Restauration scolaire - Gratuité des cantines : une fausse bonne idée ?
L'initiative lancée la semaine dernière par la communauté de communes Le Bourget-Drancy, en Seine-Saint-Denis, a fait grand bruit : celle d'instaurer la gratuité de la cantine pour tous dans les écoles élémentaires des deux communes. "Nous créons un droit à un repas équilibré, quotidien et gratuit", a expliqué Vincent Capo-Canellas, maire du Bourget et président de la communauté de communes. Cette mesure, qui concerne quelque 3.000 enfants, est une "mesure sociale juste", a de même fait valoir Jean-Christophe Lagarde, le député-maire de Drancy, jugeant "faussement social" le système basé sur les quotients familiaux.
Cette initiative n'entend pas rester isolée puisque Jean-Christophe Lagarde a dans le même temps déposé à l'Assemblée une proposition de loi visant à instaurer partout en France la gratuité de la restauration scolaire pendant toute la durée de la scolarité obligatoire. Une période transitoire de trois ans serait fixée avant l'application définitive du dispositif. La proposition de loi prévoit que les charges induites pour les collectivités compétentes seraient intégralement compensées par l'Etat et imputées sur la TIPP.
Dans son exposé des motifs, le député-maire souligne que dans la mesure où "un nombre important de familles ne peut plus inscrire leurs enfants à la cantine faute de revenus suffisants ou a du mal à en acquitter le prix", certaines collectivités "ont mis en place des mécanismes visant à prendre en charge partiellement le coût de la restauration scolaire pour les familles aux plus faibles revenus". Or, estime-t-il, nombre de communes pauvres du fait de la concentration sur leur territoire de familles modestes y renoncent, "faute de ressources financières suffisantes pour couvrir le coût d'une telle mesure".
Une proposition inadaptée ?
Cette proposition soulève évidemment un certain nombre de questions, notamment dans le sens où elle tend à faire de la restauration scolaire un service public "universel". Elle n'a d'ailleurs pas manqué de susciter des réactions, dont celle de l'Association nationale des directeurs de l'éducation des villes de France (Andev) qui, tout en soutenant l'objectif de "permettre aux enfants qui en ont le plus besoin de déjeuner à la restauration scolaire", juge les moyens proposés "totalement inadaptés".
L'association présidée par Claudine Paillard, directrice de l'éducation de la ville de Rennes, tient tout d'abord à rappeler que la restauration scolaire n'étant pas "un service obligatoire", instaurer la gratuité reviendrait à "donner une sur-prime" aux familles qui habitent les communes qui disposent d'un tel service. En outre, estime-t-elle, la gratuité conduira nécessairement à une demande croissante de fréquentation des cantines... et risque du coup de "s'accompagner d'une augmentation des refus d'accès, privilégiant souvent les parents qui travaillent et non pas forcément les plus modestes".
Enfin, l'Andev considère que la gratuité pour tous favoriserait au final "essentiellement les familles dont les revenus sont les plus confortables". Mieux vaut, en ce sens, continuer de miser sur les systèmes de tarification liés aux ressources des familles tels que ceux que pratiquent déjà de nombreuses communes - que ces systèmes aillent jusqu'à la gratuité pour les familles les plus pauvres ou bien conservent une participation minimale même très faible.
Quand la gratuité génère des économies
"Jusqu'à présent il existait des tarifs différenciés selon le quotient familial, qui va jusqu'à la gratuité dans certains cas. Mais certaines villes sont revenues sur ce principe, préférant la notion de franc symbolique, mettant en avant la notion de dignité humaine", explique de même Christian Hébert, président de l'Association nationale des directeurs de restauration municipale (ANDRM). A Marseille par exemple, 20.000 enfants bénéficient d'un tarif réduit et 1.200 autres d'une gratuité totale. La ville de Saint-Nazaire pratique elle aussi l'exonération totale pour certaines familles, tandis que d'autres villes ont préféré opter pour une possibilité de gratuité à titre exceptionnel et temporaire uniquement.
A Drancy (avant la création de la communauté de communes, qui vient d'être installée), les tarifs s'échelonnaient jusqu'ici entre 50 centimes et 3,22 euros, 73% des familles payant le tarif maximum. La gratuité des cantines coûtera globalement 1,1 million d'euros à l'EPCI, où l'on souligne toutefois que des économies seront dégagées, pour 600.000 euros, entre autres grâce à la fin des facturations et frais administratifs.
La FCPE, principale fédération de parents d'élèves, s'est déclarée ce 9 janvier être "d'accord" avec l'idée de gratuité des cantines scolaires mais "pas dupe" de l'annonce faite par les élus de Drancy et du Bourget "au début d'une année d'élections législatives". Une généralisation causerait "une obligation très lourde financièrement", que les collectivités "ne pourront prendre en charge seules". Quant à demander à l'Etat de "garantir l'égalité entre les territoires en transférant aux collectivités concernées les sommes correspondantes"... "Chiche !", s'exclame la FCPE.
C.M.
Liberté des tarifs
Alors que les collectivités locales n'ont longtemps eu que de toutes petites marges de manoeuvre dans leurs politiques de tarification, un décret du 29 juin 2006 est venu instaurer le principe de la liberté des tarifs de la restauration scolaire, chaque collectivité compétente déterminant donc désormais elle-même le tarif applicable sur son territoire. Toutefois, les prix pratiqués ne peuvent être supérieurs au coût par usager des charges supportées pour la fourniture des repas.