Frédéric Lavenir (Adie) : "Pour la première fois après une crise majeure, la dynamique de création d’activité est renforcée"
L’Adie, Association pour le droit à l’initiative économique, accorde des crédits de quelques milliers d’euros – jusqu’à 10.000 euros – à des personnes désireuses de démarrer leur activité malgré une faible connexion aux circuits bancaires et entrepreneuriaux. Alors que l’association a publié le 8 septembre 2021 une étude d’impact, Frédéric Lavenir, son président, est revenu pour Localtis sur l’action de l’Adie, son implantation particulièrement forte dans les territoires dits "fragiles", ses liens avec les collectivités ou encore sur l’impact de la crise sur la dynamique de création de très petites entreprises.
Localtis - L’Adie a été créée il y a 32 ans pour introduire le microcrédit en France et permettre à chacun de créer son entreprise. Quelles ont été depuis les évolutions les plus marquantes dans l’action menée, la typologie des publics accompagnés et les territoires d’intervention ?
Frédéric Lavenir - Ce qui n’a pas changé depuis l’origine, ce sont les publics de l’Adie qui sont les personnes qui ont un projet de création d’entreprise et qui n’ont pas accès au crédit bancaire et qui se heurtent à des obstacles administratifs, juridiques, psychologiques, culturels, etc. Notre raison d’être, c’est de faire en sorte que nul ne soit empêché de créer sa propre activité.
Ce qui a évolué, c’est l’importance. Lorsqu’elle a créé l’Adie, Maria Nowak avait la conviction qu’un besoin considérable n’était pas couvert. Cela a commencé avec quelques crédits et aujourd’hui nous finançons 30.000 crédits par an (d’un montant moyen de 4.000 euros). Cette croissance continue depuis plus de 30 ans témoigne de l’importance du besoin qui est encore loin d’être couvert.
Concernant la logique territoriale, aujourd’hui nous sommes présents partout en France, en métropole et dans les outre-mer. L’orientation initiale de l’Adie a été très forte sur les quartiers politique de la ville. La présence dans les territoires ruraux est également devenue une priorité très importante. D’abord parce que dans ces "territoires perdus de la République", comme certains les ont appelés, il y a des personnes qui ont des projets. Et aussi parce que la dynamique de création de très petites entreprises rejoint une aspiration très profonde de la société française, celle de la proximité. Entreprendre dans une zone à faible densité, c’est créer une activité génératrice de revenus et c’est aussi offrir un service d’artisanat, de restauration, de service à la personne, des activités qui sont absentes dans ces territoires. Cet entrepreneuriat à la fois créateur d’emploi et d’offre de service représente une contribution extrêmement puissante au développement endogène des territoires.
L’Adie défend ainsi l’idée qu’il est possible d’entreprendre partout. Est-ce que vous observez néanmoins des différences selon les territoires, par exemple au niveau de la pérennité des activités créées ? Est-ce que des modalités d’accompagnement spécifiques sont nécessaires du fait de certains obstacles présents dans les territoires les plus fragiles ?
On n’observe pas du tout de différence de pérennité selon les territoires. Le type d’entreprise peut être différent. Une boutique de vêtement sera plus facilement implantée dans une métropole ou une ville moyenne alors que, dans des zones rurales, des activités se créent souvent pour répondre aux besoins considérables de services à la personne – par exemple pour livrer des personnes qui n’ont pas de véhicule.
Il n’y a pas de différence dans le contenu de l’accompagnement mais il y en a dans les modalités, puisqu’il est beaucoup plus facile de mettre en place des dispositifs de suivi en territoire urbain. À partir d’une agence Adie, à Saint-Denis ou Aubervilliers par exemple, les conseillers et les bénévoles couvrent des zones peuplées de dizaines ou de centaines de milliers de personnes. Dans le monde rural, on utilise beaucoup le numérique pour la partie administrative, avec un accompagnement téléphonique pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les outils digitaux.
Au-delà de ça, les différences sont moins liées à la géographie qu’à la typologie des créateurs. Certains, qui peuvent par exemple avoir eu un accident de vie ou cherchent à se reconvertir, sont très à l’aise avec les démarches à effectuer et ne sollicitent que ponctuellement un service de conseil de l’Adie. D’autres, à l’autre extrémité, savent tout juste écrire et compter, ne maîtrisent parfois pas bien la langue et la culture françaises. Nous mettons en place dans ces situations des rendez-vous très rapprochés et un accompagnement sur de nombreux aspects de la création d’entreprise, tels que la comptabilité ou les démarches administratives. La formation et l’accompagnement assurés par l’Adie sont donc très variables selon les besoins et durent jusqu’à deux ans en général, parfois un peu plus en cas de renouvellement de crédit.
Comment travaillez-vous avec les collectivités territoriales ?
Nous avons un réseau partenarial très dense, à la fois au niveau national et local. Nous avons des relations fortes et anciennes avec les régions, qui nous soutiennent pour la quasi-totalité d’entre elles parce que nous sommes un des acteurs du développement économique. Les départements nous soutiennent traditionnellement au titre de l’aide sociale et plus particulièrement dans le cadre de l’accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), la moitié de nos clients étant bénéficiaires des minima sociaux. Enfin, avec les communes et de plus en plus les intercommunalités, nos relations sont beaucoup plus diverses. Nous avons avec elles des relations de type financier, dans le cadre de programmes d’insertion, et des relations partenariales en termes de prescriptions, de locaux partagés, de collaboration pour le traitement de situations complexes, etc. Il y a une grande diversité, qui dépend des maires, de l’histoire et de notre implantation notamment.
Le principal prescripteur pour l’Adie, c’est Pôle emploi, les conseillers Adie et les conseillers Pôle emploi ayant des relations étroites sur les territoires. Nos autres partenaires sont les missions locales et de nombreuses associations qui sont en contact avec les publics – associations d’alphabétisation, d’accueil des migrants, associations sportives, etc.
Concernant le financement de votre activité, vous aviez été l’un des premiers acteurs de l’économie sociale et solidaire à signer un contrat à impact social en France, avec le projet "Regain" déployé dans six départements ruraux. Quel est votre retour d’expérience à ce sujet ? Et, plus globalement, les moyens de l’Adie sont-ils aujourd’hui suffisants ?
Concernant le financement, nous avons deux problématiques différentes : le financement de nos prêts et celui de notre fonctionnement. Nous empruntons auprès des banques pour financer nos prêts et nous n’avons aujourd’hui aucun problème de refinancement. S’agissant du fonctionnement, l’Adie est robuste, mais le potentiel de développement, c’est-à-dire le potentiel de création d’activité par nos publics, est important et nous pourrions faire plus. Nous avons eu depuis deux ans un appui extrêmement fort de l’État et des collectivités pour développer notre activité et le développement a été important dans certaines régions comme l’Île-de-France et Rhône-Alpes. Aujourd’hui, nous sommes bien soutenus, mais les accélérations sont toujours possibles parce que le potentiel est très important.
Nous sommes à l’Adie des supporters du contrat à impact [Frédéric Lavenir est d’ailleurs l’auteur d’un rapport sur le sujet, voir notre article de septembre 2019, ndlr] qui correspond bien à notre conviction que, l’argent public étant rare (même s’il l’a été un peu moins ces derniers temps pour des raisons bien connues), il importe qu’il soit employé de manière efficace et la mesure d’impact est donc clé. Le contrat à impact insère dans le financement en lui-même la mesure d’impact, ce qui nous paraît très sain. Nous sommes favorables au développement de cet outil, parce c’est une manière d’accroître les moyens publics dédiés à des actions sociales à fort impact, sans gaspillage.
Sur le projet "Regain", nous sommes dans la dernière phase, celle où l’on compte, on mesure, notre évaluateur étant KPMG. Fin 2020, deux ans après les premiers financements, nous étions au-delà des objectifs qui avaient été fixés dans le contrat. L’évaluation se poursuit en 2021 et nos objectifs devraient être encore atteints, malgré la crise.
Pendant la crise justement, vous avez été fortement soutenus pour aider vos publics à traverser cette période exceptionnelle. Comment l’Adie a-t-elle traversé cette crise et quelles sont les perspectives en cette rentrée ?
Cela a été un défi. D’abord, les entrepreneurs que nous accompagnons ont fait preuve d’une résilience impressionnante, dans leur capacité à tenir et à réagir, à s’adapter et à faire pivoter leur activité économique. Le soutien de l’État, en particulier avec le fonds de solidarité, a été par ailleurs extrêmement efficace.
Cela a tenu, mais la période difficile s’ouvre maintenant. À partir du moment où les aides publiques s’arrêtent, et c’est normal, il y a un moment de vérité, avec des secteurs qui seront plus touchés que d’autres. Pour le moment, selon notre indicateur qui est le taux de défaut, nous n’avons pas de signal rouge particulier. Le redémarrage se fait, même s’il convient d’être prudent et d’attendre quelques mois.
L’attribution de nouveaux crédits a-t-elle été suspendue pendant les périodes de confinement ?
L’accompagnement de l’Adie a été décuplé pendant le premier confinement. Nos salariés et bénévoles ont appelé individuellement tous les entrepreneurs, pour du soutien psychologique, des conseils, etc. Nos créateurs n’ayant pas de banque, ils n’ont pas accès au prêt garanti par l’État, nous les avons donc soutenus avec des dispositifs de prêts d’honneur et de secours. Depuis juin 2020, la création repart et, dès le mois d’août 2020, le nombre de nouveaux financements accordés était supérieur à celui d’août 2019. Pour la première fois après une crise majeure, non seulement nous n’avons pas d’effondrement mais la dynamique est renforcée. La demande est très forte, du fait notamment des conséquences de la crise sanitaire. Quand une entreprise ferme en zone rurale, il n’y a pas de substitut et la création d’activités indépendantes devient essentielle. Ce besoin rencontre aussi une aspiration des gens qui ont envie d’être autonomes, de construire leur projet là où ils habitent, correspondant à leurs valeurs, notamment dans des logiques durables et de solidarité.
L’Adie a publié le 8 septembre 2021 une étude d’impact de son action menée auprès de créateurs d’entreprise. Principale conclusion selon l’association : "Malgré la crise, il est possible de créer une entreprise pérenne, même sans capital, et que l’entrepreneuriat favorise une insertion durable dont les bénéfices pour la société dépassent très largement le coût." Réalisée par le cabinet KPMG, l’étude porte sur quelque 11.300 entreprises créées en 2017, ayant mobilisé 21 millions d’euros de financements publics (métropoles, départements et régions) et 4 millions d’euros de financements privés. Voici quelques repères sur l’activité et l’impact de l’Adie, issus de cette étude ou résumés par son président. Les publics. "Les personnes qui viennent à l’Adie n’ont pas accès au crédit bancaire pour des raisons variables. Il y a aussi des personnes qui ont eu des incidents bancaires et sont donc 'interdits bancaires', des personnes qui n’ont aucune référence ou aucun business plan à présenter à la banque, etc. Le point commun, c’est que ce sont souvent des personnes aux revenus modestes : 49% vivent sous le seuil de pauvreté et 37% sont bénéficiaires des minima sociaux." L’étude chiffre à 93% le "taux d’insertion" des entrepreneurs deux à trois après la création de leur activité (en 2020) ; cela signifie qu’ils sont "en situation d’emploi", dans leur entreprise ou ailleurs. Ce taux d’insertion en hausse implique une baisse de la part des micro-entrepreneurs au chômage : 7% en 2020, contre 16% en 2017. L’objectif du micro-crédit. "L’Adie n’a pas vocation à se substituer aux banques, l’objectif est de bancariser nos clients. La première étape, c’est qu’ils aient un compte ou un compte professionnel. La première victoire, c’est quand ils obtiennent une autorisation de découvert et, enfin, le jour où la banque leur accorde un crédit moyen terme pour financer un investissement, la phase Adie de l’histoire est terminée et c’est heureux." L’implantation territoriale. L’Adie compte 170 agences partout en France. "Nous sommes très implantés en outre-mer, l’intensité de notre présence étant inversement proportionnelle à celle des banques. Le cas extrême est celui de Mayotte et des îles de Polynésie où il n’y a pas de banque du tout et où l’Adie est la seule institution à financer des activités." La taille des entreprises financées par l’Adie. Selon l’étude d’impact, 1,26 emploi est créé en moyenne par entreprise encore en activité, la majorité des créateurs aspirant d’abord à créer leur propre emploi. "On a une grande majorité d’entrepreneurs qui restent seuls et on a une minorité qui embauchent, deux, trois, quatre, cinq salariés." Pérennité des entreprises créées. 87% étaient toujours en activité deux ans après leur création et deux tiers des entrepreneurs interrogés en 2020 prévoyaient de pérenniser ou de développer leur entreprise en 2021. "Huit entreprises sur dix sont toujours en vie deux ou trois ans après et chacune a créé 1,26 emploi. Cela signifie qu’on est proche du '1 pour 1' : à chaque fois qu’on finance une entreprise, si on compte celles qui vont disparaître et les emplois créés dans les autres, on a à peu près un emploi créé. C’est un excellent rendement social et économique : avec un coût de 2.000 euros pour la collectivité – y compris les mécènes privés – on finance un emploi pérenne." |