France urbaine : "Dans les attributions qui sont déjà les nôtres, qu'on nous laisse faire"
Ce mercredi 22 janvier, c'était au tour de France urbaine de présenter ses voeux. Faisant valoir son attitude "constructive", l'association représentant les métropoles, agglomérations et grandes villes revendique sa légitimité à poser certaines exigences, notamment en matière de finances locales. Sur le terrain de la décentralisation, elle ne revendique guère de nouveaux transferts de compétences, mais bien plutôt une capacité à agir sans entraves de l'État dans les domaines déjà confiés aux collectivités. Sur le principe, la ministre Jacqueline Gourault acquiesce.
"Une année qui commence au moment où le mandat s'achève", cela donne des vœux pas tout à fait comme les autres, en forme de bilan de mandature. Ce fut le choix de France urbaine, ce mercredi 22 janvier, pour sa cérémonie de vœux en présence des ministres Jacqueline Gourault et Julien Denormandie.
Pour l'association représentant aujourd'hui les élus des métropoles, agglomérations et grandes villes, ce bilan aura été l'occasion de rappeler en préambule la "fusion réussie" dont elle est née il y a quatre ans, entre l'Association des maires de grandes villes et l'Association des communautés urbaines de France. Mais aussi de saluer un certain nombre de grands élus ayant choisi de ne pas se représenter en mars prochain – André Rossinot (Nancy), Yvon Robert (Rouen), Dominique Gros (Metz), Jean-Louis Fousseret (Besançon)…
Mais cela aura été aussi, voire surtout, le rappel par le président de France urbaine, Jean-Luc Moudenc, de quelques enjeux et grandes tendances des dernières années du point de vue de son association : "la montée en puissance du fait métropolitain", l'émergence du concept d'"alliance des territoires", le souci de ne pas assister à un recul de l'intercommunalité (France urbaine dit avoir été très vigilante là-dessus lors de l'examen de la loi Engagement et proximité), le choix de "privilégier le dialogue plutôt que la posture" vis-à-vis des gouvernements, le "pacte État-métropoles" ainsi que le "pacte du Dijon" sur la politique de la ville, le fait d'avoir "porté l'idée du contrat" sur les dépenses de fonctionnement en lieu et place de la baisse des dotations imposée lors du précédent quinquennat…
"Pour une fraction supplémentaire de CVAE"
France urbaine revendique donc une "attitude constructive" et l'apport de propositions ayant fini par aboutir. Mais donc aussi une légitimité pour porter aujourd'hui un certain nombre d'exigences. Ainsi, sur la contractualisation financière, Jean-Luc Moudenc constate que la clause de revoyure qui était prévue pour corriger les "scories" et améliorer le dispositif "n'a pas été honorée". Parmi les améliorations de fond souhaitées figure entre autres le fait de "sortir du 1,2% les dépenses liées au maintien ou à la baisse de l'empreinte carbone", a indiqué François Rebsamen lors d'un point presse précédant la cérémonie des vœux. "Oui, nous allons bientôt avoir une discussion pour voir comment améliorer les choses", a répondu Jacqueline Gourault. On sait que cela est effectivement prévu pour le printemps dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques.
Ce que veut aussi France urbaine, comme la plupart des autres associations d'élus locaux, et depuis fort longtemps, c'est une loi de financement spécifique pour les collectivités. Pour l'heure, le gouvernement n'en parle plus. Jean-Luc Moudenc estime que la future loi de décentralisation pourrait être "l'occasion de répondre à cette demande de méthode".
Sur la suppression de la taxe d'habitation - au-delà du fait que celle-ci "changera profondément la relation entre le citoyen-électeur et la commune", tel que l'a souligné François Rebsamen -, le président de France urbaine continue de penser qu'il "y a mieux à faire que de donner une part de TVA" aux intercommunalités. "Il faut que nous ayons un retour sur investissement", autrement dit une corrélation entre impôts locaux et actions menées en termes de développement du territoire, plaide-t-il. Résultat : "Nous continuerons à plaider pour une fraction supplémentaire de CVAE."
Ne pas toucher à la CET
À cela s'ajouterait aujourd'hui un nouveau "nuage noir" : la "tentation du gouvernement de toucher aux impôts de production". "Il faut commencer par définir précisément ce qu'est un impôt de production, il y a un débat à avoir. Car la contribution économique territoriale n'en est pas un", considère François Rebsamen. Quant au versement transport, "est-ce que son augmentation a véritablement été contraire aux intérêts des entreprises ?", s'interroge-t-il. "Le baisser, comme le souhaite le Medef, serait totalement contradictoire avec les impératifs de transition écologique", abonde Jean-Luc Moudenc.
Tout comme l'avait fait Olivier Dussopt la semaine dernière lors des vœux de l'ADCF, Jacqueline Gourault a tenu à couper court à ces craintes qui venaient de surcroît d'être aiguisées par un article du journal Le Monde prêtant au chef de l'État des intentions en ce sens. "Nous réfléchissons au sujet de la fiscalité des entreprises dans le cadre du pacte productif", a-t-elle rappelé, avant de préciser : "La piste de la suppression du C3S a été documentée par le Conseil d'analyse économique et c'est une option. En revanche, s'agissant des impôts locaux, nous n'avons pas du tout l'intention de supprimer ou de faire une réforme de la contribution économique territoriale." "Quant au versement transport, je n'en ai jamais entendu parler", a-t-elle ajouté. En s'exprimant la veille devant les patrons d'entreprises de taille intermédiaire, Emmanuel Macron ne s'est, il est vrai, pas engagé sur le sujet (voir notre article de ce jour). Sachant que France urbaine doit avoir des "discussions avec Bercy" là-dessus, la ministre a toutefois glissé : "à Bercy, il y a plusieurs étages…".
Quand il faut "attendre le feu vert de l'État"...
Plus globalement, Jean-Luc Moudenc insiste sur les "moyens" financiers liés aux politiques publiques confiées aux collectivités : "L'État nous donne des objectifs, nous y adhérons, nous portons les projets… alors donnez-nous les moyens de répondre à vos objectifs !" Sans cela, parler de compétences ou de décentralisation serait à peu près vain.
Or la décentralisation, c'est bien le sujet du moment. Le futur projet de loi affublé d'un sigle avant même d'avoir vu le jour (André Rossinot s'en est d'ailleurs amusé : "3D c'est une belle marque de fabrique, c'est original…") est sur toutes les lèvres. Et Jacqueline Gourault n'a de cesse d'en esquisser les tout premiers contours au fil de ses discours de vœux aux associations d'élus. Sans en dire trop toutefois, sachant que la concertation organisée en région ne fait que commencer.
Ce qui s'est dit à France urbaine faisait ainsi directement écho à ce qu'on avait pu entendre de part et d'autre la veille lors des vœux de Villes de France. Pour Jean-Luc Moudenc, l'enjeu aujourd'hui n'est plus de "transférer des blocs de compétences aux collectivités, comme ce fut le cas lors des précédentes lois de décentralisation". Mais bel et bien plutôt : "Dans les attributions qui sont déjà les nôtres, qu'on nous laisse faire, qu'on nous débarrasse des tracasseries administratives, des demandes d'autorisations… de tout ce qui entrave la réalisation de nos projets." En vue des rendez-vous prévus en février au ministère de la Cohésion sociale, il pose la question en ces termes : "Est-ce que l'État est prêt à assumer cette logique ou est-ce qu'il reste dans ses contradictions ?" Le président de France urbaine cite les domaines du développement économique, du logement, de la politique de la ville, de la sécurité… "On doit toujours attendre le feu vert de l'État", regrette-t-il, relevant que le feu vert du préfet dépend à son tour souvent de celui d'une administration centrale. C'est bien déjà ce que Jean-Luc Moudenc avait fait valoir en septembre dernier lors de la Conférence des villes lorsqu'il déclarait : "Nous avons plein de compétences, mais nous n'avons pas les mains libres."
"Élargir les capacités d'expérimentation"
Sur le principe, Jacqueline Gourault, qui a depuis le départ clamé que son projet de loi ne devait pas se résumer à la question des transferts de compétences ("à un moment donné on va épuiser la ressource !", a-t-elle lancé), est à peu près sur la même longueur d'ondes. "Oui, il peut s'agir de commencer par regarder là où les services de l'État troublent un peu la capacité des collectivités à exercer pleinement leurs compétences…", admet-elle, ajoutant : "Après trois réunions régionales, ce que j'avais pressenti semble se confirmer : les élus sont moins en attente de transferts de compétences que de confiance, de souplesse…"
C'est selon elle en ce sens que décentralisation rimera avec différenciation. Si les régions seraient unanimes pour "entrer dans la gouvernance de Pôle emploi", les départements le seraient moins, par exemple, pour "finir le transfert des routes nationales". Comme elle l'avait dit devant Villes de France, la différenciation permettrait alors un transfert à la carte aux seuls départements volontaires. Jacqueline Gourault a également réexpliqué qu'à défaut de réforme constitutionnelle, le projet de loi 3D devrait permettre à lui seul d'"élargir les capacités d'expérimentation". Et notamment de dépasser le cadre juridique actuel voulant que "si une expérimentation marche" et peut être pérennisée, "il faut l'appliquer partout en France". En somme, d'envisager que "si à tel endroit, tel niveau de collectivité s'avère mieux à même d'exercer telle ou telle compétence", cela soit rendu possible. Y compris si cela passe par des délégations de compétences, comme c'est par exemple déjà le cas en matière de transports scolaires.
André Rossinot, secrétaire général de France urbaine, a toutefois apporté devant la presse une tonalité quelque peu différente. Certain que "le grand soir de l'autonomie républicaine des territoires" n'est pas pour tout de suite, il considère que bien au-delà de la loi 3D, "l'étape suivante ne pourra être franchie qu'avec le prochain mandat présidentiel". Cette étape suivante ne serait rien de moins qu'"un changement de société" fait d'une "clarification définitive des pouvoirs entre l'État et les collectivités" et d'une réelle subsidiarité. C'est selon lui "un travail à mener sur deux ou trois ans" et donc malgré tout à engager dès maintenant.