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Eau - Gemapi : une compétence qui ne coule toujours pas de source

Quelles solidarités territoriales et financières développer en matière de gestion des eaux, des milieux aquatiques et de risques liés à l'eau ? Une première rencontre sur ce thème s'est tenue le 13 décembre au siège de l'Association des maires de France (AMF), dans le cadre de l'initiative partenariale entre grandes associations d'élus et établissements publics territoriaux de bassin. Elle a permis de passer en revue les principales difficultés de mise en oeuvre de la nouvelle compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) qui deviendra obligatoire pour les intercommunalités à compter du 1er janvier 2018.

Article initialement publié le 16 décembre 2016

Dans le cadre de l'"Initiative territoriale d'associations nationales de collectivités territoriales pour une gestion équilibrée, durable et intégrée de l'eau par bassin versant" (Ipanct), lancée en octobre dernier, une première "Rencontre des élus" s'est tenue le 13 décembre au siège de l'Association des maires de France (AMF) sur le thème des solidarités financières et territoriales en matière de gestion des eaux, des milieux aquatiques et des risques liés à l'eau. Naturellement, la nouvelle compétence Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), confiée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre d'ici le 1er janvier 2018 (lire notre encadré ci-dessous) était au cœur des débats. Car l'exercice de cette compétence suscite encore de nombreuses interrogations, y compris de la part de collectivités déjà engagées dans le dispositif, quant aux solidarités à développer.

Les départements "oubliés"

"Nous regrettons que les départements aient été complètement oubliés par l'Etat lorsqu'il a décidé de confier la compétence Gemapi aux intercommunalités, a témoigné Louis Michel, conseiller départemental de la Mayenne, qui représentait l'Assemblée des départements de France (ADF). Les départements ruraux comme le nôtre, qui se sont largement investis dans la problématique, comptent bien rester acteurs et exercer un rôle d'accompagnement des intercommunalités et des syndicats de bassin, d'autant que l'Etat, lui, se désengage." Pour Jean-Claude Weiss, vice-président à la gestion de l'eau et des risques de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), "on n'a pas pris le problème par le bon bout pour financer la Gemapi". "Quand on est riverain d'un grand fleuve, qui va payer pour l'entretien des digues ? Il n'y a aucun transfert de prévu, pas de solidarité amont-aval. L'AdCF avait pourtant évoqué ces difficultés au moment de l'élaboration de la loi Maptam", a-t-il rappelé.

Des stratégies à construire

Bernard Lenglet, premier vice-président de l'Association française des établissements publics territoriaux de bassin (AFEPTB) et président de l'EPTB de la Somme, a rappelé que "l'eau est un sujet transversal, il faut que chaque acteur puisse intervenir financièrement". "L'essentiel va être de construire une stratégie pour bien identifier les enjeux et être en mesure de répondre aux besoins".
Cette stratégie, une région comme la Bretagne la juge essentielle. "Avec 30.000 kilomètres de cours d'eau et 2.700 km de littoraux, l'eau fait partie de notre territoire et conditionne son attractivité", a souligné Thierry Burlot, vice-président chargé de l'environnement au conseil régional de Bretagne et vice-président de la commission durable de Régions de France. "Nous nous sentons bousculés par les lois Maptam et Notr car les périmètres des EPCI ne correspondent pas aux périmètres hydrographiques, c'est un problème pour l'organisation territoriale de l'eau en Bretagne", a-t-il reconnu.
"Le droit au développement économique, à l'urbanisation étant totalement lié au droit à l'eau, nous allons l'inscrire dans le Sraddet [schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'également des territoires, ndlr] et à partir de là œuvrer pour une vraie cohérence hydrographique", a-t-il ajouté, soulignant que la région n'avait pas l'intention d'exercer de tutelle sur les acteurs de l'eau mais de jouer pleinement la carte de la solidarité. "Pourquoi ne pourrions-nous pas créer un seul EPTB au service de la solidarité régionale ?", a-t-il interrogé, rappelant que depuis 2004, la Bretagne a demandé un droit à l'expérimentation sur l'eau. Il n'est pas question pour nous de nous substituer à l'agence de l'eau mais nous revendiquons une spécificité bretonne."

Un besoin de cohérence

Pour André Flajolet, président de la commission environnement et développement durable de l'Association des maires de France (AMF), "les outils sont à renforcer dans leur cohérence et à préciser dans leur finalité". "La Socle [Stratégie d'organisation des compétences locales de l'eau] doit être un outil stratégique d'aide à la décision, pas simplement un état de lieux", a-t-il soutenu. "On peut désespérer de voir aussi peu de territoires cohérents pour s'occuper de l'eau et engager une politique prospective et il est difficile aujourd'hui de faire de l'organisation sur de la désorganisation, a-t-il ironisé. Or, le seul territoire cohérent est le bassin versant. D'autant qu'il nous faut aussi introduire les conséquences du changement climatique. Trois degrés d'élévation des températures sur le bassin Artois-Picardie, c'est 50% de volume d'eau en moins pendant l'été. Comment y répond-on ? Avec quel périmètre de responsabilité ?", a-t-il pointé.

Un calendrier jugé "maladroit"

"La mise en place chaotique de la Gemapi se fait dans un contexte financier et institutionnel tendu, a relevé Gaëtan Huet, du cabinet de conseil Partenaires finances locales. Le calendrier est maladroit car les EPCI qui ont hérité de cette nouvelle compétence, et dont le nombre va passer de 2.581 en 2012 à 1.242 en 2017, sont confrontés à un choc violent, avec la nécessité de définir une nouvelle gouvernance, une nouvelle fiscalité, un nouvel équilibre financier." En outre, a-t-il-poursuivi, "les communes et les EPCI ont absorbé une partie de la baisse des dotations de l'Etat en augmentant la fiscalité. Il n'est pas surprenant que la mise en place d'une nouvelle taxe additionnelle Gemapi sur la fiscalité locale fasse grincer des dents." Cette taxe, plafonnée à 40 euros par habitant, ne sera jamais qu'un financement complémentaire, a-t-il ajouté. Et selon lui, "la Gemapi trouvera difficilement sa place au sein des prospectives financières des EPCI".
A ses yeux, les solutions sont à trouver territoire par territoire, en sachant que les moyens financiers resteront limités. "On aura une mosaïque, l'essentiel pour faire jouer les solidarités financières est d'avoir un pilote unique pour proposer une stratégie pluriannuelle, mobiliser les acteurs de nature différente à toutes les échelles et leur apporter des garanties sur les contributions à moyen à long terme", a-t-il souligné.

Des outils juridiques multiples

En tout cas, ont assuré, Jean-François Sestier et Lucile Laplanche, avocats associés de la société Droit public consultants, les collectivités prêtes à définir leur Gemapi et ses priorités ont aujourd'hui tous les outils juridiques pour le faire. Plusieurs scénarios s'offrent en effet à elles. L'EPCI à fiscalité propre peut exercer directement cette nouvelle compétence mais il peut aussi la transférer en totalité ou en partie à un syndicat mixte de droit commun ou à un EPTB ou à un établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage). Il peut aussi opter pour une simple délégation de compétence à ces derniers. "Dans le cadre d'un contrat de globalisation, cela permet à une collectivité de ne pas perdre tout de suite sa compétence et de garder le temps de la réflexion", a souligné Jean-François Sestier. Autre possibilité : la coopération public-public. "Les collectivités territoriales poursuivant un intérêt commun peuvent passer des conventions de coopération sur un projet précis sans mise en concurrence, a-t-il poursuivi. Dans le cas de la réfection d'une digue, une telle convention peut être passée entre une collectivité et un EPTB". Mais dans ce cadre comme dans celui de la délégation, un inconvénient de taille demeure : on ne pérennise pas les financements pour l'avenir, alors que la gestion de l'eau nécessite un cadre d'action sur le long terme.

Anne Lenormand

Une compétence nouvelle dévolue aux intercommunalités
En vertu de la loi de Modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) du 27 janvier 2014 et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) du 7 août 2015, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) est une nouvelle compétence confiée aux intercommunalités (métropoles, communautés urbaines, communautés d'agglomération, communautés de communes) , à compter du 1er janvier 2018, avec possibilité d'anticiper dès maintenant. "Cette compétence, qui sera exclusive et obligatoire, se substituera aux actions préexistantes des collectivités territoriales et de leurs groupements, actions qui étaient jusqu'alors facultatives et non uniformément présentes sur les territoires exposés au risque d'inondation ou de submersion marine", rappelle le ministère de l'Environnement sur son site.
Les actions entreprises par les intercommunalités dans le cadre de la Gemapi sont définies par l'article L.211-7 du code de l'environnement : l'aménagement des bassins versants ; l'entretien et l'aménagement des cours d'eau, canaux, lacs et plans d'eau ; la défense contre les inondations et contre la mer ; la protection et la restauration des zones humides.
"Le volet "prévention des inondations" de la Gemapi est plus particulièrement constitué par les actions de type 'aménagement de bassins versants' et bien sûr 'défense contre les inondations et contre la mer', sans qu'il soit interdit de recourir aux autres actions. Ainsi, le bon entretien des cours d'eau contribue à ce que les conséquences d'une crue ne soient pas aggravées par la présence d'embâcles", indique le ministère. "Cependant, et très concrètement, poursuit-il, les actions les plus structurantes pour les territoires consisteront en la surveillance, l'entretien et la réhabilitation des digues qui sont des ouvrages passifs faisant rempart entre le cours d'eau en crue ou la mer et le territoire devant être protégé par ce que la règlementation appellera désormais un 'système d'endiguement' ; la création et la gestion des aménagements hydrauliques plus divers fonctionnant sur le principe général du prélèvement d'une partie du cours d'eau en crue aux fins de stockage provisoire dans un 'réservoir' prévu à cet effet (cas des barrages réservoirs gérés par l'établissement public Seine-Grands-Lacs qui protègent la région parisienne contre les crues de la Seine et de la Marne)."
La loi crée en outre des outils de coopération des intercommunalités entre elles, outils dédiés à la lutte contre les inondations, "cette mission de service public ne pouvant pas, pour des raisons d'efficacité, se limiter aux frontières administratives de base", relève le ministère. Plusieurs nouvelles dispositions ont donc été introduites dans le code de l'environnement. L'article L.213-12 refonde l'établissement public territorial de bassin (EPTB) en tant que syndicat mixte ayant pour vocation en particulier d'assurer la coordination des "actions Gemapi" sur une échelle territoriale large correspondant à un grand bassin versant, voire d'assurer les actions en question par transfert de compétence des intercommunalités ou par le mécanisme juridique de la délégation de compétence quand ces autorités ne sont pas membres de l'EPTB. L'article L.213-12 instaure également un syndicat mixte spécialisé dans les actions Gemapi, regroupant les intercommunalités à une échelle plus restreinte correspondant à un petit bassin versant, l'établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage).
"En plus de ces outils destinés à faciliter les regroupements d'intercommunalités à la bonne échelle hydrographique, le code de l'environnement a été complété par des dispositions visant à faciliter la reprise en gestion par les nouvelles autorités locales compétentes en matière de prévention des inondations, de toutes les digues existantes ou autres ouvrages susceptibles d'être utiles pour un exercice efficace et à moindre coût de cette compétence", ajoute le ministère. Ainsi, l'article L.566-12-1-I prévoit-il la mise à disposition des autorités locales compétentes en matière de prévention des inondations, des anciennes digues de droit public, quel qu'en ait été le maître d'ouvrage initial. L'article L.566-12-1-II étend ce principe de mise à disposition aux ouvrages et infrastructures (appartenant à des personnes morales de droit public), dont les caractéristiques et la localisation font qu'ils peuvent contribuer utilement à la prévention des inondations - un remblai ferroviaire pourra par exemple être intégré dans un système d'endiguement sous la responsabilité de l'autorité locale compétente pour la prévention des inondations, moyennant éventuellement des adaptations que cette autorité aura réalisées en coordination avec le propriétaire premier de l'infrastructure. L'article L.566-12-2 permet à l'autorité locale compétente pour la prévention des inondations d'instaurer des servitudes sur les terrains d'assiette d'anciennes digues privées afin que ces ouvrages ne soient pas détruits et que la collectivité puisse les réutiliser dans le cadre du système d'endiguement qu'elle aura décidé. "Les digues existantes, dès lors que leur utilité aura été confirmée, seront ainsi reprises en gestion, quel qu'en ait été le maître d'ouvrage à l'origine, par les autorités locales compétentes en matière de prévention des inondations", souligne le ministère qui estime que sur un linéaire total de digues recensées actuellement à hauteur de 9.000 kilomètres environ, entre 3.000 et 4.000 kilomètres sont réellement utiles et seront pérennisées grâce à la Gemapi. 
A.L. 

 

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