Huitième rapport sur la cohésion : attention au "piège du revenu moyen"
La "maison Europe" est un édifice fragile malmené par ces deux années de crise : c'est en substance le message de la commissaire Elisa Ferreira, à l'occasion de la publication du huitième rapport sur la cohésion. En 85 pages, ce document dresse un état des lieux précis de l'état des régions en Europe et pose les grands enjeux des trente ans à venir : transitions écologique, numérique et démographique.
"Si la maison Europe veut tenir debout, nous devons réparer toutes ses fissures." En commentant la publication du huitième rapport sur la cohésion, la commissaire à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, a montré, mercredi 9 février, que rien n’est acquis pour la construction européenne. Ce document de 85 pages émaillé de nombreuses cartes donne des pistes de réflexions pour les 30 ans à venir. Un exercice actualisé tous les trois ans pour faire le point sur les progrès réalisés et les défis à relever. Ce nouvel exercice a pour particularité d’enjamber les deux ans de crise du Covid. "Notre économie est en train de repartir plus vite que prévu, cependant les données agrégées actent des différences entre les territoires", a d’emblée souligné la commissaire. Or "les disparités tendent à s’aggraver après la crise", a-t-elle mis en garde. Le rapport présente "un instantané d’une Europe dans laquelle de nombreuses disparités sociales et territoriales apparaissent, ce qui fait peser un risque de relance asymétrique".
Piège du revenu moyen
Le rapport souligne les effets positifs de la politique de cohésion conçue pour "renforcer la convergence" et "réduire les inégalités entre les régions". La plupart des régions les moins développées (essentiellement en Europe centrale et orientale) continuent de rattraper leur retard, comme elles le font depuis une vingtaine d’années. C’est chez elles qu’on enregistre les plus forts taux de croissance, résultat selon le rapport des transformations structurelles engagées (transfert des emplois agricoles vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée), des investissements dans les infrastructures (routes, santé, infrastructures essentielles…) et d'une main-d’œuvre bon marché. Cette tendance devrait se poursuivre : le rapport anticipe une augmentation du PIB jusqu’à 5% d’ici à 2023 dans ces régions. Cependant, elles pourraient à moyen terme être confrontées à leur tour au "piège de la croissance" ou "piège du revenu moyen". Un syndrome qui touche aujourd’hui de nombreuses régions à revenus intermédiaires ou moins développées du sud de l’Europe (Grèce, Espagne, Portugal, Italie du Sud) qui, après une phase de développement, se retrouvent en stagnation ou à la traîne : elles ont perdu leurs avantages. "Au fur et à mesure qu’on se rapproche du niveau de 75% du revenu par habitant et qu’on dépasse cette première phase d’investissement primaire, il faut qu’il y ait davantage de réflexion, que les stratégies de développement deviennent plus sophistiquées", a souligné la commissaire. À noter que la configuration des régions françaises les classe aujourd’hui plutôt dans cette catégorie. Sur la période 2001-2019, la Creuse, le Doubs et le Jura sont en déclin et une bonne partie de la moitié nord du pays est en stagnation.
Modèle multipolaire
Les régions métropolitaines obtiennent de meilleurs résultats mais la commissaire met en garde contre les phénomènes de concentration et de métropolisation. Elle plaide au contraire pour un modèle "multipolaire" qui est la caractéristique des pays les plus développés. "Il faut aller à l’encontre de notre instinct" qui voudrait qu’on concentre l’activité vers les régions les plus dynamiques, a-t-elle plaidé. "L’hyper-concentration dans les métropoles génère beaucoup de congestion, beaucoup d’impacts négatifs sur l’environnement", sans parler d’une "fuite des cerveaux" à l’intérieur même du pays. Autre signal d’alerte : l’innovation se concentre dans les régions les plus favorisées.
Le rapport dresse aussi les perspectives à horizon 2050 avec les grands défis à venir que sont les transitions écologique, numérique et démographique. Les deux premières ouvriront "de nouveaux débouchés" mais nécessiteront "des changements structurels majeurs qui risquent de créer de nouvelles disparités régionales". Un effort devra être porté sur les régions à "haute intensité de carbone", ce qui a commencé à travers le Fonds pour la transition juste. Autre défi : le vieillissement de la population. "En 2040, 50% des Européens vivront dans des régions en déclin démographique, ce qui va demander des ajustements tous azimuts", notamment en termes de services à la population, a insisté Elisa Ferreira.
Stratégie de développement local
Face à ces nombreux défis, l’investissement sera "crucial" mais "pas suffisant", a-t-elle fait valoir. Il devra être conditionné à une "stratégie de développement local définie à la bonne échelle, au niveau territorial, adaptée aux spécificités des régions". La commissaire préconise une "politique taillée sur mesure", reposant sur une "étroite collaboration entre les villes, les régions et les citoyens". Il faut "renforcer le principe de partenariat, encourager l’apprentissage politique, l’expérimentation, la coopération". Enfin, la politique de cohésion "ne suffit pas". Toute politique européenne ou nationale devra prendre en compte l’impact régional avec pour principe : "ne pas nuire à la cohésion". "Aucune politique ne doit donner le sentiment à certaines régions d’être oubliée", a-t-elle également souligné, manifestant sa préoccupation pour la "géographie des mécontentements" qui alimente le "populisme". "Nous disposons de fonds sans précédent. Il est impératif que ces fonds soient utilisés pour renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale", a-t-elle lancé.
Le rapport sur la cohésion s'inscrit dans un calendrier dense et va alimenter de nombreux débats à venir : réunion ministérielle sur la politique de cohésion, organisée par la présidence française de l’UE, le 1er mars, à Rouen, Sommet européen des régions et des villes des 3 et 4 mars à Marseille, avant le Forum sur la cohésion, les 17 et 18 mars, à Bruxelles. Le présidence française présentera ses conclusions au mois de juin.