"Grand débat national" : ce qui se profile

Une plateforme, des formats de "proximité" pour aller au devant des habitants, des assemblées régionales avec citoyens tirés au sort… le "grand débat national" qui se tiendra de mi-janvier à début mars commence à se profiler… Tout comme les conditions de réussite, de l'implication des élus locaux à la neutralité du processus, en passant par la convergence de l'ensemble des démarches participatives actuellement en cours.

Depuis les débuts du mouvement des gilets jaunes, à travers toute une série d'initiatives dont l'opération "Mairie ouverte" permettant de s'exprimer sur des "cahiers de doléances" (voir notre article du 11 décembre 2018 "'Mairie ouverte' : les Français expriment leurs doléances"), élus locaux et nationaux ont tenté à la fois de se mettre à l'écoute des manifestants et de canaliser le débat. Annoncée par le président de la République le 10 décembre (voir notre article du 11 décembre 2018 "En attendant le 'débat national'… ce que l'on retiendra de l'allocution du chef de l'Etat"), la tenue d'un large "débat national" permettant d'"aborder toutes les questions essentielles à la nation" a été présentée comme la réponse politique à une crise liée à un mouvement inédit et remettant fortement en cause le principe même de représentation.

Un débat de mi-janvier à début mars

Á quoi devrait ressembler ce "débat sans précédent" que le chef de l'État appelle de ses vœux ? Suites aux éléments de cadrage du Premier ministre (voir notre article du 12 décembre 2018 "Le 'grand débat' : qui, quoi, quand, comment ?" et l'encadré à notre article du 13 décembre 2018 "Le 'grand débat' : quel rôle pour les élus… et pour parler de quoi ?"), Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), a apporté les 19 et 20 décembre, au journal Le Parisien et au micro de RTL, des compléments d'information sur le calendrier et la méthode.
Alors que des consultations préparatoires sont encore en cours - tant du côté de la CNDP que du gouvernement, notamment au ministère de la Transition écologique et solidaire -, les "grands principes" de la méthode du débat auraient été "validés" par le président de la République et le Premier ministre, a précisé Chantal Jouanno. Après des débuts plus informels, le "grand débat national" aura lieu de mi-janvier à début mars, a fait savoir Matignon. Quatre thèmes ont été mis à l'agenda par le gouvernement : la transition écologique, la fiscalité, la citoyenneté - dont les questions d'immigration - et l’organisation de l’État.

Le gouvernement sommé de respecter les "principes fondamentaux du débat public" 

"Il y a une vraie aspiration au débat, mais avec la garantie que cela débouche sur quelque chose de concret", a alerté la présidente de la CNDP. Alors que cette dernière a accepté de conseiller le gouvernement dans l'organisation du débat jusqu'à son lancement, l'autorité indépendante a conditionné "la poursuite de cette mission jusqu'à la rédaction du rapport final" à un engagement de la part du gouvernement à respecter les "principes fondamentaux du débat public", peut-on lire dans une décision de la CNDP du 17 décembre 2018. Ces principes : "neutralité et indépendance des organisateurs, égalité de traitement des participants, transparence dans le traitement des résultats". Ils ont été également rappelés par courrier au Premier ministre le 17 décembre, à la veille d'une réunion interministérielle organisée à  l'Elysée sur le débat par les chefs de l'État et du gouvernement.

Organiser le débat au plus proche des habitants

Pour vaincre la défiance, la méthode proposée par la CNDP tiendrait principalement en un mot : proximité. "Le but, c'est que ça ait lieu à la plus petite échelle, au plus près de ceux qui ne viendront jamais dans des grandes salles", a expliqué Chantal Jouanno. L'initiative et l'organisation des débats seraient laissées aux citoyens, associations, communes, ou encore syndicats, qui bénéficieraient de l'appui de la CNDP – avec la mobilisation de son réseau de 250 garants de la concertation et la fourniture d'un kit méthodologique et d'informations sur les différents thèmes.
"Une plateforme numérique et une équipe dédiée au grand débat vont être mises en place", a ajouté Chantal Jouanno. "Elle permettra aux initiateurs de s’inscrire, aux citoyens de connaître les lieux où auront lieu les réunions, mais aussi à tout un chacun de pouvoir déposer des contributions." En dehors des réunions en salle, la CNDP suggère de multiplier les formats, par exemple via des stands sur la place publique pour "aller au-devant des Français". Autre modalité préconisée : la tenue d'"assemblées régionales où on mélangera des citoyens tirés au sort avec des acteurs représentants de la société civile pour vraiment travailler sur ces propositions".

"Les maires ne sauraient porter seuls une responsabilité qui n’est pas la leur"

Dans cette configuration, la réussite de l'opération dépendrait donc largement de la mobilisation des territoires et en particulier de celle des élus locaux, ces agents de confiance qui apparaissent désormais indispensables.
Cette prise de conscience est toutefois un peu tardive, du point de vue des élus locaux. Les maires ont déjà fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas endosser la responsabilité de l'organisation du débat. "Dans le dialogue avec les Français, les maires prennent leur part depuis longtemps et continueront de le faire selon les modalités qu’ils jugeront les plus appropriées. S’ils seront acteurs du débat républicain ouvert à tous, organisé par l’Etat sur les territoires avec l’implication nécessaire de tous les parlementaires, ils ne sauraient porter seuls une responsabilité qui n’est pas la leur", a clarifié l'Association des maires de France dans un communiqué du 19 décembre. L'AMF rappelle à cette occasion qu'elle attend "l'ouverture rapide de négociations avec le gouvernement, prioritairement sur les ressources des collectivités et l’égalité d’accès aux services publics notamment dans les territoires ruraux et ultramarins".

Se mettre à l'écoute et éviter le "meeting politique"  

Alors que les maires demandent l'implication des parlementaires, des députés de la majorité ont fait savoir ces derniers jours qu'ils étaient parties prenantes d'un pilotage du débat. LREM a en effet nommé des référents thématiques et régionaux, pour "coordonner la participation des députés" de la majorité au grand débat national.
D'où notamment le risque, pour Chantal Jouanno, que certaines rencontres ne se transforment en "meetings politiques". Dans un "débat public, on se met tous autour d'une table, il n'y a pas de tribune, il n'y a pas de discours introductif, il n'y a pas de discours de conclusion, ce sont les citoyens qui parlent", a-t-elle rappelé.
Suite à ces rappels à la règle,  plusieurs membres du gouvernement semblent vouloir mettre en avant ces jours-ci leur volonté de se mettre dans une posture d'écoute, à l'occasion de rencontres préparatoires et de déplacements - en Haute-Vienne ce jour pour le Premier ministre.

Consultations du Cese, de Parlement & Citoyens sur le RIC…  comment éviter la dispersion ?  

Autre enjeu que devra prendre en compte la CNDP si elle poursuit sa mission jusqu'à la fin du débat : la multiplicité des initiatives et des parties prenantes. Une dispersion des démarches participatives "institutionnelles" qui s'avère souvent problématique, avait souligné la députée (LREM, Français de l'étranger) Paula Forteza, lors d'un colloque le 10 décembre (voir notre article du 11 décembre 2018 "Démocratie participative et réseaux sociaux : comment avancer ?")
D'autres démarches ont été en effet lancées ces jours-ci, notamment la consultation en ligne du Conseil économique, social et environnemental (Cese). "Avec ou sans gilet jaune, exprimez-vous", a invité l'assemblée représentative de la société civile organisée. Le Cese propose six thèmes assez proches de ceux du grand débat national : inégalités sociales, justice fiscale, inégalités territoriales, pouvoir d'achat, participation, transition écologique.
Autre initiative qui s'ouvre ce jour : la consultation "#ParlonsRIC" sur la plateforme Parlement & Citoyens. "Depuis quelques semaines, les gilets jaunes réclament de façon constante le RIC (référendum d'initiative citoyenne) sur les ronds-points et au micro des TV et radios", a justifié l'association dans un communiqué du 18 décembre. Avant de poursuivre : "Chez Parlement & Citoyens, nous ne savons pas si le RIC serait bénéfique pour notre démocratie ou si le lancement d’une véritable consultation sur le sujet serait de nature à apaiser la situation. Néanmoins nous sommes sûrs d’une chose : le RIC étant en vigueur dans plusieurs pays (Suisse, Italie, Pays-Bas, Lituanie, Portugal…), il ne peut pas être considéré comme une excentricité."

Déjà 1,3 million de signatures pour la pétition qui propose d'"attaquer l’État français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques"

L'association propose donc de garantir "un espace neutre de dialogue entre parlementaires et citoyens", onze parlementaires s'étant d'ores et déjà associés à la démarche. Parlement & Citoyens est administrée par toute une série de parties prenantes de la participation citoyenne : des parlementaires spécialistes du sujet - tels que Bertrand Pancher, président de Décider ensemble -, des collectivités expérimentant sur ces questions – la région Centre-Val de Loire, le département de Corrèze et la ville de Mulhouse -, ou encore des instances telles que la Coordination nationale des conseils de développement et… la CNDP.
Le RIC a d'ailleurs fait l'objet d'une pétition sur la plateforme Change.org, signée à ce jour par plus de 225.000 personnes. À noter, par ailleurs, que la pétition intitulée "L'affaire du siècle" visant à "attaquer l’État français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques" a recueilli en quelques jours près de 1,3 million de signatures. Lancée par les associations Notre affaire à tous, la fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France, la démarche a bénéficié du soutien de personnalités, notamment des Youtubers suivis par des centaines de milliers voire des millions de personnes.
Ces initiatives conduites en ordre dispersé sauront-elles converger pour produire du consensus entre les gilets jaunes et le gouvernement d'une part, entre les Français d'autre part ? Nul doute que les mots employés par le gouvernement auront également un impact fort sur le niveau de participation à la consultation "officielle". Avant la trêve de fin d'années, Édouard Philippe devait évoquer le grand débat, ce jour, à Limoges ; Localtis y reviendra dans ses premières éditions de janvier 2019.

 

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