailleurs, l'ANCT a annoncé que les préfectures avaient été destinataires à la mi-mars d'enveloppes de 40 à 70.000 euros pour aider à la mise en œuvre des feuilles de route, et notamment la réalisation d'un diagnostic. Enfin,112 CNFS coordonnateurs, objet d'un appel à candidatures l'automne 2023, sont désormais en place (cartographie en ligne ici) pour renforcer le maillage et les synergies territoriales.
Fondations et manne européenne
Tout l'enjeu est cependant d'assurer la pérennité du service. Au-delà des postes que pourront dégager les collectivités en cette période de restrictions, les porteurs de feuilles de route sont incités à rechercher toutes les lignes budgétaires que consacrent d'ores et déjà les acteurs locaux (CAF, assureurs, opérateurs de services publics, gestionnaires de réseaux…) à l'inclusion numérique. "Nous allons mettre en place une charte éthique pour veiller à ce que ce partenariat serve l'inclusion numérique et non pas la promotion de services" a précisé Jacques Oberti.
Plusieurs territoires, notamment à Orléans et en Anjou, réfléchissent par ailleurs à la mise en place de fondations publiques-privées pour assurer le portage financier du dispositif. Autre piste évoquée par Nantes métropole : mobiliser les crédits de la formation professionnelle, où un modèle économique existe, pour accompagner les salariés. Enfin, les Interconnectés creusent la piste européenne, et notamment celle du fonds social européen (FSE). Une manne potentiellement prometteuse, sous réserve que celle-ci puisse financer du fonctionnement, mais qui nécessite pour les collectivités d'avoir la capacité de monter des dossiers souvent chronophages.
La question du financement est au cœur des concertations locales en cours. L'ANCT a d'ailleurs décalé à octobre 2024, au lieu de juin, la date butoir pour la remise des feuilles de route par les préfets.
Coté professionnalisation des aidants et conseillers numériques - l'un des engagements de la feuille de route France numérique ensemble (FNE) - la secrétaire d'État au numérique a annoncé dans un message préenregistré l'installation d'un comité de filière "avant l'été" complétant les dispositifs de formation initiale et continue déjà en place. "Ces professionnels doivent être à la fois formés et protégés, mais ils doivent aussi pouvoir se projeter dans des carrières qui font sens et leur garantissent une évolution professionnelle", a déclaré la secrétaire d'État. Ce comité de filière, qui associera les représentants des salariés privés et des filières administratives, fait suite à une "mission de préfiguration" lancée en juillet 2023. Il est porté par l'ANCT, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et Uniformation. |