Gestion de l’espace public ouvert : les villes face à la tentation de faire place propre
Pour lutter contre la propagation du coronavirus, faut-il désinfecter l’espace public ouvert ? La question se pose alors qu’une quinzaine de villes et métropoles y réfléchissent ou s’y mettent depuis quelques jours, surtout en Île-de-France et dans les Alpes-Maritimes.
Faut-il désinfecter les trottoirs et le mobilier urbain alors que les rues sont vides et que la grande transmissibilité du coronavirus Sars-CoV-2 n’est pas liée à sa survie sur les surfaces ? Dans les transports en commun qui constituent des lieux fermés, les communications des spécialistes sont concordantes, ce qui conduit les opérateurs à désinfecter quotidiennement l’habitacle des bus, tramways et trains qui circulent encore et transportent de surcroît des personnels soignants. Mais dehors, dans les rares espaces publics encore ouverts, est-ce bien raisonnable ?
L'Île-de-France et les Alpes-Maritimes précurseurs
En Île-de-France et dans les Alpes-Maritimes, la pratique prend de l’ampleur. À Suresnes (Hauts-de-Seine), la Sepur, une entreprise de propreté prestataire de la ville, opère deux fois par semaine un minutieux exercice de désinfection de la voirie. Dans le Val-de-Marne, Nogent-sur-Marne veut aussi faire place propre. Et à Cannes, le ballet matinal d’agents municipaux, préalablement formés et munis de masques et combinaisons intégrale jaune vif est devenu un spectacle pour les lève-tôt. Des riverains prévenus du mieux possible avant chaque passage. Celui-ci est quotidien près de sites prioritaires (hôpitaux, pharmacies, Ehpad, commerces). Une telle opération nécessitant un phasage, les mobiliers urbains (ascenseurs, bancs, rampes, corbeilles, potelets de trottoir ou vélos en libre-service) seront traités par la suite, "avant que toutes les rues de la commune ne le soient à la fin du confinement", a expliqué dans la presse locale le maire de Cannes, David Lisnard.
La pratique se généralise aussi à Nice, où ce travail est effectué par les équipes propreté de la métropole, à Antibes, Menton, Villeneuve-Loubet, Vallauris, Grasse, Mandelieu, Le Cannet et dans la principauté de Monaco.
Dans les communes qui s’étendent en zone rurale, les grandes artères de centre-ville seront traitées au quotidien, les hameaux attendront et le seront dans un second temps. La réflexion est aussi engagée dans des métropoles comme Toulouse pour utiliser "de façon raisonnée cette solution en privilégiant les sites identifiés comme étant à risque où l’impact environnemental sera le moins élevé".
Une pratique loin de faire consensus
Aussi spectaculaire soit-elle, la pratique ne repose pas sur un fondement scientifique et, comme l’ajoute l’Association des villes pour la propreté urbaine (APVU), interrogée par Localtis, "elle ne fait pas consensus dans le secteur : les collectivités certes s’interrogent, mais nous n’avons pas de position tranchée sur l’intérêt de ce dispositif inspiré des pratiques des pays asiatiques (Taïwan, Corée du sud) et testé également à Milan et dans des villes espagnoles". L’APVU a sollicité l’avis du Haut Conseil de la santé publique et attend que l’Association des maires de France (AMF) prenne position sur le sujet.
À l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), on se montre sceptique quant à l'efficacité de cette pratique qui, sous couvert de "mettre en avant le principe de précaution, semble surtout destinée à rassurer les habitants des villes concernées". L’agence n’a pas d’évaluation propre sur l’utilité de désinfecter l’espace public ouvert. Santé publique France n’a émis aucune recommandation officielle et n’a publié aucun avis sur la survie du virus sur une chaussée, par exemple. Enfin, l’Ademe invite à tenir compte de l’impact environnemental d’une telle pratique de dispersion à grande échelle de produit désinfectant - souvent un bactéricide et virucide désinfectant à base d’eau de javel diluée - pendant plusieurs jours sur une ville entière.